L'énigme

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Suis-je consciente à cent pour cent de ce que je vois ? Où même ce que j’entends ? Non. Mes os ne sont pas à moi, coeurterminator guident tout de mon enveloppe.

Non, en fait. L’entre-deux, le rêve est plus facile à expliquer pour mon cerveau étriqué. Le public chantent, dansent, frappent dans leurs mains. Je tourbillonne sur la seule scène du centre, dans la seule grande salle qui peut accueillir des spectacles, des conférence.

Aucune idée de l’heure, aucune idée de savoir la façon dont j’ai branché un ordinateur à la tv pour diffuser les clips. Aucun souvenir de ma démarche volontaire ou semi volontaire. Je suis là ou plus tôt pas là. Ni avec ces fous, ni avec moi-même.

Ma transe sur la reprise de Peter Gabriel « the rhythm of the heat » ? Elle me décolle de la Terre, le Ciel m’appelle.

….

— Mademoiselle Ramos !

Zoé est déjà partit là relever, je l’accompagne avec Erwan. Neuf heure, tout le monde est présent et ceux dès les premières notes qui ont retentie dès sept heure. Mes collègues dispersent les patients pour les raccompagner dans leurs cellules affectés.

Cellule A, les accidentés graves., Corps tordus, membres manquants, souvenirs éclatés. Ce sont souvent des jeunes. Trop jeunes. Des motards, des victimes de chauffards, des gamins qui sortaient d’une fête et qui n’ont jamais vu la voiture arriver.
Il y a par exemple Kevin, 23 ans, trois ans qu’il essaie de réapprendre à parler. Il confond les mots, mais quand il sourit, c’est toujours pour dire merci. Amina, elle, par exemple, a survécu à un carambolage. Elle ne dort jamais plus de deux heures d'affilée. On la retrouve parfois accroupie dans un coin, les mains sur les oreilles, comme si elle entendait encore le crissement des freins.

Puis, cellule B, les violences conjugales et intrafamiliales. C’est là que le silence fait le plus mal. Les femmes et parfois les hommes y marchent encore comme s’ils devaient demander la permission pour exister. Clara, 40 ans, a mis trois semaines avant de relever la tête. Naël, 16 ans, frappé par son père pendant dix ans, a peur des clés. Le simple bruit d’un trousseau lui donne la nausée.

La cellule C, elle, me met toujours les tripes à l’envers. Les blessés de guerre, réfugiés, survivants politiques. C’est une unité calme. Milo, ancien soldat, se recroqueville sous son lit chaque fois qu’il entend une alarme incendie. Zara, arrivée de Syrie, parle peu, mais chante parfois. Des mélodies tristes, magnifiques. On ne comprend pas les paroles, mais on sent la douleur dans chaque note. Certains ont encore des éclats d’obus dans le corps. Tous ont des éclats dans l’âme.

Puis il y a la cellule D, les soins de jour, les polytraumatisés stabilisés. Ceux qui vont “mieux”, du moins selon les critères médicaux. Ils viennent le matin, repartent parfois le soir ou restent quelques nuits par semaine. Lucas fait de la poterie. Il ne parle pas de ce qu’il a vécu, mais chaque vase qu’il modèle est une victoire. Fatou, elle, rédige un journal thérapeutique. Elle le lit parfois devant les autres. Elle tremble, mais elle lit.
Ceux-là réapprennent à vivre sans armure. Et c’est parfois plus dur qu’on ne croit.

Et puis…la cellule E. Les extrêmes. Les cas rares. Les cicatrices les plus profondes.
On y trouve ceux qu’aucun autre centre ne veut, ou ne peut garder. Marta, bien sûr. Greffe cardiaque illégale. Emprise mentale. Séquestration. Violences sexuelles. Mutisme total.
Elle est devenue une sorte de symbole ici. Pas une star, non. Une énigme. Une souffrance à l’état brut. Mais elle n’est pas seule. Il y a aussi Thomas, le mystique, l’éclaté.
Il se dit réincarnation d’un martyr. Il refuse la lumière. Il ne dort que par terre, la tête au nord.
Mais aussi Irène, ancienne “épouse sacrée” d’un gourou. Elle parle en boucle d’un jugement dernier. Elle compte les carreaux du mur chaque jour pour repousser “la chute”.

Marta est ramené en ascenseur. Erwan reste avec nous tandis que Paulo est prévenu déjà par téléphone par ma collègue.

— Elle était génial ! Elle parle de l’élue et si c’était celle attendu ? Hein ? La libératrice !

— Irène, restez dans votre chambre.

— Erwan, je voudrais enfin lui parler ? Je peux ? Je peux ? Je peux ? Thomi est mon ami depuis six mois, on se ressemble avec la nouvelle !

— Marta oui, a bien été génial mais comme de grands artistes, le repos est essentiel. On y pensera de votre projet de vous rencontrez tout les trois, vous êtes les moins nombreux de toutes cellules confondus

La quarantenaire repart marmonnant raccompagné par Louisa venu en renfort. Dans la chambre, notre patiente reprend des couleurs au même moment où Paulo finit d’ajuster sa blouse.

— Les bouchons m’ont fait raté une ambiance on dirait. Sans compté, la marée humaine joyeuse assez rare ici, où tous me raconte que Marta a danser, chanter pendant deux heures, est-vrai ?

— Parfaitement, vers sept heure, une musique, j’étais dans ma chambre, Suzanne en salle de repos. On a cherché l’origine. Des premiers patients l’ont entendu, la cellule B rejoint par là C. Il semble bien que Marta est allé branché l’ordinateur sur la Tv, mise en place le micro et sa mémoire à fait le reste.

— J’ai filmé un peu.

— Marta, de quoi te souviens-tu ?

— Faim…

— Tu veux retenter un peu de solide ? Ou la sonde ?

…..

Lentement elle me désigne les poches et d’un mouvement de tête calmement, Zoé avec Suzanne s’activent.

— Tu as besoin de moi Paulo ?

— Réunion avec les autres dans une heure, je vais rester avec Louisa pour les premières analyses. Merci Erwan, je crois que tu as du travail.

— En effet.

Je renvoie sa tape dans l’épaule avant de me saisir du carnet de suivi. Louisa montrer les extraits du spectacle sauf que Marta ne souviens bien de rien. Mes premiers notes inscrites, je réfléchis à des questions plus pertinentes.

— Marta, tu sais quel jour on est ?

— Je vais prendre sa température et tension. Tu m’autorise Marta ?

Elle acquiesce pour Louisa. Les aides-soignantes sont parties pour reprendre leurs services.

— Jour des morts.

« Apprentissage à renforcer sur les repères temporels ».

— Tu te souviens de quelque chose que tu voudrais nous partager pour continuer à t’aider à te reconstruire ?

— Ro, USB, avant.

J’échange un regard avec Louisa qui sourit discrètement. C’est pas une date précise, hors ça éclaire mieux sur la manière dont elle aurait pu mettre de la musique. Le deuxième mois démarre dès demain, le premier octobre.

Elle teste depuis deux semaines, un peu de solide. On l’aide toujours pour passer au fauteuil et deux fois par semaine, elle a des séances d’exercices cognitifs. Si, elle ne sort pas souvent en famille dans le parc, elle passe le temps avec la Tv ou bien en resserrant les liens avec ses proches.

— Peut être seule ?

— Bien sûr Marta, on va te laisser te reposer. On repasse plus tard, appel nous si besoin.

— Attend moi dehors, je vais noter les données. Tout est normal pour le moment.

En réunion, je découvre les vidéos et on reste fascinée par la capacité de Marta qui a pu danser sans tomber, retrouver sa voix pour s’exprimer. On décide de continuer le travail tel que c’était et je leur précise que je vais appeler Roberto Arenalez, pour avoir son point de vue.

Il confirme sa surprise. En effet, dimanche dernier, il a déposé par l’envie de Marta, l’ordinateur personnel de cette dernière avec sa clés USB. Ce qui m’étonne, c’est que mon équipe qui passe en chambre, n’a pas remarqué leur présence. Une hypothèse, me suggère qu’ils furent bien cachés sous le matelas épais...

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