Les aiguilles dans la veine
L’odeur de médicaments, le bruit de drôles de machines, les gouttes…je me pense dans une chambre d’hôpital. Est-ce un rêve ?
— Bonjour Mademoiselle Ramos, vous m’entendez ?
Mes yeux clignent lentement, je sens une sonde dans mon nez, les aiguilles dans mes veines. Une infirmière se penche légèrement, en douceur pour attendre ma réponse. Je tente de me relever, elle m’en empêche mais lève mon lit :
— Où…suis-je ? La…la cave….
— Vous avez dormi trois jours. On vous a retrouvé dans…dans un état critique. Vous vous rappelez de quelque chose ? Prenez votre temps pour répondre, je vais vérifier les constantes. Je m’appelle Dorine, je serais là souvent. Vous voulez être tutoyer ou vouvoyer ?
Je n’ai pour le moment aucune réponse à donner, elle ne se formalise pas. Mon crâne me brûle, je me masse pour calmer sauf que je remarque que je suis chauve. Je m’observe un peu mieux tandis qu’elle note sur un carnet les données de l’étrange machine qui reflète mon cœur. Je suis maigre, je sens presque mes os. Des bleus, mon corps engourdi et le pire…des bandages sur mes mains mutilés…Une douce larme, un sentiment de liberté.
— Ce n’est pas un rêve ?
— Non, vous êtes en sécurité ici.
— Rien ne me revient…Et je…tu, ça m’irais bien. Je peux le, tu ?
— Pas de problème pour ça, Marta. C’est un jolie prénom.
— Tu…c’est bien les données ?
— Tout semble stable maintenant, mais je vais quand même vérifier, d’accord ? Je vais commencer par la tension. Tu m’autorises ?
J’acquiesce en ayant un peu peur. C’est quand elle touche mon bras droit, relié à un tuyau, qu’une sensation étrange se produit. Elle ne le remarque pas, occuper à serrer une sorte de bande autour.
— Je prends ta tension avec un brassard automatique. Ça peut serrer un peu.
La bande se gonfle, presse, puis relâche. Ce temps est assez long pour me couper un peu le souffle. S…Sergio ! Il me revient ! Sa poigne quand il me prenait pour m’enchaîner de force, ou me mettre à genoux pour me punir….
— Tension à 93/58… un peu basse mais pas inquiétant. Ton cœur tient bien, ce qui est incroyable venant d’un cœur artificiel unique, ayant une avance de plus de vingt ans d’avance.
Elle lit un écran au-dessus de moi, je reviens ici, dans ce lieu si blanc que ça contraste avec l’enfer.
— Je vais vérifier l’oxygène. Ce que tu as au doigt, c’est un capteur. Une sonde de saturométrie. Là, tu es à 96 %. C’est très bien. Tu respires presque toute seule. L’air passe par une sonde nasale à oxygène. Juste un petit débit. Le respirateur est encore branché mais il ne travaille plus beaucoup. Tu le sens ?
— Un peu….
— Je vais contrôler la perfusion.
Elle soulève une poche transparente suspendue à une tige métallique.
— Ça, c’est du sérum physiologique. Tu es branchée à une voie veineuse centrale. On t’hydrate et on t’apporte un peu de nutrition.
Elle ajuste un boîtier qui clignote.
— La pompe fonctionne bien. On te donne aussi des antidouleurs en continu, avec un pousse-seringue électrique.
Je sens une gêne plus bas, entre les jambes. Comme si quelque chose m’était resté.
— Tu portes encore une sonde urinaire. Pour t’éviter les efforts. On la retire bientôt, pas d’inquiétude.
Elle inspecte une poche à demi remplie.
— Les urines sont claires. Tes reins ont bien repris. C’est bon signe aussi, ton corps bien que marqué, garde une bonne capacité de régénération.
Je tousse et elle réagit de suite avec cette douceur naturelle :
— Tu as encore la gorge irritée. On t’avait intubée au début. On a retiré le tube hier, mais ça gratte encore un peu. Je vais humidifier ta bouche, puis te proposer de l’eau gélifiée quand ce sera possible.
Elle prend un thermomètre, le glisse dans mon oreille.
— Température à 37 pile. Nickel. Pas de fièvre.
Elle m’observe longuement. Ses mains sont chaudes sur mon bras.
— Tu es en sécurité maintenant. Tu es à l’hôpital. Soignée. Au fait, tes proches attendent dehors, tu veux qu’ils viennent ? Ou tu préfères rester te reposer ?
Je pleure une seconde fois en silence. Mes parents ? Ils ne vont pas me reconnaître, autant que moi…Adela, ma grande sœur, toi, toi, ho oui. Son visage paniquée quand je crois m’avoir souvenu l’avoir prévenu. Et ce fou a dû lui envoyé mes doigts…J’ai merdé, j’ai payé.
— Je…oui.
— Je vais les chercher alors.
….
— Mesdames, Monsieur Ramos ? Votre fille accepte que vous passiez. Son état est rassurant, c’est un vrai miracle vu les conditions inhumaines où elle était retrouvé. N’oubliez pas, quand même, de vous lavez les mains et portez un masque par sécurité.
— Merci Madame de cette bonne nouvelle après ces jours d’angoisses.
Mon père reste droit malgré la peine. Je soulève ma mère, qui n’a pas dormie. Moi, j’avais essayé, juste quatre heure. Roberto avait voulu également venir ce soir, j’ai insisté pour qu’il se repose, prenne du recul.
Marta est en sécurité, dès les premières heures de son arrivée aux urgences, elle est en vie malgré les lourdes séquelles : très maigre, corps avec pleins d’hématomes, traces de laisses et de chaînes, rasée et ses mains amochées…Il y a juste une forte suspicions de violences sexuelles.
— Prêt ?
— Trois jours où on nous a refusé l’entrée. Se souvient-elle encore de nous ?
— Courage maman, ça viendra avec le temps. On parle de la transférer dans un centre spécialisé en traumas dans d’ici la semaine prochaine. Là-bas, si, elle ne se rappelle de rien, elle va apprendre à revenir à elle.
Mon père masse ses épaules et j’ouvre le bal pour rentrer dans le sas. Les masques nous attendent, le gel est froid sur mes mains moites. Ce n’est rien face à la photo cadavérique qui s’offre à nos rétines.
Certes, on s’y attendait, mais il nous faudra du temps pour s’y habituer. Mes parents s’effondrent dans les bras de ma sœur et moi, j’hésite car je vois surtout Sergio, cet oncle aussi, l’a briser.
Pourquoi ? Si le meurtre du médecin était bien programmé ? Si Marta a bien réussie ? Est-ce parce qu’elle pouvait finalement parlé ? L’avocate nous avait quand même prévenue que Marta reste la suspecte numéro un pour la police. Heureusement, elle fait tout pour démontrer que ma sœur a été manipulée et qui sait, elle n’a jamais été sur place.
J’ai déposé mon témoignage, je n’ai plus osé chercher à revoir les possibles membres de ce club. L’enquête suit son cours. Pour le moment, seule ma petite sœur compte, on ne veut plus savoir l’indicible, on veut plus jamais la lâcher. Elle a des aiguilles dans la veine, elle va retrouver notre sang, la famille, le noyau.
Annotations
Versions