Rompre les digues
Elle reste dans cet état d’âge de cinq ans, nuit et jour désormais. Sa conscience adulte, sa perdition, la rendait déjà vulnérable. Le moindre mot, le moindre geste peut l’a renfermé, la faire pleurer ou piquer une crise de nerf.
En ce samedi matin, c’est l’heure de jouer. J’ai eu son accord ainsi que celle du centre pour inviter quelques amis pour proposer un Monopoly. Après le débriefing sur le parking, l’annonce à l’accueil et la visite rapide des lieux, on s’avance dans le parc. Une cantinière nous a informés que Marta était dans les parages.
— Elle est débout ou en fauteuil ? Me demande Silvia
— Les séances de kiné restent pour améliorer son tonus. Elle a refusé de reprendre les essais en stabilisateur.
— Je crois que je la vois sergent Roberto ! S’amuse César
— Moi aussi César ! S’exclame Tania sur la pointe des pieds
Je ris en douceur et on observe bien. Marta n’a que son doudou d’enfance, elle touche une hai taillé en carrée, sent le tout.
— C’est autant beau que triste. Deux mois de privations de tout ses sens, c’est comme si elle renaissait.
— Et oui Silvia. Elle ne sort pas beaucoup finalement. Et puis, je viens de penser que la psychologue voit dans sa régression, une phase pour se protéger certes mais surtout pour repartir sur de bonnes bases. L’enfance, les premiers mots, les premières erreurs, les premiers apprentissages disons, la famille.
— Heureusement, ce n’est pas irréversible. Tiens, elle vient vers nous.
César se rapproche et je sais d’avance que :
— T’es qui toi ?
— César, un ami à toi et Roberto.
Marta fronce les sourcils, mâche l’oreille de son doudou, se détend un peu quand je suis à genoux pour doucement effleurer ses genoux.
— Tu t’en souviens pas mais ce sont nos amis. César et derrière moi, à gauche, Silvia et à droite Tania.
— Copains à toi et doudou lapinou ?
Je ressens les sourires derrière moi.
— Oui, tous copains. On voudrait te proposer de jouer aux Monopoly. Tu veux ?
— Roule salle de jeux, le docteur m’a pans mes bobos.
Je la guide jusqu’à la salle. Le jeu est vite mis en place et elle écoute les règles toujours en mordillant le doudou. Les pansements sur ses moignons surtout la main gauche, rend ses gestes peu précis. Peu d’échanges, rarement de rires malgré nos tentatives. Alors, on continue d’être là jusqu’à elle tombe sur la case prison :
— Au moins, je n’ai pas de chaines, je suis debout.
Que dire à ça ? D’un commun accord, on ne fait comme si de rien n’était et on termine la partie.
— Bien, tu as aimé ?
— Peut parler qu’à toi ?
— Ici ou dans la chambre ?
— Chambre.
Elle s’en va seule, laissant son doudou d’un coup sec sur la table. Dans sa voix, ses yeux, sa posture, une indication que la phase est terminée.
— On se retrouve à l’école ?
— Je passerais vous voir Tania.
— N’oublie pas son doudou.
— Merci Silvia.
Marta m’attends devant une pile d’album photos devant son bureau. Mes pas ne l’a font pas réagir. Je demande doucement :
— Où tu veux que je le pose ? En tout cas, je suis content que tu reviennes disons à…
— Tu le reconnais ?
Elle me désigne une photo de famille, elle fête ses sept ans dans le même salon des Ramos. Rien n’a changé sauf le temps. Sa sœur était encore de passage et son oncle vu son doigt tendu sur le costard qu’il porte. Ses joues plus rond, sa peau moins blanche.
Je n’arrive pas à suivre ses pensées. Son oncle était rarement là même si je comprends la haine envers lui, l’origine de tout. Le culte, le cœur. J’ose là forcer à s’expliquer :
— Marta, c’est ton oncle Nicolas. Tu ne te souviens plus qu’il était rarement là ?
— Je sais que j’ai l’état d’un enfant. Au début, c’était un test, j’avais compris que ça me protéger. Mais, pendant que mes parents m’ont emmené les photos ces quinze derniers jours, je n’ai pas dormi. J’ai regardé. Oui, il était là. Il est encore recherché comme Sergio aujourd’hui.
Elle prend une grande inspiration avant de lâcher un séisme :
— Dans la grande prison, il avait autant abusé de moi que durant le peu de mon enfance.
Je déglutie, je transpire, j’ai soif et c’est à mon tour de serrer ce pauvre lapin.
— Tu arriveras à en parler en thérapie ?
— Perdu dans mes états. La nuit les doudous me protègent et ça continue quelques matins. Je suis fatiguée. Je pense inventer, je veux oublier pour le moment. Je dois déjà parler d’avant Sergio…
— Tu veux continuer à m’en parler de tes souvenirs ou on parle d’autres choses ?
— Dit rien à autre. Mon rendez-vous psy plus tard. Désoler pour avoir été enfant, besoin.
— Ne t’excuse pas, tu reviens de loin et c’est un moyen de te protéger. Si tu veux, je te chantes une chanson ?
Elle accepte après l’avoir aider à s’installer dans son lit. Elle s’endors assez vite avec le lapin dans ses bras. Avant de quitter la pièce, je compte refermer l’album mais, j’ai eu l’idée d’écrire sur un papier :
« Parmi ces monstres protéger par tes peluches, je resterais un super allié de tes nuits et jours. Tu as toujours eu la force dans le silence de tes cries. Je t’aime, c’est toi mon Elue, celle qui m’a Éveillé. Je sais que ces mots ont été mal usés, aujourd’hui, je te les transformes. Tu es en vie, tu te bats pour exister. Un jour, un vrai cœur tu auras le droit, c’est prévu. Un jour prochain, ils seront en prison, avec les chaines. Je t’aimerais à jamais ma belle. Roberto ».
Je m’en vais, le cœur léger avec pleins d’autres idées pour lui rendre lui sourire.
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