VAGINA DENTATA
8h25 devant la porte. Il y a marqué sonnez et entrez.
Je m'exécute.
La salle d'attente est vide et blanche, lumière blanche sur mur blanc, mur blanc sur plinthes blanches, plinthes blanches sur parquet flottant dans un bruit blanc.
Poufs, vert pétard.
Je ne m'assie jamais dans les salles d'attente, je n'ai pas le temps.
Sur le mur est accroché une affiche, on peut y lire les tarifs écrits en gras d'un noir menaçant. Deux prospectus sur une table basse et puis plus rien, rien que du blanc. Dans le couloir qui mène à la salle de torture, trois photographies encadrées se succèdent. La première, une photographie d'un maigre ruisseau aux galets semi immergés surplombé par quelques façades résidentielles fades en hiver. La deuxième, le même décor au printemps, toujours peu d'eau, les quelques arbres mi-feuillus au bord du ruisseau font penser à quelques cheveux récalcitrants sur la tête d'un patient en chimiothérapie. La troisième, en été, les galets suffoquent, la verdure est acceptable, quoi que quand même en peu sèche, les facades sont toujours aussi angoissantes. Les trois clichés sont plutôt laids, le paysage banal semble avoir été capturé avec amateurisme et l'ensemble de l'oeuvre et sa chronologie me rappelle à quel point la vie est monotone, peut être était-ce le message subliminal de l'auteur? Quoi qu'il en soit, quelqu'un a jugé bon de s'emmerder à les encadrer pour les montrer à quelques patients impatients passant par là. On sent parfois dans la fierté des racines d'un peuple la naïveté des mères qui enjolivent éperdument leurs hideux rejetons.
8h32. Le rendez-vous était à 8h30.
J'ai connu un dentiste à cheval sur les horaires. La seconde de retard vous était fatale, elle pouvait en un cliquetis d'horloge repousser votre souffrance des semaines durant. Il disait d'un ton grave : L'heure c'est l'heure Mr Untel. Allait dans son bureau et vous ramenait une carte oú etait écrit et surligné trois fois la date et l'horaire du nouveau rendez vous. Une véritable tête de veau. Cela dit, un très bon dentiste. Un jour que j'étais arrivé à son cabinet une heure à l'avance, le soleil ne s'était pas encore levé, il avait ouvert le cabinet devant moi. Furieux, il m'avait regardé d'un air méprisant en me dévisageant comme si j'étais l'un de ces zinzins qui plantent leurs Scénic rouillés sous les lampadaires des parking d'Auchan les jours de Black Friday. Ce jour-là j'ai souffert.
Je ne lui ai jamais repris de carte.
8h36. Toujours personne.
8h38, la porte s'ouvre.
Une brune, la trentaine, peau mat, sourire solaire, dents en porcelaine , évidemment. Elle a de petits yeux noirs enfoncés, profonds et perçants, presque extrêmes orientaux, du moins orientaux plus proche. Ses cils sont très fins, tout comme ses lèvres et les traits de son visage. Ses cheveux noirs sont courts, elle porte deux perles rouges à ses oreilles. Son nez est plutôt grossier mais sans plus, il me fait penser au design agressif d'un capot avant d'une voiture de sport Italienne. Elle dégage de son corps un melange melodieux de force et de douceur. On peux palper le caractère.
Mr Untel? Oui? Veuillez me suivre s'il vous plaît.
Voix, sucrée.
Elle se retourne et je la suis, sa chevelure au carré laisse entrevoir un cou saillant, sa longue blouse file jusqu'en dessous de ses genoux. Là, le tissu de son jeans slim épouse la forme de ses fins mollets musclés. Pour ce qu'il y a sous la blouse, on peut allègrement se douter en se référant à la vue et l'imagination que les courbes sont fluides et étroites, fermes et cintrées.
Entrez donc, je vous en prie.
Pas un mot sur le retard, ça aurait plu à tête de veau. Elle s'apprêtait peut être pour moi?
Pas la peine de vous excuser mademoiselle, la patiente est vertue des ânes et vous êtes ma carotte de sable, bien mûre et bien juteuse.
J'entre dans la salle d'opération.
Blanche immaculée.
Allongez vous Mr Untel..
Et si on crevait l'abcès, Maryam?
Un luminaire futuriste au faiseau hâlé tout droit sortie du cerveau malade de Tim Burton se dresse au dessus de mon visage.
J'ai cru un instant qu'il fallait dire la vérité, oui! J'avoue! J'ai envie de...!
Ouvrez la bouche Mr Untel.
Elle dépose délicatement l'hameçon qui commence déjà à aspirer, je bave depuis le couloir.
Elle osculte d'un air grave, commence à pénétrer ma bouche de ses petits doigts. Elle a des gants roses, une vraie femme comme on en fait plus. Son index en latex frotte délicatement ma gencive, on peux entendre les murmures des frottements humides, un morceaux de Barry White et je suis foutu. Je ferme érotiquement les yeux. Hume son parfum. Rouvre les yeux. Contemple sa beauté. Et ses yeux noirs qui fusillent du regard ma chicot pourrie.
Hum...
Je hoche la tête.
C'est nécrosé Mr Untel.
Pardon?
Ses doigts se retirent brusquement.
Je vais procéder à une anesthésie.
Ok.
Une aiguille vient se planter dans ma gencive. Du pipi de chat.
Puis elle se lève d'un coup sec de son tabouret, j'entends ses petits pas saccadés tasser le sol, la lumière m'éblouit, puis vient le bruit strident d'une roulette furieuse, masquant les pets grotesques de l'hameçon m'attrapant un bout de lèvre.
Ouvrez grand la bouche.
...OK.
Et c'est parti. Elle m'attaque à grand coup de meuleuse. Ça ressemble à un homicide. Je sens des petits bouts de moi-même percuter mon palais. Son parfum s'est évaporé. J'ai dans la bouche un goût nauséabond, j'aurais juré qu'elle avait enfoncé au fond de mes amydales l'une de ces pastilles bleues qu'on jette au fond des pissotières des aires d'autoroute miteuses. J'ai envie de chialer.
Je ne vous fait pas mal Mr Untel?
Je fais non de la tête.
Oui de tout mon être.
Je ferme horrifiquement les yeux.
D'un coup, la meuleuse s'éteint, on n'entend plus que les râles de l'agonie de l'hameçon. Un moment de répit, elle revient avec une espèce de grosse aiguille en angle droit pour racler le fond en appuyant comme une dégénérée. J'ai la larme à l'œil. Un dernier coup de scie sauteuse avant de marteaupiquer!
Et voilà, c'est fini! Qu'elle me fait avec un sourire sadique.
Je garde la face et lève mon pouce.
Durée : 6minutes.
Ressentie : soixante.
Vous pouvez vous rincer la bouche.
Ok.
Venez à mon bureau.
Oui.
Je lui donne ma carte vitale, elle tapote des trucs à l'ordinateur. Sur le bout de ses longs doigts fins, des arcs de cercle bleus clairs vernissent l'extrémité de ses ongles. Elle se tourne vers le calendrier sur sa droite, j'aperçois furtivement une minuscule croix du christ tatoué sous le lobe de son oreille.
Une Espagnole, qui en aurait douté.
On se revoit dans deux semaines Mr Untel?
Elle me tend une carte, ah, tiens...
Mais attends, quoi?!! bordel, pourquoi faire! Tu m'as pas assez trucidé? J'aurai dû dire la vérité dès début!
J'ai dit OK, pas de soucis mais...
Mr Untel, je vais devoir dévitaliser la dent, c'est une intervention qui nécessite du temps. Pour cela il faudra plusieurs séances, je vous ai désinfecté, posé un pansement. La prochaine fois, on s'occupe du nerf. Je vais devoir envisager la pose d'une couronne, les tarifs sont élevés il faudra voir avec votre mutuelle si...
Un léger duvet brun recouvre ses avants bras, je trouve ça charmant. Sur son poignet gauche trône un petit bracelet de paille rouge à frange, pas de quoi en faire une diseuse de bonne aventure, loin de là, mais elle est toute en méditerranée, j'en ai le sel au bout des lèvres et du coeur, peut être est-elle Ritale?
Mr Untel?
Euh... ouais.
Votre carte vitale.
Ah. Oui. Eh bien, merci.
Je vous en prie.
Elle m'accompagne jusqu'à la porte.
A bientôt Mr Untel!
C'est ça. A bientôt.
Je passe devant les photographies du couloir. Me retourne vers ma tortionnaire.
Dites, qui a réalisé ces photographies?
Elle me répond, c'est moi Mr Untel, en me gratifiant d'un sourire malicieux, voire facétieux.
Ah... Elles sont... magnifiques.
Merci Mr Untel. Elle ferme la porte.
Il parait que l'Italie est magnifique. Elle doit être Espagnole.
Je m'approche d'un des cadres. Une signature en bas à droite :
G.Basilico.
Une Italienne. J'en étais sûr! Oh Gabriella! Force de dieu!
Un vieux dans la salle d'attente assis sur le pouf vert fixe le mur blanc en face de lui d'un air hébété.
En passant, je lui dit bon courage mon vieux en tenant ma mâchoire dans la main, j'ai dû trouver ça drôle sur le coup.
Arrivé chez moi, la douleur s'est réveillée.
Le vieux lui devait certainement déguster tout autant.
Cette nuit là j'ai pas dormi. Ni celle d'après d'ailleurs. Mais c'était pas grave, les nuits d'avant non plus. J'ai pris les quelques médocs qu'il me restait. Comme j'avais rien pour me faire un bain de bouche, je me suis servi un whisky pur, j'y ai jeté deux glaçons. J'ai fait la moue de l'eunologue. Les trois verres qui ont suivi sont parti directement dans le foie.
Trois heures du matin. Une clope à la fenêtre. La ville est blême et silencieuse. On a peut être annoncé les funérailles de ma molaire.
Je déverrouille mon téléphone. Sur les réseaux sociaux tape.
G.Basilico.
Que dalle.
Sur Google.
G.Basilico.
Ah, tiens, Gabriele Basilico.
Merde, un vieux barbu austère.
Proffession: photographe.
Bordel de merde.
Je prend dans mes mains la carte ou est noté le prochain rendez vous dentaire: lundi 28 septembre. 8h30.
Au dos, en dessous de la molaire photoshopée qui fait office de logo il est écrit: C . Ferreira . chirurgien dentaire.
Une portugaise. Oui. Pourquoi pas.
Je suis parti pisser et en ai profité pour jeter la carte dans la cuvette. J'ai tiré la chasse. Bon voyage vasca de gama.
Je suis parti au lit et j'ai ressenti une furieuse envie de faire bouger les draps. J'ai pris mon fidèle dans les main et l'ai secoué en pensant à la dentiste nue dans ce satané ruisseau jusqu'à le faire pleurer.
À bientôt Mr Untel...
Ça allait un peu mieux.
J'ai fermé les yeux me suis demandé si par mégarde j'avais eu une erection spontanée pendant que madame Ferreira faisait de moi sa petite chose?
Oh, après tout on s'en fout! Je vais rappeler tête de veau!
J'ai réussi à m'endormir.
Que dieu vous prothèse des femmes.
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