Les Pirates de Vaste-Ciel

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— Capitaine ?

Jakamar échangea un regard entendu avec sa seconde.

— Abaissez les voiles, Orielle.

Tandis que la jeune femme répétait ses ordres avec de grands gestes, il s’appuya contre la rambarde osseuse de la timonerie et esquissa un large sourire. Ses cheveux fauves se soulevaient, agités par de puissantes bourrasques. Attachée au sol, Arvine regardait ahurie son ravisseur.

— Vous n’êtes pas sérieux ?

La guerrière avait compris où Jakamar avait l’intention de diriger sa merveilleuse baleine-navire. En se penchant sur le côté, elle observa avec appréhension le cumulonimbus qui tourbillonnait devant eux. La rumeur du vent bourdonnait déjà à ses oreilles.

Jakamar se tourna vers sa prisonnière et son sourire s’élargit de plus belle. Son pardessus noir claquait dangereusement et la jeune fille se demanda par quel miracle son tricorne tenait encore sur sa touffe écarlate.

— On va droit vers le cyclone !

— En effet, s’amusa le capitaine.

Interpelée par le bruit des cordages, Arvine se retourna pour découvrir les trois mats osseux de la baleine se dénuder.

C’est pas vrai ! jura-t-elle. Ils comptent vraiment naviguer là-dedans ?

Voiles abaissées, la baleine était prête à s’infiltrer dans le cyclone. Ses courants éoliens devaient pourtant être aussi violents que ceux de l’octi juste en-dessous. Pouvait-on vraiment sortir indemne de cette barrière de nuages ? Loin d’hésiter, les pirates se rapprochaient avec fermeté du cumulonimbus. Arvine sentit son cœur taper contre sa poitrine.

— Angoissée ?

La guerrière ne trouva rien à répondre à Jakamar. Il s’était penché vers elle et ne se lassait pas de son air amusé.

— Accroche-toi bien, ça va secouer, lui conseilla-t-il.

Abasourdie, Arvine le fixa du regard. Se moquait-il d’elle ? Elle était clouée au sol, les mains attachées dans le dos et liées à la rambarde.

— Nous sommes prêts, capitaine ! hurla Orielle du pont principal.

— Tous à vos postes ! répondit-il sur le même ton.

La baleine émit un long sifflement dont les notes graves résonnèrent douloureusement dans la tête d’Arvine. Elle sentit l’animal onduler sous ses pieds et son cœur de souleva ; paniquée, elle battit des pieds pour se coller contre la rambarde. Les plaques osseuses de la baleine s’écartèrent et s’entrechoquèrent en suivant les mouvements de son corps.

C’est pas vrai ! C’est pas vrai !

Arvine n’arrivait toujours pas à réaliser qu’elle se trouvait sur le dos d’une de ces créatures célestes et titanesques à l’épaisse ossature. Par elle ne savait quel maléfice, cet individu-ci avait d’ailleurs été transformé en un navire à part entière. Mais même si ses nageoires semblaient fendre les cieux avec puissance, la guerrière doutait que la baleine puisse retrouver son équipage indemne de l’autre côté des nimbus.

On va tous y passer ! angoissa-t-elle.

Jakamar accrocha avec une corde solide son poignet à la rambarde, juste à côté d’Arvine, et enleva son tricorne pour le presser contre son cœur. Il paraissait tout excité de la traversée. Le regard pétillant, il se pencha vers la baleine pour caresser son ossature et murmura d’une tendre voix :

— Nirva, ma belle Nirva, fais-nous rentrer à la maison !

La baleine siffla une seconde fois, comme si elle l’avait compris. Aussitôt, la créature battit vigoureusement des nageoires et Arvine ne put s’empêcher de crier : sur le dos de Parsec, elle était habituée à voler dans les airs mais les circonstances actuelles dépassaient en tout point ses expériences. La baleine était puissante, bien puis puissante qu’un simple oiseau.

Le rostre de l’animal percuta la barrière du cyclone. Avec un second coup de nageoires, la baleine s’infiltra dans le cumulonimbus et la force du vent coupa le souffle d'Arvine : foudroyée, elle fut projetée contre la rambarde qui percuta douloureusement ses côtes. Elle émit un gémissement – un murmure parmi la tempête – et sentit la main de Jakamar lui saisir la taille. La guerrière ferma les yeux, incapable de les garder ouverts tant le courant éolien était intense. Le vent tapait violemment ses oreilles, à tel point qu’elle ne s’entendait même plus hurler.

La baleine redoubla d’efforts. Tandis qu’elle ondulait son corps pour lutter contre la puissance du cyclone, Jakamar attira Arvine jusqu’à lui et la serra contre son torse. Protégée, la jeune fille garda cependant les yeux fermés par la peur. Des acouphènes sifflaient déjà dans sa tête.

Ne t’évanouis pas, idiote !

Un parfum tonique et viril se dégageait du torse de Jakamar. Se raccrochant à cette fragrance, la guerrière lutta contre la myriade de points noirs qui dansaient sur ses paupières. L’odeur était si forte qu’Arvine suffoquait presque, mais elle était aussi étrangement rassurée. La main du capitaine sur ses hanches avait beau la révolter, elle se sentait bien dans ses bras, sans pouvoir se l’expliquer.

— On arrive au mur du cyclone ! entendit-elle.

Le capitaine lui criait dans les oreilles et pourtant elle devait froncer les sourcils pour discerner ses mots.

— Serre-toi contre moi, ça va encore plus secouer !

Arvine retroussa ses lèvres comme un carnassier ; les canines aiguisées de la gladiatrice auraient pu dissuader Jakamar d’oser lui redonner un ordre à l’avenir, mais les circonstances étaient trop exceptionnelles et le danger trop imminent. À contre-cœur, Arvine se pressa de toutes ses forces contre le torse du capitaine et prit une grande inspiration parfumée.

Le choc fut brutal. Encore plus violemment que lors de leur entrée dans le cyclone, le vent fouetta leur corps et les bouscula. Arvine sentait que ses membres étaient prêts à se déchirer, comme une feuille fragile au milieu d’une tempête. Protégée par les bras de Jakamar, elle garda cependant son cou d’une dangereuse torsion et enfonça encore plus son visage dans le pardessus de l’homme. Les bourrasques étaient insupportables et le cri du vent, jusque-là atténué par son abri, résonnait de plus belle dans son crâne.

Que ça s’arrête ! C’est insoutenable !

Les soubresauts de la baleine achevaient de les secouer et, l’espace d’un instant, Arvine crut véritablement qu’elle allait finir déchiquetée dans les cieux, comme sa mère et son petit frère autrefois. Au moins aura-t-elle connu la mort au-dessus de l’octi.

La tempête cessa brusquement. Ce fut une véritable libération : son corps se relâcha entièrement, alors qu’il s’était contracté pendant plusieurs minutes pour lutter contre les courants éoliens. Les hurlements de la tempête avaient cédé la place à un calme surréaliste ; la voix de Jakamar lui parut lointaine lorsqu’il lui adressa ces quelques mots :

— Tu t’es bien accrochée, gamine !

Alors qu’il desserrait son étreinte sur elle, Arvine rouvrit péniblement les yeux. Un soleil radieux brillait juste en haut et il lui fallut un moment pour s’habituer à ses rayons. Lorsque la vue et l’ouïe lui revinrent parfaitement, la guerrière embrassa le paysage grandiose qui l’entourait, la bouche grande ouverte.

Ils avaient volé jusqu’à l’œil du cyclone.

Comment était-ce possible ?

La baleine progressait au sein d’un espace immense entouré de nuages. Impressionnée, Arvine suivit des yeux leur silhouette circulaire. Elle se serait crue au beau milieu d’une arène de gladiateurs comme elle n’en avait jamais vues. De manière un peu maladroite, elle se demanda soudain si celles des Îles Centrales étaient aussi spectaculaires. Puis, secouant la tête, Arvine se trouva idiote de penser à ce genre de choses à un tel moment. Plus ils se rapprochaient du centre de l’œil et plus il lui semblait discerner la silhouette de quelques îles flottantes.

Quoi, ici ? Un repère de pirates ?

Le rire de Jakamar lui donna raison.

— Bienvenue à la maison ! hurla-t-il à son équipage.

Derrière, un tumulte extraordinaire lui fit écho. Arvine haussa les sourcils.

Incroyable, ils ont tous survécu.

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