Chapitre 35 : Soupe d'orties

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Marc venait de laisser Rosa devant la porte d'embarquement. Elle lui manquait déjà. Il n'avait pas pu se libérer pour l'accompagner jusqu'à Paris. Il ne pourrait pas la toucher de nouveau avant quatre longs mois. Une véritable torture qu'il s'efforçait d'oublier. Elle devait évidemment voir sa mère, cette femme qui n'avait pas su aimer Rosa. Elle devait régler cette histoire bien qu'il ait quelques doutes concernant le directeur de l'hôpital. Il contacterait Robert pour qu'il veille sur la jeune femme. La frustration lui noua l'estomac. Encore une fois il ne pouvait pas être présent à ses côtés. Ce fut le visage fermé qu'il passa la porte du restaurant. Julia était tentée de lui asséner une petite pique pour se venger de l'avoir éconduite. Elle changea vite d'avis quand elle vit son humeur de dogue.

Entre les deux services, il s'enferma dans son bureau, les yeux rivés sur son téléphone attendant d'avoir un message de sa belle. Il sourit en voyant la photo sur son fond d'écran. On y voyait Rosa, les yeux gourmands, prête à engloutir une bouchée de l'un des plats qu'ils avaient cuisinés ensemble à l'appartement. Elle était si belle. Il se souvenait de ce qui avait suivi. Comment il l'avait attrapée par les hanches pour l'embrasser à pleine bouche, encore et encore. Leurs vêtements s'étaient rapidement volatilisés. Il avait pris le temps de goûter chaque centimètre de sa peau douce et satinée. Quand ils n'en avaient pu plus, il s'était enfoncé en elle, savourant la douceur et la chaleur de son intérieur. Il avait avalé ses soupirs et ses gémissements alors qu'il allait et venait en elle, partageant cet instant de plaisir intense. Quand il s'était déversé dans le préservatif, il avait ressenti ce besoin de la faire sienne, qu'elle soit attachée à lui, qu'elle devienne aux yeux des autres sa femme. Au moment de l'orgasme, il lui avait déclaré :

- Je t'aime, oh je t'aime tellement Rosa.

Elle avait répondu à sa déclaration, les larmes au bord des yeux, chamboulée par ses sentiments si forts qui lui prenaient le ventre. Cela avait été un déchirement de quitter Marc à l'aéroport. Elle était repartie à contre-cœur du territoire américain. Comme un adieu, elle avait retenu ses larmes aussi longtemps qu'elle avait pu. Les perles salées s'étaient écoulées malgré elle quand elle avait pris place dans l'avion. Elle savait qu'elle devait régler le problème par elle-même. Mais il était aussi douloureux de quitter les bras de son amant.

Ce fut Robert qui l'accueillit à l'aéroport. Elle était heureuse de retrouver son ami en bonne forme. Il lui raconta sa reprise du travail et les derniers potins du restaurant.

- Tu peux me déposer à la gare ?

- Tu ne veux pas prendre une nuit pour te reposer ? Tu as fait un long vol.

Elle soupira. Il avait raison bien sûr, mais elle sentait son courage diminuer à mesure qu'elle passait du temps sur le même territoire que sa mère.

- Je veux le faire le plus tôt possible.

- Donne-moi l'adresse, je t'y conduis.

Elle essaya vainement de protester, mais fut finalement soulagée de ne pas y aller seule. Il leur fallut deux bonnes heures pour atteindre l'édifice situé en banlieue. Il avait tout de l'hospice décrépi. Sa mère allait mourir comme elle avait vécu : dans la misère. Rosa s'en était voulu longtemps de ne pas pouvoir aider sa mère, jusqu'au jour où elle avait compris que sa mère préférait sa dose d'opiacé à sa propre fille. Elle l'avait vendue à un salopard pour lui prendre sa virginité. Il ne l'avait pas prise, mais elle avait perdu son innocence et sa naïveté. Elle avait répété dans sa tête toutes les choses qu'elle souhaitait lui dire. A mesure qu'elle approchait, elle oubliait son discours. Nerveuse, elle eut du mal à trouver son chemin. Elle dut patienter devant le bureau du directeur, son anxiété monta encore davantage si cela était possible.

- Madame ! Je suis ravi de vous voir si vite.

- Bonjour, il me semblait que votre demande était urgente.

- En effet, hum. Venez, nous serons mieux dans mon bureau.

En fait de bureau, c'était une petite pièce qui faisait penser à un cabinet médical. Les étagères croulaient sous les ouvrages médicaux et de psychologie. Le bureau était couverts de dossiers éparses donnant au lieu une impression d'exiguïté. Seul atout de la pièce, la fenêtre donnait sur un grand parc arboré, véritable bouffée d'oxygène dans ce lieu tout droit sorti d'un film d'horreur.

- Je vous ai préparé un document comprenant le détails des soins et actes médicaux effectués sur la patiente. Vous pourrez observé que nous avons diminué fortement les opiacés de façon à la sevrer presque complètement ces derniers mois.

- Pourquoi me montrez-vous tout ça ? Il y a un problème ?

Il se gratta nerveusement la nuque, un rire gêné s'échappa de ses lèvres. Agacée, Rosa l'invectiva :

- Vous allez me dire clairement ce que je fais là !

- Hum OK après tout autant y aller clairement. Votre mère n'a pas de revenu, elle touche juste une aide de l'état, mais pas suffisamment pour couvrir les frais engendrés par les soins. Je vous ai fait venir pour régler la facture, puisque vous êtes son héritière.

- Je n'ai plus de contact avec ma mère depuis des années, elle n'a jamais subvenu à mes besoins et je devrais payer pour elle ?

Rosa était déçue et en colère. Encore une fois c'était elle qui devait payer pour sa génitrice. Puis elle se dit que c'était la dernière fois.

- Combien ?

- Comment ? demanda surpris le directeur.

- Combien de temps lui reste-t-il à vivre ?

- Quelques jours tout au plus. Voulez-vous la voir ?

Lasse, elle se passa la main sur le visage. Maladroitement, le directeur sortit la facture et montra du doigt le montant des dettes. Il avait inclus également les frais d'obsèques . Très bien, Rosa ne ferait qu'un chèque. Il n'aura pas plus que ce que cette facture annonçait. Le montant était déjà exorbitant.

- Oui, je vous ferais le chèque lorsque je l'aurai vu.

Il hocha la tête et la guida à travers différents couloirs où circulaient des agents d'entretien et des infirmières. L'endroit avait tout du mouroir. Les murs autrefois blancs viraient sur le jaunâtre. On avait essayé d'égayer les lieux par des tableaux très colorés. La désuétude les rendaient ridicules et déplacés dans ces longs couloirs. Au détour de l'un d'eux, le directeur, frappa un coup sur la porte et entra. La chambre comptait cinq lits. Seuls trois étaient occupés. La fenêtre ridiculement petite ne pouvait s'ouvrir que de quelques centimètres. Une odeur aigre emplissait la pièce. Les patients semblaient tous dormir ou végéter.

- Nous sommes dans le secteur des soins palliatifs.

Il la guida vers un lit où une vieille femme squelettique était selon lui sa mère en fin de vie. Rosa ne la reconnut pas. Mais la drogue et la maladie avait rongé le corps déjà malmené par la vie dissolue qu'elle avait menée. Elle reconnut cependant le pendentif qui se trouvait autour du cou. Un bijou de famille, le seul que sa mère n'avait pas mis au clou pour acheter sa dose. Le directeur s'éclipsa et la laissa seule près du lit de celle qui l'avait mise au monde. Elle prit une inspiration et parla. Sans discontinuer, elle raconta ce qu'elle avait vécu à cause d'elle. Elle vida son sac et sans lui prêter plus d'attention, lui fit ses adieux. Elle ne se retourna pas lorsqu'elle ouvrit la porte pour quitter la pièce. Elle n'avait pas observé sa mère, elle n'avait pas vu la larme qui avait glissé silencieusement sur la jour ridée.

Comme elle l'avait dit, Rosa signa le chèque réglant ainsi les dettes de sa mère. La signature au bas du document marqua la fin du lien qui la reliait à celle-ci. Alors qu'elle allait partir, de l'agitation se fit dans le couloir. Une infirmière demanda l'aide du directeur qui était aussi le médecin de l'institut. Elle observa le regard de celui-ci sur elle lorsque l'infirmière lui expliqua la situation : une patiente venait de mourir. Elle comprit alors qu'il s'agissait de sa mère. Elle ne s'arrêta pas pour autant et quitta l'édifice. Quand elle passa la porte de la voiture pour s'asseoir aux côtés de Robert, elle ne dit qu'une seule chose avant d'entrer dans un mutisme qui dura le temps du trajet :

- C'est fini.

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