Les aveux de Louise

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Il ne nous restait plus qu'à interroger la maitresse de maison

Louise Malandain fut alors appelée dans le salon pour être questionnée à son tour. Elle s’assit face à nous, les mains croisées sur ses genoux, le regard franc, son visage trahissant de la nervosité.

A cinquante-huit ans, elle en apparaissait dix de moins. Élégante dans un tailleur sobre, les traits fins, les yeux noisette, le regard vif, elle affichait une beauté discrète. Quelques rides aux coins des yeux, quelques mèches grisonnantes sur les tempes trahissaient un peu son âge. Il n’y avait rien d’ostentatoire, que ce soit dans son allure ou dans ses bijoux.

Renouf attaqua en premier :

— Madame Malandain, vos déclarations concordent avec celles des autres membres de la famille. Pourtant, vous vous êtes retrouvée seule à plusieurs reprises. Et le 10 septembre, en fin de matinée, on vous a aperçue quitter le bureau de votre mari précipitamment.

Elle pâlit.

— Honorine vous en a parlé… J’avais eu un malaise et elle m’avait servi un peu de rhum pour me remettre.

Je repris doucement le relais :

— Ce n’était pas qu’un malaise, n’est-ce pas ? Votre mari vous a sûrement annoncé quelque chose de grave.

Elle se recroquevilla légèrement sur son siège. Ses yeux se remplirent de larmes. Puis, dans un souffle :

— Il m’a montré ses analyses. Il avait un cancer du pancréas inopérable. Le médecin ne lui donnait peut-être pas plus de deux ans à vivre.

Soudain, elle éclata en sanglots. Son mascara coulant en rigoles noirâtres sur ses joues, je lui tendis un mouchoir.

— Vous ne l’avez dit à personne ? Pas même à vos fils ?

— Non, il m’a demandé de garder le secret. Mais, ce n’est pas tout.

— Allez-y !

— Il m’a avoué avoir eu deux enfants hors mariage. L’un pendant que j’étais en maison de repos après la naissance de Pierre, et l’autre pendant la guerre, pendant que j’étais réfugiée en Suisse. Il voulait les reconnaître avant de mourir et les inclure dans son testament, afin, selon lui, de réparer une injustice.

Elle s’arrêta puis elle reprit, comme pour s’excuser :

— J’étais tombée malade peu après la naissance de mon premier enfant. Une dépression « post partum » d’après le médecin. Je n’avais pas pu m’occuper de mon petit Pierre comme j’aurais dû.

Bertier fronça les sourcils.

— C’est un mobile parfait, Madame.

Elle se redressa, choquée.

— Pourquoi ? Vous pensez que j’aurais pu le tuer pour cela ?

— Vous auriez tout à perdre. Deux enfants illégitimes reconnus, un héritage divisé...

— J'avais beaucoup de raisons de lui en vouloir, mais jamais je ne l'aurais tué. Et le lendemain, j’étais la première à m’inquiéter de son absence et j'ai appelé la police.

— Vous auriez pu l'avoir tué d'abord, et jouer la comédie de l'épouse inquiète.

— Et vous me croyez capable de lui tirer dessus avec un fusil, et d’aller ensuite jeter mon mari dans la Seine ? Vous êtes odieux !

— Vous auriez pu vous faire aider... par vos fils !

— Ni moi, ni eux ! Je vous le jure !

Bertier me lança un coup d'œil discret. C'était mon tour et je repris, plus calme.

— Au cours de cette dispute dans le salon, pendant l’apéritif, que s’est-il dit ?

— Mon mari avait reproché aux garçons leur façon de vivre. Il était dur, blessant, et Marie n’avait pas été épargnée, elle non plus !

— Vous étiez mariés sous quel régime ?

— La séparation de biens ! Autrefois, j’étais sa secrétaire et il m’avait épousée. Mais, il avait continué à se comporter en patron. Il m'avait interdit de retravailler d'avoir un compte en banque*. J'étais devenue une potiche.

Elle se moucha et reprit :

— Rien n'est à moi ici ! Je ne sais pas ce que je vais devenir. Peut-être que je devrai partir d’ici. Je ne sais même pas s'il a fait un testament. Il ne nous disait jamais rien !

— Bon, je crois qu'on va arrêter là pour aujourd'hui, dit le commissaire.

Elle quitta la pièce, en larmes. Renouf se tourna vers Bertier :

— Nous allons convoquer de nouveau ses deux fils et aussi la belle-fille au commissariat. Il ne nous ont pas tout dit de cette dispute.

— Vous la croyez coupable ?

— Je ne sais pas. Elle semble plutôt vulnérable. Mais elle a deux mobiles, la colère et la peur que ses fils ne soient lésés. Cependant, elle semble ignorer tout de Pierrette Lefebvre. Quant à l’autre enfant, on ne sait rien de lui.

* Les faits se déroulent en septembre 1964. Heureusement, la loi du 13/07/1965 permit enfin aux femmes mariées, jusque-là considérées comme des mineures, de travailler et d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur époux.

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