Nouveau chemin 5/

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Brûler. Il voulait voir le monde brûler. Respirer des cendres. L'eau s'évaporait sur ses gants, dont il se débarrassa. L'eau n'atteignait même pas sa peau. Quelques gestes lui suffiraient pour marcher sur des charbons ardents.

Ses yeux le brûlaient. Il renifla. Se dégoûta. Pour un peu, Eyaëlle aurait fait les frais de sa fêlure. Tout empirait. D'année en année. Son feu devenait plus puissant, comme ses pulsions, sa folie, sa fêlure.

Si tout partait en fumée, il pourrait enfin assouvir ses envies. Sans honte, sans peur. Tout aurait nourri le feu et lui profiterait d'une liberté nouvelle. Quel soulagement en perspective...

Après un hoquet, Adelin tenta de prier. Les mains jointes sous l'eau grésillante, il supplia en silence Rhamée. Qu'Elle le libère. Par pitié, qu'importe le prix, qu'Elle le libère. De sa fêlure, de sa magie, qu'Elle le libère du Feu. Cette passion gangrénait sa vie. Tremblant, les joues ruisselantes, il espéra qu'Elle entende sa supplique et fasse un geste. Même juste qu'Elle atténue sa folie, le mette à l'épreuve, n'importe. Que quelque chose l'aide dans sa folie !

Gêné par le lavabo, il ne put se jeter à genoux pour prier avec plus de ferveur, ni se prosterner. Pourquoi pas, au fond ? Il pourrait mettre les deux mains sur le plancher... le feu prendrait sans peine. Il pourrait humer à loisir les calcinations, se bercer au chant des flammes et s'émerveiller de leur lumière...

Lumière impie. Résister, il devait résister. Il devait contribuer à l'ascension sociale de sa famille, pas les envoyer prématurément à la Déesse, ni La rejoindre ainsi, tel un chien fou.

Le monde ondulait sous l'effevescence de son esprit enfiévré. Son corps, ce poids, ce combustible, tremblait et se secouait sous les spasmes des pleurs.

Ayant perdu toute notion du temps, Adelin releva la tête, les muscles raides. La soirée arrivait déjà... et ses pulsions commençaient à peine à devenir gérables. Oh Déesse, pourquoi cette fêlure ? Où se trouvait la bienveillance là-dedans ? Il remit ses gants, se laissa un peu de temps encore. Celui nécessaire à ce que les preuves de sa crise s'effacent, que son nez, ses yeux, sa face perdent leur rougeur suspecte. Au dernier moment, son estomac se purgea.

Raide, tremblant, il se rendit de nouveau présentable pour aller dîner. On toqua à sa porte.

  • Oui ?
  • Adelin ? Tu vas être en retard.

Albin faisait bien de venir, son puîné avait oublié que ce soir, ils mangeaient avec une de leurs tantes. Elle voulait défendre son projet devant Dame Irène, consistant à devenir prêtresse...chose à laquelle cette dernière s'opposait. Voilà qui promettait une soirée pleine de tensions.

L'Allumé ouvrit, et d'un regard son responsable comprit à quoi il venait de dédier la fin de son après-midi. Se fermant d'un coup, Albin entra de force et entraîna son frère s'asseoir.

  • T'as encore crisé ?

Adelin baissa les yeux.

  • C'est même toujours en cours...
  • ... depuis combien de temps ?
  • Ce midi. Avant d'aller manger.

Le milicien fronça les sourcils, avant d'emmener le cinquième membre de la fratrie s'asseoir sur le lit.

  • On m'a dit que les serviteurs t'ont vu sortir des catacombes en trombes, laissant Eyaëlle seule...
  • Un peu plus et je la brûlais.

Nommer ce mal le fit craquer. Pris de hoquet, Adelin rassembla ses jambes sous son menton. Désemparé, son frère enroula un bras autour de ses épaules. Comme d'habitude, aucun des deux ne trouva de mots. Que pouvaient-ils bien se dire ? Ils avaient tout essayé, rien ne suffisait jamais. Une pelote de fils de fer fut poussée contre la main de l'Allumé, qui attendit de calmer ses frissons avant de s'en saisir.

Un autre élément métalique attira son attention, enfoncé dans sa cuisse. Baissant les yeux, Adelin se détendit, se sentit même mieux.

La rose de métal qu'il avait offerte à son aîné, quelques années plus tôt. Ce dernier avait tenu parole et l'avait faite ajouter sur la poignée de son arme de service. Suivant son regard, Ablin glissa, de la tension dans la voix :

  • Je crois bien que tu as réussi à l'enchanter. Depuis que je l'ai... j'ai l'impression de mieux réussir. Maintenant elle me suit partout. Même dans mon bureau pour le notariat...
  • ... Tu crois que c'est possible ?
  • C'est toi le mage, pas moi. Enfin... faudrait qu'on descende. Et je tiens à ce que tu gardes ça en tête : même pendant tes crises, tu sais faire des choses bien. Tu étais dans un sale état quand tu l'as créée, et je ne m'en sépare jamais.

Le détournement d'attention fonctionna, tout comme le regain d'espoir. Adelin se sentait toujours en pleine crise pulsionnelle, cependant la présence de son exemple lui donnait une force nécessaire.... peut-être suffisante pour tenir le coup durant tout le repas. Ils verraient bien. Ils l'espéraient.

  • Je sais vraiment pas comment tu arrives à me ramasser aussi régulièrement à la petite cuillère, avoua-t-il.
  • La Terre et le Sang, Adelin. Nous partageons le même domaine, nous venons des mêmes entrailles.

Le fêlé se garda de rétorquer que vue leur Histoire familiale... mais il s'abstint. Il avait trop besoin d'Albin. Aussi le mage tritura plutôt son nouveau fil de fer, qui fondit en un temps record pour devenir un épais dé à coudre lisse, puis une bague stylisée.

  • On y va ?
  • Oui...

L'intonation ressembla trop au début de ses absences, Albin réussit l'exploit de saisir son frère par le col, de le soulever d'une main tout en se levant, déjà prêt à le gifler pour le garder dans le présent. Cela suffit à relancer les pulsions pyromanes. Tous deux haletèrent. Se dévisagèrent avec fièvre. Dans un soupir commun, ils remirent en place leur tenue respective et descendirent sans un mot.

Les serviteurs qu'Adelin rencontra le dévisagèrent, ne sachant comment réagir devant son air distant. Plusieurs l'évitèrent avec soin. Il ne pouvait même pas l'en vouloir, lui-même ignorait la marche à suivre. À part en l'assomant, comment l'aider ? C'est avec fébrilité qu'il rejoignit la table peu après la mise du premier service.

En plus de la fratrie et de ses parents, siégeait leur tante Elisabeth Digitfractor, petite sœur d'Irène. La nouvelle venue résidait en général à Novaesium, parmi d'autres notaires associés. Les hostilités plombaient déjà l'ambiance.

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