Nouveau chemin 8/

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Ils se séparèrent à leur croisée habituelle. Adelin se dirigea vers le nord, nord-ouest rejoindre les Fêlés, tandis qu'Albin partait à l'est au village.

De retour devant le feu de camp, l'Allumé sentait la crise reprendre avec intensité. Aussi, à peine arrivé se saisit-il des charbons ardents après une salutation lapidaire. Il savoura la sensation des brandons cédant entre ses doigts à sa juste valeur, le bonheur de voir le feu danser gentiment sur ses mains imprégnées de magie tandis que le bois chantait de concert, se consummant avec délicatesse.

En transe, il sursauta quand une main s'abattit sur lui pour le soulever, l'arracher à son bonheur pour le contraindre à faire face à Bernard, ivre de rage.

  • Fils de pute... écuma le Dépeceur.

Adelin voulut se défendre par réflexe, et obtint une libération immédiate. Remarquant que son agresseur se tenait la main en sifflant de douleur, il jeta un coup d'œil à ses gants... en feu. Du feu naturel. L'Allumé fit la moue, avant de siffler à son tour : on venait de lui lancer un seau d'eau sur les épaules.

Transi, il se tourna vers le Fêlé qui observait avec insistance son épaule.

  • Ah oui... merci.

Encore un vêtement à raccomoder. L'aggressé se tourna de nouveau vers le Dépeceur, le regard insistant. Seules des imprécations lui étaient postillonnées.

  • Bernard, je ne suis d'humeur à rien, alors abrège.
  • Moi c'est Dépeceur sale bâtard ! Qu'est-ce t'a dit à mon père y'a deux jours ? Répond enculé d'ta race ! Fils de goliath !

Adelin cilla. Seulement deux jours d'écoulés... cela lui semblait déjà appartenir à une autre vie, une autre réalité. Une existence où le feu ne l'obsédait pas. Sa posture professionnelle prit tout de même le pas, son dos se redressa en conséquence, Adelin se métamorphosa.

  • Dépeceur, je ne te permets pas de m'injurier...

Bernard le saisit à deux mains à la gorge, Adelin parvint à lui retourner un doigt. Le craquement sec lui rappela une bûche cédant au feu. Le hurlement de douleur ainsi obtenu le ravit.

  • Putain d'sang mêlé d'traître à ta race d'inférieurs !

Plusieurs Fêlés intervinrent, les séparèrent. Si Adelin se laissa entraîner sans résistance, Bernard mettait tout en œuvre pour revenir à la charge, le regard fiévreux. Porte finit seul avec l'Allumé, tandis que les quatre autres membres du groupe se chargeaient de maîtriser le Dépeceur, écumant de rage au sol et préférant des séries d'insanités. À force, l'Allumé tourna les talons, délaissant son ami angoissé pour rejoindre son bourreau, flammes argentées aux poings.

  • Ouais viens 'vec ta magie d'lâche, hybride ! Gueule d'elfe !
  • Il va se calmer la face de gnoll ! J'ai un secret professionnel à respecter...
  • Tu t'le fous au cul ! Qu'est-ce t'a dit à mon père ?
  • Ton père m'a payé à fermer ma gueule.
  • Combien ? L'double pour qu'tu l'ouvres ! Ouvre ta gueule ou c'est moi qui l'fait !

Adelin éteignit ses flammes. Avec mépris, il toisa son adversaire.

  • Tu sais, la corruption peut t'amener au mieux à la ruine, au pire à la mort. Tu es sûr de vouloir...
  • J'vais t'buter ! T'saigner !

Profitant de la situation, à savoir quatre comparses maîtrisant le Dépeceur, l'Allumé lui offrit son plus beau bras d'honneur, avant de s'esquiver, pris de spasmes. Oh que ne donnerait-il pas, pour lui faire définitivement fondre la gueule à ce danger public... Tandis qu'il s'éloignait, il entendait les autres tenter de convaincre leur chef de cesser ses hurlements, qui risquaient de trahir leur campement. Il est vrai qu'une petite dizaine d'adolescents, parmi un campement permanent avec des réserves d'objets et baumes de premiers secours, noyés dans les tonnes d'os, de bois, de rebus de fers et de rongeurs mal empaillés allait attirer nombre de soupçons. Surtout si les autorités tombaient sur le petit laboratoire d'Adelin et François. Ou la caverne de Bernard.

L'Allumé plongea les mains dans le ruisseau près dudit laboratoire. Dans un râle de soulagement, il laissa sa magie s'exprimer sous l'eau. Passé un temps, il s'amusa à tenter d'incendier des algues qui se réduisaient en cendres à son contact, le feu naturel ne parvenant pas à prendre tandis que celui d'argent persistait.

Sentant une présence, un regard, Adelin éteignit ses mains et se retourna. François le veillait, se triturant les manches. Tous deux s'échangèrent le salut des Fêlés, avant de rejoindre leur laboratoire s'adosser à leur table d'expériences. Souffreux aussi tenta de savoir ce qui avait bien pu se dire, durant le premier rendez-vous d'Adelin comme notaire. Ce dernier leva les yeux au ciel.

  • Tu vas pas t'y mettre aussi ?
  • Dépeceur est furieux.
  • Tant pis pour lui, c'est entre son père, le mien et moi. S'il veut tirer les vers du nez à quelqu'un, qu'il tente sur son père ! Moi, je ne saboterais pas ma propre carrière avant même de l'avoir débutée.
  • Ben justement... son père, il l'a planté... sa mère et sa sœur aussi... on dirait que son père le craint moins.

Adelin fouilla dans les tiroirs du meuble, pour en sortir un joint qu'il s'alluma à la main. Il s'offrit une première crapote. Une deuxième. Une troisième, plus sereine. Dans le domaine de la dangerosité envers sa propre famille, il était très mal placé pour juger Bernard.

  • Ce ne sont pas nos affaires, Souffreux. Si Dépeceur veut me faire la peau, et ça fait six ans qu'il en crève d'envie, qu'il vienne. Mais il sait déjà ce qui l'attend le jour où ça arrive.
  • Euh... dis... y'a pas un de tes frangins qui saurait quelque chose ?
  • Non... pourquoi ?
  • Euh... j'ai aussi entendu Brise-Mains supposer qu'on te suivait. La nuit. Ici.
  • Aucun membre de ma famille n'est au courant. Quant aux serviteurs trop curieux, ils pensent que je vais voir un amant.

Pendant le blanc qui suivit, Adelin savoura son joint. Quelle belle invention, tout de même. Il s'assura des stocks, suffisants pour sa consommation mensuelle.

  • Comment ça se fait que tu aies cette réputation de gay ? marmona François.

Haussant les épaules, Adelin répondit :

  • Qu'est-ce que j'en sais ? De toute façon, comme si je m'intéressais à ça... J'arrive déjà à peine à m'occuper de moi, c'est pas pour ajouter quelqu'un à ma vie.

Une vie qui ne ressemblait à rien, instable... Puis les histoires de sa fratrie avaient tendance à le vacciner. Entre Nathanaël enchaînant des histoires courtes sur fond d'escroquerie, Albin et les femmes qu'il larguait après les avoir frappées, Hermione éconduisant nombre de prétendants et Naïa dont les histoires de cœur ressemblaient comme des gouttes d'eau à celles de Nathanaël... Adelin s'était bien assez fait inonder les épaules de larmes pour préférer passer son tour dans le domaine.

Les effets du joint arrivaient. Tous ces attermoiements prenaient de la distance, sa tête s'allégeait. Pendant un temps, tout lui paraissait léger, sans importance. On ne les dérangea pas, ils échangèrent sur mille et un sujets. Adelin parvint même à rire avant de rentrer chez lui.

Comme de coutume, il surprit Albin équipé d'une arbalète à l'orée des bois, et ils rentrèrent ensemble, échangeant sur la soirée chez les Fêlés. Il ne se passait jamais rien, de nuit à Guarrèr. La grille de leur domaine escaladée, le milicien grogna :

  • Tu as encore fumé.
  • Ça m'aide.
  • À te négliger, oui. Tu n'as pas besoin de ça.
  • Eh bien je t'en prie Albin, fais mieux ! Mets-toi à ma place et fais mieux !
  • Avec de la disci...
  • Toute ma discipline part dans le contrôle des crises, les révisions, la lutte contre les pulsions, le contrôle du masque, le contrôle de l'étiquette... merde à la fin. Et tu peux ajouter que je vais respecter ma parole et dormir huit heures d'affilées une nuit par semaine. Encore de la discipline, de l'organisation, du contrôle. J'en peux plus, Albin. Toi-même tu l'as reconnu, nous devons correspondre à un certain nombre d'exigeances. Alors imagine avec ma fêlure en plus. Laisse-moi ce truc.
  • Je te laisse déjà les Fêlés. Crois-moi, Bernard et Thomas sont deux gibiers de potence en puissance, cela ne m'étonnerait pas qu'ils fautent dans les mois, années à venir. Il faudrait que tu penses à tirer ta révérence... ou me laisser les arrêter.
  • J'ai besoin des Fêlés. D'eux. C'est le seul moment où je peux être moi-même, bon sang.
  • Faux. Il y a aussi le soir, chez nous, où tu peux être toi-même. Ta chambre.
  • Et vous êtes bien contents de savoir ce que pensent les gens du peuple, que je garde une oreille tendue aux racontards notamment chez les Fêlés.

Albin les dirigeait vers leurs écuries les plus éloignées et leva les yeux au ciel.

  • C'est vrai, tu fais un bon espion.
  • Comment on aurait pu savoir que les Thiviers allaient tenter une descente chez les Orag, sans les Fêlés, dis-moi ?
  • D'autant plus qu'ils ne laissaient rien filtrer...
  • Je continuerais d'aller parmi les Fêlés.
  • Arrête au moins de fumer tes merdes. On ne sait même pas où François se fournit.
  • Si, chez le nouvel apothicaire.
  • Le jour où tu fumes tellement que tu ne pourras pas te défendre contre Bernard ou Thomas, si ça se trouve je ne pourrais pas intervenir...

Malgré son esprit embrumé, Adelin pila net. Son regard se fixa sur l'arbalète. Monta jusqu'au visage fermé de son frère. L'Allumé blêmit.

  • Tu leur tirerais dessus ?
  • Sans sommation.
  • Tu aurais facilement ta place parmi nous.

Le milicien préféra ne pas relever. Tous deux s'installèrent dans une stalle vide, le temps pour Adelin de se nettoyer soigneusement les dents et tout ce qui pourrait contenir l'odeur de son petit écart.

  • Faudrait que tu me montres la caverne de Bernard, lança soudain l'homme d'armes.

Adelin en recracha son bain de bouche.

  • Que...
  • Ce soir, il ne vous a pas reparlé de son projet. Et tu me dis qu'il te sait suivi. Donc je ne veux pas lui laisser l'avantage du terrain le jour où il va trop loin.
  • ... Je te préviens, ça pue la mort.

Albin balaya l'information d'un revers de la main. Adelin partit profiter de ses quatre heures de sommeil restantes, tandis que lui-même retournait à sa ronde. Le lendemain matin, Adelin sentit avec satisfaction son envie d'incendier le monde bien moins importante que les deux jours passés, ce qui lui permit de préparer, sous la surveillance de son père, les documents pour le testament du père de Bernard, et le reniement de ce dernier.

Le notaire en devenir aurait aimé ajouter des circonstances agravantes, enfoncer le Dépeceur, mais ces leviers d'actions étaient l'apanage des avocats. Tenter ce genre de chose aurait correspondu à des abus de pouvoirs et violé assez de lois pour l'incarcérer une bonne décennie. Il ne pouvait même pas se servir de ce qu'il savait, pour offrir à son client plus de pouvoirs encore.

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