Chapitre 13 :Pourparlers

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Les golems ont été abreuvés en alcool plus que raisonnablement par Seren qui espère ainsi éviter tout dérapage potentiellement violent qui nuirait à la conduite de la conversation. Le temps n’est pas aux batailles rangées, mais bien à l’union, et ce, même si Geraint et Nerys sont deux indécrottables têtes de comète bornées. Alors, Seren anticipe. Sans ses hommes de main, Nerys devrait se tenir à peu près tranquille. Geraint, quant à lui, est bien trop occupé à désinfecter les plaies de Siarl. Il n’est pas assez attentif pour profiter de l’instant de faiblesse de celle qu’il se plait à surnommer « Sorcière ». Siarl avait demandé, entre deux rictus, si c’était une sorcière comme la sorcière qui compte, visiblement contrarié et perdu dans cet environnement qui se peuplait de magiciennes sans qu’il puisse comprendre pourquoi. Geraint avait répondu que la sorcière qui compte n’avait pas de sentiment ni d’objectif, que c’était juste un outil alors que celle qui se tenait devant eux était là pour mettre la planète à feu et à sang. Nerys avait persiflé de colère, mais l’homme l’avait ignoré, appliquant soigneusement un bandage sur la plaie près de l’œil. Seren n’était pas intervenue, préférant le calme et le silence de ses réflexions. D’un geste, elle repasse doucement son châle sur ses épaules pour s’y blottir. En s’engageant dans l’anarchie, elle pensait faire sa part du travail en offrant à ces gens d’utiliser la fortune de son défunt mari pour un but juste. Rester une simple financière de l’ombre. Le destin en avait visiblement décidé différemment, elle était devenue au fil du temps médiatrice entre chaque chef de groupuscule, entre leurs égos et leurs avis divergents sans qu’aucun d’entre eux ne remette en cause sa loyauté envers l’un ou l’autre. C’était maintenant nécessaire pour que ses objectifs soient atteints. Il fallait qu’elle endosse ce rôle.

« Commençons » déclare-t-elle d’une voix calme. Elle obtient ainsi l’attention des personnes présentes. « De quoi voulais-tu parler, Nerys ? » Celle-ci a pris place dans un des fauteuils de la pièce. Elle a retiré son imperméable et a croisé les jambes sous sa jupe droite à carreau. Le chemisier d’un blanc défraîchi qu’elle porte pour terminer l’ensemble la rend passe-partout, semblable à n’importe quelle femme de la quatrième caste. Dans un élan, elle s’avance, posant son coude sur sa cuisse et son menton dans sa main.

« Il a fallu deux années après la purge pour permettre aux différents groupes survivants de se reconstituer et de redéployer leurs forces. Ces deux années ont aussi aidé à endormir les soupçons de la milice sur notre personne, voir disparaitre de la circulation pour se faire oublier. Il est temps de sortir de notre silence. Comme vous le savez, j’ai été élue à la tête des organisations…

— Tu as obligé tous les membres de ton groupe à voter pour toi et tu as acheté les voix manquantes, Nerys. »

Les deux femmes se retournent en un seul mouvement vers Geraint qui marmonne dans sa barbe sans lever les yeux de son travail d’infirmier. Siarl, lui, a rentré la tête dans les épaules en prévision de la pluie de coups et d’insultes qui risquent de s’abattre encore. Il n’en arrive rien, Nerys se contente de claquer la langue et de continuer.

« Quoi qu’il en soit, nous devons nous réunir pour planifier les actions à venir. En tant que chef de Librae, Geraint, ta présente est fortement demandée. À double titre, d’ailleurs, j’ai… »

Nerys dodeline, cherche ses mots, la suite de sa phrase semble lui coûter beaucoup. Elle repasse une mèche de ses cheveux courts derrière ses oreilles dans un long silence avant de reprendre.

« Nous avons besoin de tes connaissances en explosifs.

— Non. C’est toujours non. Il est hors de questions que je perde ne serait-ce qu’une heure de mon temps à te voir te pavaner devant une assemblée bavante. Vous n’avez qu’à vous mettre à la chimie, cela vous occupera. Avec un peu de chance, cela actera aussi votre auto-destruction, pour notre plus grand bonheur à tous ! »

Seren regarde Geraint d’un air désapprobateur. Vraiment, il ne fait aucun effort. Qui plus est, à défaut de bombe, c’est Nerys qui semble prête à exploser de colère devant ce refus catégorique. Elle bout, fulmine, mécontente que son autorité soit ainsi remise en question en permanence par un triste sire dont elle ne peut finalement pas se passer. C’est que les personnes qui cumulent savoir artificiers et tendance anarchistes assumées ne courent pas les entrailles de la planète. D’ailleurs, à sa connaissance, c’est lui le seul. Il n’y en a pas d’autres. Alors Nerys s’emporte d’un coup, prenant une voix théâtrale de stentor, celle qu’elle utilise d’habitude pour haranguer ses hommes et être obéit. Ça en fait sursauter Siarl qui, pris entre deux feux, n’a pas tellement d’échappatoire.

« C’est trop facile, Geraint ! Tu ne fais RIEN, tu ne proposes RIEN. On ne fait pas la révolution tout seul. Tu ne peux pas lancer une rébellion à quatre. Librae a besoin de ces réunions. TU as besoin de ces réunions ! »

Le barbu ne tique pas, préfère ordonner méthodiquement le contenu de sa boite à pharmacie plutôt que de lui répondre. Il le sait, elle a raison, terriblement raison. Les flacons d’antiseptiques s’entrechoquent avec bruit dans le silence assourdissant qui s’est installé. Seren croise ses bras contre sa poitrine, elle cherche l’argument imparable qui le ferait changer d’avis, qui débloquerait la conversation. Seulement, Nerys n’a pas sa patience. Sa voix est redevenue basse, mais ses mots sont comme un venin corrosif, prêt à réveiller une plaie encore à vif.

« Franchement, il n’y avait qu’Enfys qui était assez débile pour te penser suffisa…. »

Elle n’a pas le temps de finir sa phrase. Si Seren et Siarl ne s’étaient pas interposés pour l’en empêcher, elle aurait été projetée comme une poupée de chiffon contre le mur. La surprise du geste s’est contenté de la faire tomber assise au sol. Son premier réflexe est de porter sa main à sa ceinture pour en dégainer son arme. Geraint est passé d’un état presque apathique à une force brute, empli d’une haine et d’une colère incommensurable. On ne le croirait pas boiteux dans cet état.

« Un mot… Un seul et unique mot de plus et tu ne sors pas vivante de cette pièce, tu m’entends ! »

Ses paroles sont hachées, assassines. S’il en avait été capable, ses yeux l’auraient tué, là, sur place. Siarl s’est agrippé à sa ceinture, ses traits sont crispés. Il tente du mieux qu’il peut d’empêcher son Patron de commettre l’irréparable. Seren, elle, s’est interposée entre les deux ennemis, intimant d’un regard à Nerys de sortir de la pièce immédiatement, Nerys qui ne juge pas bon de contester et qui s’exécute aussitôt. Ses pas la ramènent assez vite vers le haut de l’escalier en colimaçon. Sa main gauche tient fermement la crosse de son arme, sa droite vient se poser sur son cou. Elle déglutit, tente de calmer les tremblements de son corps. Elle ne s’attendait pas à ça. Certes, elle avait cru naïvement que convoquer le souvenir d’Enfys le ferait réagir. Si Enfys avait toujours été de ce monde, elle en est persuadée, Librae aurait suivi et Geraint obéit sans aucune discussion. À cette époque, elle n’était pas la cheffe de Saggitari et les groupuscules, nombreux, étaient à leur apogée, fourmillant d’idées et d’action pour espérer un jour prendre le pouvoir. Le putsch était même envisagé. La purge avait mis un coup d’arrêt à toutes ces utopies.

On toussote derrière elle. Seren. Elle a son manteau au bras, Nerys l’a oublié dans sa fuite.

« Je vais en parler avec lui. Il sera présent, tu as ma parole d’honneur. Laisse-moi négocier avec lui. »

La brune la fixe un moment. Seren a abandonné le masque et le sourire, ses yeux verts naviguent entre l’inquiétude et la contrariété. Nerys sent son cœur se pincer, s’émouvoir pour elle. Elle hésite, souffle.

« Tu sais… »

Seren est aux aguets, prête à une autre remarque désagréable.

« Tu sais qu’il est complément fou, n’est-ce pas ? »

La sincérité donne du trémolo à sa voix, ses yeux cherchent une once d’explication dans ceux de son interlocutrice. Seren préfère fuir son regard et secouer la tête. Elle ne veut pas répondre, la question est si brûlante et épineuse. Les réactions excessives prouvent juste que la plaie que Geraint porte toujours à l’âme n’est pas guérie, qu’il n’a pas encore fait son deuil. Elle refuse d’avancer ce diagnostic inévitable. Il ne se rétablira jamais, il finira peut-être même par s’autodétruire. Nerys n’insiste pas, repasse lentement son manteau. Elle réajuste son armement avant de le fermer.

« Le rendez-vous est pour demain soir à 20 h. Arrière-boutique de la maison close du troisième district. »

Elle se tourne, descends quelques marches de l’escalier.

« Seren

— Oui ?

— Merci. »




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