Jackie B

5 minutes de lecture

31 octobre

54 Rue de Jarville, 14h09

Une ruche, ou le périf aux heures de pointe, voilà l'image qui s'impose à Perle dès son premier pas à l'intérieur de l'appartement de Jacqueline Bouvier. L'animation qui domine offre des ressemblances frappantes avec l'occupation du logement de Lionel Bronstein, quatre jours plus tôt, a fortiori si l'on prend en considération la position de la victime.

Une femme, cette fois, sur un petit canapé crème, à moins que ce ne soit un grand fauteuil. Les yeux écarquillés, happant le vide. Tempe maculée de sang ; un tailleur et une toque bonbon complètent la toile.

C'est le compagnon , un certain Jacques Buyr, de retour d'un séminaire en province, qui a découvert le drame, en fin de matinée. Prostré sur une chaise, il pleure à chaudes larmes.

Quand Perle, Corindon, Andrew et John parviennent sur les lieux, ils devancent le Dr Prætorius d'un bouquet de minutes. Les techniciens du labo scientif' ont déjà pris leurs marques. Tandis que Le Commandant Deaumère et ses adjoints examinent la scène de crime, le légiste se met à l'œuvre.

Dans ce qu'il peut juger de la rigidité du corps, il penche pour un homicide ayant été perpétré une bonne quinzaine d'heures auparavant, au minimum. La disposition du cadavre diffère un peu de celle de Bronstein. Si le siège joue un rôle important dans les deux cas, la victime repose ici totalement dessus, là où il ne servait que d'appui dorsal à l'homonyme de Trotsky.

Autre discordance : c'est une arme à feu et non une arme blanche qui a infligé la mort.

Noah Praetorius discute avec des TPTS (1) . Perle admire, d'un coup d'œil, son profil droit et sa tranquillité. Le médecin, comme toujours, parvient à dédramatiser le contexte. Franchement, il faut le faire...

Beau, humaniste et compétent. Quelle injustice ! Quand on pense à tous ceux qui n'ont rien pour eux... Quel âge a-t-il ? Autour de quarante-cinq, probablement. La maturité lui sied. Perle se remet la tête à l'endroit. Un de ces jours, elle consultera. Pourquoi ressent-elle une attirance aussi marquée pour les hommes plus âgés qu'elle ? Une compensation résultant d'une carence d'attention paternelle ? Okay, Loryn et Noah sont de jolis mecs, mais ça n'explique pas cette attraction pour les tempes grisonnantes.

La cheffe d'équipe chasse rapidement ses pensées parasites pour observer de manière tout aussi lapidaire les deux indices, sous protection plastifiée, qui attendent de partir à l'examen. Un modèle réduit d'automobile décapotable et un livre relié !

************************

1er Novembre.

La lame de la guillotine est tombée : tout le monde au taf, et récup' une fois le cas résolu... ou pas. Apparemment, un cinglé poursuivi par une idée fixe se balade dans les rues du centre-ville et peut frapper à n'importe quel moment. En quatre jours, un homonyme de Trotsky et une de l'épouse Kennedy se sont fait nettoyer par un criminel tellement timbré qu'il ne trouve rien de plus déstructurant que de déposer des indices-signatures. Nos enquêteurs comprennent donc sans peine que l'idée même de revendiquer un jour de congé mettrait leurs supérieurs dans une fâcheuse humeur. De toute façon, n'importe quel limier vous le dira : quand la chasse au crime a commencé, en particulier dans des circonstances aussi insolites, pas moyen de lâcher le morceau. Amplification du rythme, recoupements d'informations à grande vitesse, montées d'adrénaline deviennent le quotidien des équipes.

Le concubin, Jacques Buyr, ayant retrouvé un peu d'épaisseur, à défaut de sérénité, est pris en main par Andrew et John dans une pièce annexe, alors que Perle et Coco passent en revue les éléments dont ils disposent et qui affermissent la thèse d'un serial killer, de plus en plus nettement.

Le capitaine Caïm plaque sur le bureau les griffonnages que lui ont inspiré les découvertes de l'équipe. Sa petite écriture serrée les a répartis en deux colonnes. L'une prend en compte les indices laissés à dessein par le meurtrier. L'autre considère ceux délivrés par les techniciens et les recherches relatives à la victime.

Dans la première :

— Un exemplaire de la Poétique d'Aristote.

— Une miniature de Lincoln Continental décapotable noire.

— Un tailleur et une toque rose.

Les deux collègues n'ont pas traîné à avaliser définitivement la signification des références, sur lesquelles Perle avait bondi dès qu'elle avait été informée du nom de la victime : Jacqueline Bouvier.

Quand on porte un matronyme pareil, associé à une tenue de laine rose et au véhicule universellement célèbre pour avoir été celui dans lequel JFK s'est fait tirer comme un lapin, le doute n'est pas permis.

Quant à la poétique Aristote, à la présence incongrue sur les lieux du crime, elle les a fait flotter un instant. Ils se sont demandé si le tueur se revendiquait purificateur, obéissant à un principe cathartique. Avant de réaliser, que, loin de renvoyer à la subdivision de la tragédie antique ou à la lessive de l'âme, elle se réclamait simplement du prénom de l'époux suivant, armateur et milliardaire, de Melle Bouvier : Aristote Onassis.

Dans la seconde :

— Noah Prætorius a situé l'heure de la mort entre 19h15 et 20h15, le 30 octobre.

— Le labo n'ayant pas lanterné, des cheveux n'appartenant ni à la victime, ni à son mari ont été retrouvés et analysés . Inconnus au bataillon, présents dans aucun fichier. Précieusement conservés.

— L'arme : calibre 11-43, modèle plus si courant.

— La victime n'a rien vu venir. On a retrouvé des traces de somnifère dans un des mugs du lave-vaisselle. L'autopsie l'a confirmé. Jacqueline a été droguée. L'administration préalable de la substance est-elle le fait de l'assassin ? Serait-il un proche de la victime ? Ce dernier n'exécute-t-il que des personnes de connaissance ?

— Jacqueline n'avait pas d'enfant. Parmi ses proches immédiats , son seul compagnon, qui, étrangeté, porte la version masculine du prénom de la victime. Théoriquement hors de cause, des témoignages faisant état de sa présence en province au moment fatidique.

Parmi les autres constatations, Perle et Corin conviennent que l'assassinat s'est produit dans le même créneau horaire que celui de Bronstein. Est-ce exprès ? Pour l'instant, rien ne permet de l'affirmer.

Autre similitude : le Xe arrondissement a été le cadre des deux meurtres.

Serait-il possible qu'existe entre les deux assassinats une connexion autre que la simple homonymie avec des personnages historiques ? Y aurait-il, intrinséquement, un rapport entre les deux victimes ?

En tous cas, cette fois , ça ressemble bien au début d'une série. Les deux assassinats sont associés à des célébrités, et une espèce de foutu Zodiac (2) les provoque en égaillant de l'indice en veux-tu en voilà.

(1) Techniciens de la Police Technique et Scientifique, Les équivalents, en zone urbaine, des TIC.

(2) Serial killer ayant sévi en Californie fin 60ies- début 70ies et ayant fait diffuser par voie de presse cryptogrammes et symboles.

Annotations

Vous aimez lire Denis Mursault ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0