Et un qui fait trois.

4 minutes de lecture

7 Novembre, matin.

Rien ne prédisposait Frédéric Carette, vendeur à la sauvette et roi de la débrouille, à commencer la journée sous d'aussi sordides auspices. Le lever précoce n'était pas destiné à découvrir un corps inanimé sur les escaliers d'une station, mais à s'attribuer le meilleur emplacement possible pour ses tripatouillages quotidiens.

À peine a-t-il aperçu l'anatomie costumée, de guingois sur les marches, qu'il a compris que la matinée tournait vinaigre. Sincèrement, il a hésité à prévenir qui de droit, pressentant le nid à emmerdes. En plus, le client n'était pas beau à voir. Ce n'était pas un pochtron en dérive. Le corps avait suinté de partout. Même sans être un expert, le camelot a discerné qu'il s'agissait d'écoulements sanguins. Pourquoi fallait-il que ça tombe sur lui ? Tu ne vois pas que les condés le collent en garde à vue...

Pourtant, dans un brusque ressac de bonne conscience, il a composé le numéro d'urgence avant d'aller déposer sa relative fortune ambulatoire, que n'aurait pas reniée le vitrier de Baudelaire, chez un bistrotier de ses amis.

Après avoir accédé à la cour intérieure par une venelle et abandonné le précieux chargement sous une pallette poussiéreuse, Frédéric est revenu à l'arrêt Dugommier pour y attendre les forces de l'ordre. Très vite , une sirène a matérialisé leur arrivée, tandis qu'il remontait le col de son imperméable.

****

7 novembre , vers 14h.

Perle lit à ses troupes le premier compte-rendu de l'équipe technique, ainsi que la note envoyée par Noah Prætorius. Elle énumére les données sans interdire les réflexions qu'elles inspireraient à ses adjoints. La vérité jaillit souvent d'une première impression... Si des idées leur viennent, qu'ils les balancent. Les quatre collègues font fi de l'agitation qui préside dans les locaux de la PJ, mêlent leurs observations aux éléments factuels.

Le client a reçu un premier coup de couteau dans le dos, les deux autres dans l'abdomen. Ce pauvre gars a été tué Dieu sait où, puis transporté à la bouche de métro Dugommier, dans le XIIe. Des traînées de sang, sur une petite dizaine de mètres et sur les escaliers de la station, en témoignent.

La mort, en conséquence, n'a pas été donnée dans les entrailles-mêmes. Elle précède la dépose du macchabée arrêt Dugommier d'une durée restant à déterminer.

Identification de la victime pour l'instant impossible. Selon toute vraisemblance, ils ont affaire ici à un vagabond : chevelure éparse, visage buriné, marques de détresse et de fatigue antérieures à l'assassinat, crasse incrustée dans la peau, corps exposé aux vicissitudes extérieures depuis de longues années.

Des contusions aux front et aux pommettes qui ne sont pas le fait de l'administration de coups, mais plutôt de heurts contre les marches de l'escalier.

Similitude avec le meurtre de Bronstein, puisqu'une arme blanche a encore été utilisée. Les nouveautés résident dans l'application du premier coup, dorsal, et dans la découverte, sur le visage, de traces pour le moins curieuses. Expertise formelle : les formes , en chevrons, rainures et croix indiquent que ce sont des empreintes de rangers.

Sont-ils en présence d'un militaire ou d'un ex-militaire ?

À voir... On peut se procurer ce matériel dans n'importe quel surplus.

Les marques, comme les ecchymoses faciales, seraient postérieures à l'homicide. Est-ce un message de l'assassin ? Ou une impulsion ?

Autre chose : le véhicule ayant servi au transport du cadavre n'a pas été retrouvé. Il s'agit probablement d'une voiture ou d'une camionnette volée. Pas grand chose à espérer de ce côté-là.

Enfin, la connexion avec les deux premiers meurtres ne laisse guère de place au doute, en raison des indices qui accompagnaient le corps sans vie .

Dans une stricte perspective physique, l'équivalence avec Bronstein se confirme, en raison de l'application, sur le menton et la lèvre supérieure, d'un bouc postiche. Le macchabée a également été déshabillé, ce qui renforce l'éventualité d'une fourgonnette, suffisamment large pour autoriser ce genre de manœuvre, avant de se voir revêtu d'un habit suranné, une sorte de jaquette ou de redingote, très fin XIXe. Un gibus replié a été inserré entre les doigts recroquevillés du cadavre.

Tout à fait l'image qu'on pourrait se faire d'un Landru, à la nuance que ce dernier n'est pas une victime, mais un des tueurs en série les plus présents dans l'imaginaire populaire, en compagnie de Jack the Ripper et de quelques autres monstres du même calibre.

Sur les marches de la station a été placé, en un clin d'œil macabre à la Lincoln de Jacqueline Bouvier, un charriot miniature, ou plus précisément une calèche. Dernière concession à la belle époque : le fac-similé plastifié d'un exemplaire du "Petit journal" faisant référence à la condamnation d'Alfred Dreyfuss.

Ce qui ressort de l'examen, c'est que plus les indices s'entassent, plus le mystère s'épaissit.

Il s'agit donc de déterminer á quel assassinat celèbre ce dernier massacre fait référence. Pas certain que cela les propulse directement dans la lumière, mais une correspondance finira par apparaître à moment donné... Un lien logique relie nécessairement les trois homicides.

Annotations

Vous aimez lire Denis Mursault ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0