Pelotonnée

4 minutes de lecture

15 novembre, début de soirée.

Remue-ménage dans le quartier. Un appartement sans miroir, dont toutes les lumières sont éteintes. L'anatomie foncée, en surplomb de la rue, se recroqueville. Encore un petit effort, et elle mettra son pouce à la bouche. Que risque-t-elle ? Que des pandores viennent frapper à la porte et échangent quelques mots avec elle ? Qu'ils lui demandent si elle a vu quelque chose de suspect ? Si elle a entendu parler de l'affaire en cours ?

Ils ne vont pas perquisitionner de but en blanc. Le passage au peigne fin d'une habitation nécessite documents et démarches relatives à l'instruction. De toute manière, le sac contenant son surin et son feu a changé de cache. Elle est pleinement consciente qu'un coffre de voiture ne présente que de médiocres garanties, mais c'est toujours mieux que de les avoir chez soi. Il ne reste guère à domicile que le poncho à capuche, dont la présence, dans l'absolu, ne prouve rien.

L'animation vespérale tranche avec la platitude usuelle de l'endroit. Elle a compris tout de suite qui était en train de se répandre dans la zone, bien que les premiers policiers fussent en civil. Déjà parce qu'ils avaient apostrophé sans douceur les rares passants, ensuite parce que quelques tenues marine étaient promptement venues se joindre aux imperméables et aux blousons.

Parmi les membres du groupe, un moins massif que les autres semble être le chef, en imper lui aussi, comme de bien entendu. Individu surprenant... tout juvénile, l'air inoffensif. Angel sent une aigreur lui remonter dans la gorge. Si ça se trouve, tronche de baigneur est un homme comme les autres, un pensionnaire de la grande porcherie des mâles.

Justement, le flic à tête de mioche lève la tête vers le deuxième étage. Elle amorce une dérobade... qu'elle jugule instantanément. Un mouvement de recul la désignerait aux yeux d'un observateur un tant soit peu averti. Elle se fige. Louable initiative. Le poupon considère l'encadrement d'un air sceptique, se gratte la tempe. La tueuse ne respire plus. Un rocher de sel.

*******

25 ans auparavant

La fillette entend marcher dans le couloir; ou plutôt glisser.... Il est 21h et des poussières. Les chiffres luminescents de son réveil saignent dans la pénombre.

Dans l'angle de la pièce, des poupées s'amoncellent sur une étagère. Du moins, on devine que ces esquisses obscures sont celles de poupées , bien qu' elles n'aient plus de tête. Toutes décapitées, sauf une de grande dimension, sûrement la favorite, qui trône sur le tas, visage surmonté d'une chevelure bouclée. Le jouet redonne un peu de normalité à cet assemblage hétéroclite... à une anomalie près : ses yeux ont été arrachés. Des fils de couture pendouillent. On dirait des larmes.

IL va bientôt arriver. Elle n'est pas rassurée. Elle ne devrait pas avoir peur, puisqu'il sera là pour la protéger. Et puis, ils ne font rien de mal, n'est-ce pas ? Ils partagent juste un secret, c'est tout.

Elle appréhende le souffle rauque, qui lui donnera l'impression d'étouffer. Les pas se rapprochent. Le petit visage se cache sous les draps, on tourne la poignée.

21h30

Vingt minutes plus tard, la silhouette s'est eclipsée de la pièce. Elle reviendra, demain... ou après-demain... trop tôt, trop vite, trop souvent.

Toujours, au cours des heures qui suivent la visite de l'aigle noir, la gamine pleure en silence, serre ses doigts dans une prière désespérée. Les jointures deviennent blanches. Elle aimerait se dissoudre. Angel se griffe les avant-bras.

Depuis l'étagère, la face énucléée de la poupée reflète le vide, l'angoisse et la nuit.

*****

15 Novembre début de soirée

Corindon , sous le crachin, rumine, doute de l'intérêt de l'enquête par lui-même initiée. Comme l'a souligné Andrew, le quartier comporte des multitudes de logements, dans lesquels des anonymes lisent leur courrier du jour, se détendent, cuisinent, dorment, discutent, travaillent, se lavent, ou même baisent, tiens... bref, vivent...

L'autre remarque de Double A, en veine de pertinence, c'est que le repérage par un riverain d'un individu suspect et désireux de dissimuler son visage, indice déjà ténu s'il en est, ne certifie pas que la forme suspecte loge dans le voisinage.

Damnée bruine, qui s'insinue partout , malgré l'imper. Il faut dire que le vêtement beige date de l'époque où il s'appelait M. Omphale*, une relique... Les yeux du capitaine Caïm se portent vers le ciel pour en évaluer la menace. En redescendant vers la noirceur de la rue bitumée, ils s'arrêtent sur le deuxième étage de l'immeuble le plus proche. Quelqu'un fait le guet derrière un rideau ... ou laisse parler sa curiosité.

Le ou la coupable pourrait aussi bien être la forme ramassée sur elle-même qu'il distingue, là, au 2e étage, derrière le tulle. Encore une petite vieille, à tous les coups, charmée par le bouleversement du secteur, qui ne perd pas une miette de la perturbation, et qui va pouvoir se répandre sur l'extraordinaire évènement avec des commères de son acabit. On n'a pas du grain à moudre tous les jours. Une descente policière est un met de choix.

Sceptique, Coco porte la main à son visage. Allez, encore cinq minutes, et ils plient les gaules... Ils ont assez perdu de temps comme ça. John vient de sortir d'un bâtiment. Son supérieur agite la main à sa destination.

* "Retour de flamme" et "L'appel des cimes"

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