La révélation.

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La révélation.

Certains parlent d’un envol, d’autres d’une implosion, d’autres encore d’une révélation. Si personne ne semble être d’accord sur le terme exact à utiliser, il semble unanime en revanche de considérer cet évènement comme décisif dans un la vie d’un sorcier. La révélation – appelons cela ainsi - vient l’année de la majorité du sorcier. C’est le moment où il prend possession de ses pouvoirs jusqu’ici latents. Le moment où il devient un sorcier à part entière, pour le meilleur et pour le pire.

La bible du sorcier, François Jesaitou.

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ANASTASIA.

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6 ANS PLUS TOT.


Depuis des semaines, ma tante me gardait à l’œil comme si j’étais susceptible d’exploser. Mais peut-être était-ce le cas ? Après tout, je venais d’avoir seize et on s’attendait d’un jour à l’autre à ce que mes pouvoirs se révèlent à moi. Je croyais bien qu’elle aimerait, elle, que j’explose, que je m’avère enfin utile.

Je levai les yeux au ciel en soupirant. Me serait-il un jour possible de répondre à ses attentes ? Je ne le croyais pas.

Par la Déesse, il était évident que ma tante me détestait ! Comme si j’étais responsable du départ de sa sœur… Ma mère était partie avec son compagnon et je n’étais ni responsable du fait qu’il s’agisse d’un démon, ni du fait qu’elle l’ait préféré à sa propre famille. Par l’infinité des dimensions, elle avait même fait le choix d’abandonner sa propre fille, n’en déplaise à cette vindicative d’Aliie !

Ma tante avait été déçue que je ne sois pas une sorcière de terre, de feu, ou d’eau et maintenant, elle avait peur que plutôt que d’être une destructrice de cervelle, une farfouilleuse de méninges, une scribouilleuse de souvenirs, je ne sois qu’une de ces inutiles voyantes qui, selon ses mots, se complaisaient dans l’inactivité et la fainéantise et n’étaient utiles qu’à distraire le bas peuple et encombrer le monde de leurs paroles sibyllines ? Qu’elle aille au diable ! Je serais ce que la Déesse déciderait, et ni elle, ni même moi n’y pourrions rien !

Je préférerais même mille fois la décevoir que de me voir assigner la sainte tâche de détruire la vie et l’esprit de pauvres gens sous le seul prétexte que je le pouvais ! Et puis, je n’avais aucun grief envers les voyantes, elles n’étaient pas que des madame Irma, malgré ce qu’en disait ma tante. Certaines pouvaient prévenir des catastrophes, certaines voyaient le passé et pouvaient dénoncer des criminels. Certaines collaboraient avec les polices surnaturelles et d’autres avec des financiers ou de grandes écoles. La connaissance du passé et du futur était un pouvoir tellement précieux, en vérité ! Comment ma tante pouvait-elle autant le dénigrer ?

Mais qu’importait ce que l’avenir me réservait, je ne pensais de toute façon pas qu’elle puisse me haïr davantage. Pire, ils me détestaient tous. Après tout, j’étais une foutue semi-démone ! Je n’étais même pas une véritable sorcière ! A quoi pouvait-on s’attendre d’autre que la déception dans ces circonstances ? J’étais un cas désespéré et cela faisait des années que je m’y étais faite, je n’attendais plus rien d’eux et m’évitais ainsi toutes sortes de déconvenues.

— Arrête de ruminer, Anastasia.

Je me tournai vers mon amie, Lucie, avec un sourire crispé.

— Tu peux parler toi, ton avenir et tout tracé maintenant que tu sais que tu as hérité des pouvoirs de ta mère.

Sorcière de terre, sa mère s’occupait des forêts ancestrales et mon amie la suivrait bientôt dans ses voyages au cœur de nos vastes contrées, afin de soigner nos arbres centenaires, découvrir de nouvelles essences et travailler à élaborer des remèdes aux maladies surnaturelles…

Mon destin était loin d’être aussi assuré. Qui me disait que ma tante supporterait plus longtemps mon inutilité ? Qui me disait que j’aurais toujours ma place ici, une fois que l’étendue de mon incompétence serait révélée ? Personne. Même Lucie ne s’avançait pas à me faire de telles promesses.

— Je croise les doigts pour toi, Ana.

C’était bien la seule chose qu’elle pouvait pour moi. Prier la Déesse.

— J’espère que ma mère ne m’a pas laissée ici pour rien.

Ma tante m’avait toujours raconté que c’était parce que mon patrimoine était majoritairement sorcier que ma mère m’avait laissée auprès de sa famille, qui saurait m’élever selon nos traditions et m’enseigner tout ce que j’avais à savoir. Qu’elle avait choisi d’assurer mon avenir, plutôt que de m’emmener avec elle auprès de démons qui ne me seraient de ce point de vue-là d’aucun secours. Que si j’avais été une sorcière de terre, elle aurait pu se charger elle-même de mon éducation, mais qu’en tant que sorcière d’esprit, j’avais besoin de guides sorciers tout autres. Que c’était pour mon bien qu’elle m’avait quittée.

Mais dans ce cas, pourquoi ne me l’avait-elle pas expliquée elle-même ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle disparaisse du jour au lendemain ? Pourquoi avais-je du me contenter des explications vindicatives de ma tante, à l’instar de ce balafré d’Harry Potter ? Est-ce que comme lui on m’avait trompé ? Mais dans ce cas, pourquoi un bon gros géant n’était-il pas venu à mon secours la nuit pluvieuse de mes onze ans ?

— Nous savons tous que c’était pour ton bien. Voyons, qui serait heureux de devoir côtoyer des démons ? De respirer quotidiennement leur haleine soufrée, et de voir leurs têtes vicieuses et cornues toute la sainte journée ?

Lucie vint me bousculer légèrement en riant.

— Tu es bien mieux avec nous.

Peut-être… mais la place d’un enfant n’était-elle pas auprès de ses parents ? Et puis si les démons étaient si terribles, pourquoi donc le destin aurait-il accouplé ma mère avec l’un d’eux ?

Je croisai les yeux bleus rieurs de mon amie et hochai la tête de façon presque imperceptible. Cela ne servait à rien de s’apitoyer sur son sort. Du reste, je ne serais fixé sur mon avenir qu’une fois que ma magie me serait véritablement révélée. Ce qui ne saurait tarder. Je sentais déjà ma magie bouillir en moi, mon aura trembler et se métamorphoser. Était-ce ce que ressentaient les métamorphes lors des nuits de pleine lune ? L’impression d’accueillir quelqu’un d’autre en soi, l’impression de se débarrasser d’une vieille peau de serpent, de muer, de changer de peau ? C’était - je devais l’avouer - assez désagréable.

— Allez, suis-moi, m’encouragea Lucie en me tirant par la manche.

Je n’avais pas envie de rejoindre le réfectoire, pas envie de me mêler à tout ce monde, de les voir tous m’observer dans l’expectative.

— Tu ne vas pas arrêter de manger, sous prétexte que la révélation approche, elle pourrait mettre des heures à venir et il vaut mieux se tenir prête !

Je finis par acquiescer et la suivre jusqu’à la salle à manger. Nous fûmes accueillies par un grand silence et au lieu de rendre à chacun leurs regards, je fixai plutôt la lourde décoration des lieux. Dorures, sculptures, peintures et miroirs aux couleurs criardes. Diablement rococo et chargé. Absolument laid. Je m’assis avec un soupir sur une des belles chaises inconfortables aux pieds sculptés en forme de pattes d’animaux non identifiés. Je repoussai avec peine l’envie de cogner ma tête – à répétition - sur la table en bois, tout aussi incongrument sculptée.

Viens donc à moi, maintenant ! Que je sois fixée !hurlai-je intérieurement, souhaitant pouvoir secouer mon aura, ma magie pour les faire réagir, sortir de leur torpeur.

Mais j’aurai beau crier, rien ne viendrait plus vite.

J’osai enfin lever les yeux et croisai immédiatement ceux de Christina. Ses prunelles violines étaient enflammées de colère. Mais quoi de moins étonnant ? Cette femme était constamment en rage. C’était semblait-il son état normal. Si en général, elle était en colère contre le monde entier, là son regard haineux m’était plus précisément destiné. Je plissai les yeux. Qu’avais-je fait ? Outre, le fait d’être moi-même, évidemment ? Aurais-je du couvrir mes cheveux aux reflets d’enfer ? Aurais-je dû prendre une potion pour dissimuler le cercle rouge qui entourait mes iris ? Aurais-je dû me terrer dans ma chambre, plutôt que de prendre mes repas avec les autres ? Étais-je à ce point une pestiférée ?

Je la défiai des yeux. Je n’étais pas du genre à plier ou à me laisser insulter en fermant les yeux. Elle voulait me détester pour quelque chose dont je n’étais pas responsable ? Me détester pour une chose aussi ridicule que la génétique ? Qu’elle le fasse, mais je ne rentrerai pas dans son jeu. Je ne la laisserai pas croire que cela m’atteignait, cela serait lui donner raison et que j’aille en enfer, si je laissais une chose pareille se faire !

Je laissai sa colère me transpercer de part en part, enflammant en passant la mienne. Va-y ! Provoque-moi ! Tu verras ce dont est capable une sorcière inapte ! Je n’ai peut-être pas encore de pouvoirs, j’en aurai peut-être peu, mais je ne serai jamais sans défenses ! Je peux te faire beaucoup plus de mal avec mes mots et mes poings que toi avec ton regard haineux et ta bouche close de lâche !

Nos colères mêlées s’insinuèrent dans mon aura et vibrèrent. Je me sentis soudainement éclater, me révéler, exploser.

Je vis dans un flash décoloré par le temps du liquide couler, goutter. Beaucoup de liquide. Des flaques de ce liquide. Je vis des corps s’écrouler. Je vis les doigts de Christina recouverts de ce même liquide. Je vis les mains de centaines de gens comme Christina, des gens intolérants et haineux, recouverts de ce même liquide. Je vis des corps courbés au point de casser. Je vis des corps brûler de l’intérieur. Je vis des personnes s’étouffer, les poumons remplis d’eau. Je vis des plantes sortir de la bouche de personnes à l’agonie. J’entendis des hurlements. Des hurlements de haine et de colère. Des hurlements de crainte et de jouissance. Des hurlements de peine et de victoire. La vision d’horreur disparût sur l’image de ce liquide épais et visqueux s’écoulant de la bouche d’un homme aux magnifiques yeux fendus, comme ceux des félins.

Quand mes yeux se retrouvèrent à nouveau prisonniers de ceux de Christina, je compris. Ce liquide qui avait coulé à flot était du sang. Et ces milliers de Christina ? Ils n’étaient autres que ces meurtriers, que ceux qui avaient perpétués le Dezastru. Qu’elle entre tous, me regarde comme si j’étais un monstre ? C’était elle, le monstre ! Eux ! Ces détraqués qui avaient tués des milliers de vampires et métamorphes sous des prétextes injustifiables devant n’importe quelle cour. Eux qui avaient fait tellement de mal, tellement de victimes, qu’il nous était impossible de les dénombrer avec exactitude.

Oh oui, ma tante, je suis une voyante. Une de ses satanées voyantes ! Et si tu veux m’exiler ? Je ne demande rien de mieux.Tout plutôt que de côtoyer plus longtemps des monstres ! Tu as fait le choix d’abriter au sein de ton clan, le mal lui-même ? Eh bien, moi je n’y consens pas. Je ne te mettrais pas face à un choix. Je ne te demanderais pas de choisir entre moi et la lie de la société, parce que ton choix est déjà fait.

Je sursautai quand Lucie posa sa main sur mon épaule.

— Ça va, Ana ?

Je levai les yeux vers elle, et croisai ses yeux du même bleu que celui de notre calme ciel d’été. Des yeux innocents, vierge de cette vilénie à laquelle je venais d’assister. Des yeux où brillait de l’honnête affection à mon endroit. Je plongeai dans ses prunelles et fut à nouveau emportée par mon pouvoir dans une autre réalité, dans une autre temporalité.

Je vis sa main dans celle de Nicolas. Je la vis lui sourire. Je vis leur yeux briller d’une affection toute autre que celle qu’elle avait dirigé vers moi. J’y vis de l’amour.

Je secouai la tête pour me sortir de cette nouvelle vision. Nicolas et elle étaient donc ensemble ? Non, impossible. Je l’aurais su. Ils allaient être ensembles. J’avais vu le futur. Leur futur.

Je me penchai vers elle et lui révélais le contenu de ma vision à son sujet et nous échangeâmes un sourire complice. Et je vis qu’elle était heureuse de l’apprendre. Et je me dis, que ce n’était pas si mal, de pouvoir rendre les gens heureux. Je me dis que c’était bien mieux que de détruire leur esprit. Oh oui, je préférais nettement les rendre heureux plutôt que de les réduire en miettes.

— J’aurai dû m’en douter.

Je levai la tête vers la femme qui avait parlé. Aliie. Ma détestable tante.

— J’aurai dû m’en douter. Tu n’as toujours été qu’une source de déceptions. Pour tes parents, tout comme pour moi.

Je fus prise d’une envie de rire. De glousser. Elle voulait me choquer, me faire pleurer ? Il y avait bien longtemps que ses discours haineux ne m’atteignaient plus. Cela faisait bien longtemps que je ne pleurais plus à cause d’elle. Que je ne pleurais plus mes parents. Cela faisait bien longtemps que j’avais fait le deuil d’une famille que je n’aurais jamais. Que j’avais fait le deuil du bonheur. Mais je venais de découvrir que je pourrais très bien me contenter de faire le bonheur des autres à défaut d’avoir jamais pu atteindre le mien.

— Je vais devoir faire enregistrer ton pouvoir à la commission. Leur dire que tu es satanée madame Irma. A défaut d’être utile à la société, au clan, tu pourras certainement créer une agence matrimoniale.

Elle avait dû surprendre ma discussion avec Lucie. Du reste, je n’avais pas cherché à être discrète. Elle n’aurait pas pu davantage m’insulter. Une agence matrimoniale ? Une chose typiquement humaine. Ce mépris clair me fit penser à Christina qui avait tué des centaines de surnaturels sous le seul prétexte qu’ils étaient trop proches des humains, des sans pouvoirs. Je préfèrerais mille fois être proche de sans pouvoirs, que de ressembler à ces monstres d’arrogance !

Je me gardais bien de lui préciser que mon pouvoir n’était pas uniquement ce qu’elle pensait. A quoi bon ? Eh bien, que le ciel me garde de pouvoir la satisfaire d’une façon ou une autre ! Est-ce que je voulais vraiment qu’elle sache que je connaissais les serpents qu’elle cachait en son sein ?

Je compris une chose ce jour-là. Ma tante ressemblait très certainement à Christina. Elle était peut-être trop jeune pour avoir participé à ce massacre, mais était coupable de collusion et ce depuis qu’elle hébergeait de telles personnes. Ma tante était également un monstre. Un monstre qui n’avait certes pas les doigts tâchés de sang, mais un monstre tout de même. Je compris qu’il était heureux que je la déçoive, qu’elle me déteste, parce que cela signifiait que je n’étais pas et ne serais jamais comme elle.

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