Enchanté
Souvent les plus grands changements dans notre vie apparaissent à l’improviste.
J’étais seul, à la maison, assis devant ma fenêtre, l’esprit vide, simplement occupé à suivre le frémissement des feuilles dans la canopée.
Je laissais mes pensées vagabonder. Sans le savoir j’étais prêt, infiniment prêt à l’accueillir.
Il apparut, au départ un peu trouble, puis, petit à petit, clair et net.
Je sais ma réponse fut stupide.
« — Enchanté, dis-je en manque d’inspiration.
— Enchanté, répondit mon visiteur en souriant. Je me présente, je suis l’enchantement.
— Tu me ressembles étrangement, remarquai-je, comment peut-on être enchanté par soi-même ?
— Je suis toi, exactement semblable ou sensiblement différent, mais toi quand-même ! »
Je me frottai les yeux, je me pinçai très fort , mais le visiteur resta là, attendant ma réponse. Il reprit la parole.
« — Enchanté, répéta l’enchantement.
— On va finir par faire du Devos, répondis-je en éclatant de rire.
— Tu as l’air surpris, remarqua le visiteur. Tu ne cesses de m’invoquer et quand j’apparais, tu n’as rien à me dire.
— Je suis perdu, avouai-je décontenancé.
— Et bien je t’écoute, reprends le fil de tes pensées et tu verras que ma présence ne vient que de toi. »
Je me tus longuement puis me lançai dans mon monologue, sous le regard bienveillant de l’apparition.
« — Oui, c’est vrai , tu ne pouvais que te présenter à moi, oui tu ne pouvais qu’être moi-même. C’est évident.
La pensée de l’infini me poursuit, j’ai compris que l’Univers était probablement infini, mais ça nous le savons depuis longtemps. Mais la découverte de l’inflation cosmique au tout début du Big Bang a conduit à une découverte plus surprenante : l’inflation éternelle, un infini d’univers infinis.
— Tu t’étonnes, mais tu ne t’émerveilles pas encore, remarqua l’apparition.
— C’est vrai, mais tu n’es pas loin !
Car personne ne semble voir la merveilleuse conséquence de ces univers infiniment infinis !
— j’approche, s’amusa mon double. »
Un long silence complice se fit. Je goûtai le caractère exceptionnel de cette rencontre, car jamais, non jamais il n’a été donné à quiconque de se voir soi-même, exactement soi-même en double.
La simple pensée du caractère impossible de ce face à face suffisait pour maintenir l’enchantement, mais lui et moi, nous n’avions pas été au bout du sortilège.
Nous éclatâmes ensemble de rire. Mon double remarqua :
« — Nous avons-eu la même pensée.
— Il ne peut pas en être autrement, dis-je, puisque tu es moi et je suis toi.
Je peux répondre à ta question avant que tu la poses , et oui c’est à ton tour de monologuer.
— Je poursuis ton, ou plutôt notre raisonnement.
Dans un univers infiniment infini , je, nous, existons à l’infini. Le seul miracle vient du fait que je suis devant toi, mais aucun de nous deux ne sort de lui-même.
Ma vie, nos vies se répètent à l’infini, exactement la même ou sensiblement différentes. Donc …
— Donc, repris-je, il n’y a ni mort, ni regret, ni remords.
— Exactement continua l’apparition. Si tu meurs, tu renaîtras des milliards de fois à l’infini. Je suis un de tes lointains avatars passés ou un de tes prochains futurs.
— Voilà pour l’immortalité, précisai-je, mais si tu es légèrement différent, tu peux effacer mes regrets, mes remords, car tu n’auras pas pas fait exactement comme moi.
— Ou avoir d’autres remords ou d’autres regrets , précisa mon avatar. »
Peiné, je vis mon double s’effacer lentement, je pris une voix suppliante :
« — Tu me quittes déjà ?
— Un enchantement qui dure n’est plus un enchantement, philosopha mon double.
— Nous nous reverrons ?
— Dans ta prochaine vie, de façon strictement identique ou sensiblement différente : c’est peut-être toi qui m’apparaîtras, murmura la faible voix de l’enchantement. »
La canopée se mit à frémir et l’enchantement se dissipa lentement.
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