Ne pas suivre le chat

8 minutes de lecture

La vieille maison tremblait sous le poids de la neige.

Sur la façade, il y avait une date à moitié effacée : 1930.

C'était une maison en briques, bourgeoise, cossue.

Elle avait dû avoir fière allure, il y a longtemps !

Mais aucune trace de pas n'y conduisait : car tout le monde fuyait "la Maison aux secrets".

La maison aux secrets était abandonnée mais, étrangement, rien ne pouvait le laisser penser tant elle était encore en bon état. C'était peut-être pour cette raison que tout le village se posait maintes et maintes questions. Les voisins n'avaient jamais vu personne y rentrer ou en sortir et pourtant, l'herbe était toujours coupée, aucune trace de rouille n'apparaissait sur le grand portail en fer forgé, les fleurs se portaient parfaitement bien, même en hiver, la boîte aux lettres était toujours vidée malgré le passage quotidien du facteur et, de l'extérieur, les murs n'étaient tachés d'aucune trace de moisissure ou de vieillissement.

On racontait d'étranges histoires sur cette maison. On disait que parfois un chat entrait et qu'il ne fallait pas le suivre.

Karin avait lu son histoire, voilà ce qui arrive depuis toujours à ceux qui voient le chat :

"

Le chat marche dans la ruelle sombre, puis disparaît.

Ses pas feutrés ne laissent aucune empreinte, comme si le sol n’avait pas voulu garder trace de sa présence. Il entre dans l’obscurité comme on rentre chez soi. Aucun bruit ne suit son passage. Même les ombres semblent se taire à son approche.

Peu après, le détective arrive, chapeau bas et regard perçant, une loupe à la main, convaincu qu’il suffit de chercher assez longtemps pour trouver n’importe quoi — même ce qui ne veut pas être trouvé. Il scrute, il interroge les murs, il murmure des hypothèses au vent. Puis lui aussi disparaît, avalé par l’obscurité, sans un cri, sans un mot.

La police vient alors, bottes lourdes et lampes braquées sur le néant. Ils dressent des barrages autour du vide. Ils interrogent des témoins invisibles. Mais bientôt, leurs voix s’éteignent. Leur lumière faiblit. Et ils s’en vont, eux aussi, comme s’ils n’avaient jamais été là.

L’enfant arrive en dernier, les yeux rouges et les mains tremblantes. Il tient un jouet usé, un foulard rouge, un morceau de peluche. Il appelle doucement :
— Minou ?
Mais seul le silence lui répond. Alors il entre dans la ruelle. Sans hésiter. Comme si, quelque part, il savait que c’était inévitable.
Et il disparaît.

Un temps infini passe. Peut-être quelques secondes, peut-être des années. Personne ne pourrait le dire.

Puis, soudain, le chat ressort.

Il marche lentement, avec cette grâce indifférente qu’ont les félins. Son pelage est plus brillant qu’avant. Ses yeux luisent dans la pénombre. Son ventre est plein. Repu.

Il s’arrête un instant à l’entrée de la ruelle, regarde autour de lui, comme pour vérifier que personne ne l’a vu. Puis il s’éloigne, silencieux, la queue haute, disparaissant à nouveau — mais cette fois, dans la lumière.

Personne ne le reverra jamais.

Mais certains jurent, la nuit, entendre un miaulement lointain, suivi d’un appel d’enfant. Et quand ils ouvrent leur porte, il n’y a rien. Juste le vent. Et peut-être, une petite tache noire au coin de la rue, qui disparaît dès qu’on la fixe trop longtemps. "

Depuis une semaine, les ados en classe de neige tournaient autour de la vieille demeure abandonnée. Les moniteurs de la colonie ne soupçonnaient rien, et comme c'était le dernier jour des vacances, la journée était libre.

Karin, la plus curieuse, menait la petite troupe. Elle vivait à New York, ses parents avaient beaucoup d'argent, sans doute trop. Karin faisait ce qu'elle voulait et son désir de partir en colonie de vacances n'avait pas posé problème : c'étaient des vacances bon marché et la richesse n'exclut pas la pingrerie !

Karin essaya toutes les portes de la maison hantée : elles étaient fermées à clef.

Par derrière, cachée par le lierre, il y avait une vieille porte. Elle sentait le chêne, et une fois le lierre dégagé, on pouvait deviner de vieux dessins effacés. Intriguée, Karin devina un étrange motif : un chat combattait un dragon enflammé. Karin essaya de faire tourner la clef rouillée.

Soudain le chat maudit apparut !

La porte s'ouvrit, le chat entra. Tous reculèrent, sauf Karin.

Elle entra, et dès le seuil franchi, la porte se referma. Ses camarades étaient de l'autre côté. Karin décida d'avancer dans le couloir.

Inquiète, elle ferma les yeux, et, quand elle les rouvrit, elle vit... un chat !

Interloquée, elle dit :

" -Qui es-tu ?

- je suis un chat

- Le chat d'Alice ?

- T'appelles-tu Alice ?

- Non Karin !

- Moi je suis le chat du philosophe.

- Je ne comprends pas. "

Le chat ferma les yeux, il se mit à psalmodier en ronronnant :

"Je me présente, je suis le chat, oui c'est cela le chat timide, le shy cat.

Je vous parle, je miaule, je fais des pitreries, depuis des années et je ne me suis jamais présenté !

Quel étourdi, quel étourdi !

Mon maître est philosophe, il s'interroge sur le sens d'une présence, il essaye de vous guider vers le bonheur.

Et moi ?

Moi, j'écris des poèmes, de folles histoires, des philofictions.

Bref, comme tout chat qui se respecte, je m'amuse.

Parfois même, je réfléchis.

Que voulez-vous, être le chat du philosophe demande bien quelques sacrifices .

Mais c'est une bonne place : n'essayez pas de la prendre ou je sors mes griffes !

Je vous laisse, mon maître m'attend.

Et je me tais : il serait fâché, car il est convaincu que les animaux ne peuvent pas parler !

Ne me plaignez pas : rien n'est plus doux que les caresses d'un philosophe..."

Karin demanda :

" - Verrai-je ce philosophe ?

- Tu verras son chat.

- Qui suis-je ?

- Tu commences à poser les bonnes questions, mais fais attention à la machine !

- Quelle machine ? "

Le chat disparut et elle entendit le bruit d'une machine.

L'étroit couloir qui menait vers la machine se tenait devant elle.

Elle s'apprêta à affronter la machine. Dans son esprit une étrange et baroque tuyauterie steampunk se transformait en un hideux dragon...

Elle se retrouva dans un intérieur « cosy », à la suédoise.Vaguement rassurée, Karin s'assit sur le canapé, cherchant désespérément des yeux la machine.

Un hologramme se mit en place, et Karin eut le souffle coupé : une superbe jeune femme la regardait.

Une voix, légèrement synthétique l'accueillit : " Bonjour Karin, je t'attendais."

Karin sursauta : une Intelligence Artificielle !

On avait eu raison de la mettre en garde.

La machine reprit :

" - Tu sembles troublée ?

- On m'a dit...

- De te méfier de moi. Qui ?

- Le chat.

- Celui qui se prend pour Merlin ? "

La machine éclata de rire. Ce rire avait une pointe de cruauté qui déplut à Karin.

Nostalgique, la machine raconta les temps joyeux, quand la maison était remplie de rires et de chants.

La machine soupira : " Hélas, tout cela est fini, depuis un triste matin de Novembre, il y a longtemps. "

Un long silence se fit.

La machine reprit d'une voix un peu plus métallique :

" - Désolée, ici, il n'y a pas de magie, juste de la technique.

- Le chat m'a dit que ...

- « Le chat m'a dit que ! » Mais ton chat est un fieffé menteur,un maître de l'illusion.

- Il ne fait que mentir ?

- Non, l'illusion c'est un mensonge qui repose sur le désir.

- Quel désir ?

- Ton désir d'aventure et de mystère : Merlin, Mademoiselle K et tout le reste.

- Mais où est la vérité ?

- Tu commences à poser les bonnes questions."

Curieuse, Karin continua son chemin. elle entra dans une chambre. Personne ne venait l'accueillir : pas de combat à mener, cela, aussi, était rassurant.

Par la fenêtre ouverte, Karin vit la mer. Ce n'était pas l'océan déchaîné, non c'était une étendue marine paisible, lente, lascive. La mer, au milieu de la montagne ? C'était étrange.

Elle avait toujours aimé se perdre dans la douceur des flots, et pour la première fois, elle sentit l'angoisse qui la poursuivait depuis le début de cette étrange histoire s'évanouir.

La pièce était couleur pastel, légèrement parfumée. Sur le lit rose pale, il y avait des peluches : des chats, des tigres, des lions, des lynx.

Des posters de félins tapissaient les murs. A n'en pas douter, c'était une chambre d'enfant.

Pourtant le lit était grand, et tous les meubles avaient une taille adulte.

Karin alla vers le miroir et poussa un cri : elle avait des couettes et un corps de petite fille !

Soudain, elle comprit : son désir d'apaisement s'était exaucé. Karin avait retrouvé la douceur de l'enfance.

" Je suis retournée dans mon passé, mais pourquoi ? "

" Pour répondre à la question." Le chat, invisible, lui avait répondu.

Qui suis-je ? Une pensée jaillit : Karin K, double K, Mademoiselle K.

Mais cette réponse contenait trop, ou pas assez, d'éléments.

Elle vit un livre posé à terre, un roman de Jules Verne. Dans ce livre, des petits hommes bougeaient.

Ils prenaient des ciseaux, oui des ciseaux.

Ils découpaient le texte de Verne et s'inventaient de nouvelles histoires. Quand il ont vu Karin, ils ont tout caché, mais elle réussit à récupérer quatre voyages, vraiment, extraordinaires !

1 Voyage décentré

Cependant sauf

Un Islandais de l'abîme

La tête de cône du ciel

S'enfonçait dans l'immensité

Au temps du foyer

Chassait ses vapeurs béantes

Sous le courage

De leur disposition

Gesticulant et lançant

Des morceaux de lave

Évidemment

2 Voyage alternatif

Malgré les pentes

La route

S'échappa des mains d'un Islandais

L'orifice supérieur

Du ciel

S'enfonçait dans l'immensité

Du temps

Ces cheminées

Étaient là

Béantes

Le professeur Lidenbrock lui avait

Lancé

Hans

Assis sur des morceaux de lave

3 Troisième voyage

Voyage

Que le guide

Ne connaissait pas

La route de Cordes

S'échappa des mains d'un Islandais et alla

Singulièrement réduite mais presque parfaite

Au fond du Cratère central

Vapeur rapide

De leur compréhensible

Parole

4 Dernier voyage

La terreQ

Ne connaissait pas

L'abîme

A midi

J'aperçus l'orifice

Parfait

Qui s'enfonçait

Dans trois cheminées

Béantes

Sous

Le professeur Lidenbrock

Lançant

Des morceaux de lave

Elle retourna la feuille A4 et vit un scorpion dessiné. Elle lut une date : 18 novembre 1970, le jour de la naissance de sa mère ?

Soudain l'étrange morceau de papier prit feu : Karin eut juste le temps de le jeter à terre. La feuille n'était plus qu'un tas de cendres, et le dessin d'un scorpion gigantesque volait dans les airs.

Karin poussa un cri, tout disparut. Elle se réveilla devant ses camarades interloqués : elle ne dit pas un mot.

Personne ne croirait que tout cela s'était passé, derrière la porte mystérieuse de la maison aux secrets.

Quand on voulut l'interroger, elle choisit de déclamer d'énigmatiques poèmes :

Portes du passé

peuvent à tout jamais te

libérer te perdre

Je voyage

De l'autre côté

Du miroir

De l'espoir

Je voyage

De l'autre côté

Du parloir

Du trottoir

Je voyage

De l'autre côté

Des sentiments

Troublants

Je voyage

De l'autre côté

Des concepts

Du transept

Je voyage

De l'autre côté

De la musique

De l'ésotérique

Je voyage

De l'autre côté

Du temps

Des amants

Je voyage

De l'autre côté

De la rage

Du fossé

Je voyage

De l'autre côté

De la méchanceté

Des nuages

Je voyage

De l'autre côté

De la nuit

De ma vie

Je voyage

De l'autre côté

Et je ne suis pas pressée

D'arriver

Je voyage

De l'autre côté

Et je ne suis pas pressée

D'arriver

Je voyage

De l'autre côté

Et je ne suis pas pressée

D'arriver

Mais ses amis insistaient. Les plus courageux voulaient, eux aussi, explorer la maison, passer de l'autre côté.

Karin les mit en garde :

Car le désespoir

pourra ouvrir dans ton âme

la porte oubliée

La neige se remit à tomber, la maison de 1930 n'avait livré qu'une infime partie de ses secrets, mais Karin était la seule à avoir suivi le chat et survécu !!

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire phillechat ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0