Dans la voiture

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Montant dans la voiture, Chaperon retrousse sa robe, laissant découvrir des bottines noires à fins talons, des bas résille losangés, une chair délicate pareille au corail des oursins dormant dans la nacre douce de leur coquille. Chaperon n’a nul souci de moi. Ne m’aperçoit nullement. Seulement tissée du songe intérieur qui tapisse son être, seulement occupée de poursuivre son voyage dont, certes, je suis le Voyeur privilégié, dont nul autre que moi ne saurait troubler la précieuse liberté. Parfois, entre deux touches de brosse, le subjectile vibrant sous la pression, j’aperçois le visage de l’Artiste, concentré mais radieux, soucieux mais libre de créer le Monde à sa guise.

Je m’assois tout juste derrière la banquette en bois qu’occupe Chaperon. La toile de ses cheveux flotte librement et je suis avec attention et même vénération le mouvement du souffle qui l’anime. Parfois quelque pensée intime s’échappe du massif de sa tête, s’enroule autour des barres d’appui, des porte-bagages. J’en devine le rare, j’en suppute le précieux. En réalité ce ne sont nullement des mots que l’on pourrait déchiffrer, ce sont des genres d’hiéroglyphes, de mystérieux sinogrammes, de signes pareils à ceux gravés sur les bâtons percés de la Préhistoire. Ce sont de minces pullulations, d’amusants tropismes, cela a la consistance aérienne des tuniques des chrysalides, la légère persistance à être des feuilles trouées de vent, dont il ne demeure que les nervures. Elle, Chaperon, paraît identique à ses pensées, un indéfinissable, une trame à peine armoriée, un tissu lâche, la texture de l’ineffable, les mailles d’une chimère. Pour ceci elle se donne comme le rare, l’inaccessible mais on peut la regarder à loisir depuis le territoire libre de son imaginaire. Peut-être n’en est-elle qu’un fragment détaché, un grésil se perdant aux confins de la nuit, mourant sur la margelle bleue de l’aube ?

Notre convoi s’est arrêté en rase campagne. Voyageuse s’est levée, m’a frôlé de sa robe de satin. Elle a descendu les degrés des marches, ses bottines touchant à peine les lames de fer. Je l’ai suivie, toujours dans la discrétion. Face à nous une large clairière entourée de hauts arbres aux ramures minérales. Poudrés d’émeraude et de blanc. Une féerie de Noël. Au sol, une herbe drue, semée de pâquerettes et des clochettes parme des fritillaires-couronnes. Ici et là des touffes végétales aux feuilles dentelées. Chaperon, arrivée au centre de la clairière, a étalé sa robe en large nappe, s’est assise, a longuement observé des meutes d’oiseaux invisibles, les yeux perdus parmi les joues pommelées des nuages, le front lissé de l’eau claire du ciel.

Tout autour d’elle c’est la pure joie qui irradie, faisceau polychrome de faveurs qui tressent autour de sa tête l’ode des plaisirs illimités.

Chaperon respire et c’est le bonheur.

Chaperon ouvre ses mains

et c’est la plurielle donation du jour.

Chaperon lisse ses cheveux

et c’est pluie de félicité

qui se répand alentour

avec son bruissement de dentelle.

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