Son visage

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Son visage, je n’en pouvais percevoir que quelques rapides reflets mêlés aux lianes, aux vagues souples de l’eau. Elle était un genre d’Ophélie, mais encore située entre deux ondes, entourée d’une haie de pétales blancs, cernée de plantes aquatiques, tenant dans sa main droite cette rose ou bien ce bleuet aux teintes si vives, image encore de la vie en son effusion. Parfois, il me semblait que Chaperon essayait de deviner mon profil dans le miroir de la vitre mais, sans doute, ne s’agissait-il là que d’une projection de mon désir. J’entendais ronronner le moteur de la draisine à la manière d’un gros bourdon et aussi le grincement des roues sur la voie étroite. Je nous pensais partis pour un voyage tout au bout du monde, là où plus rien n’a lieu que le vertige sans fond d’un périple étrange et sans but.

A peine avais-je médité ceci, que le convoi s’engouffra dans une sorte de tunnel ténébreux, comme s’il était tapissé d’une couche de suie. Les sons ne me parvenaient plus qu’étouffés comme si l’on descendait dans un gouffre aux parois humides tapissées de mousses et de lichens. Des orifices creusés dans les parois, imitaient des oculus. Une lumière infiniment blanche en traversait toute la longueur. Donc, à intervalles réguliers, pareilles à un clignotement régulier dont un démiurge diabolique aurait mesuré le rythme, de grandes balafres de clarté inondaient la voiture, révélant jusqu’à une sorte d’excès la vêture pourpre de Chaperon, la silhouette de son visage qui se fardait d’étonnantes lueurs cosmiques.

Je ne pouvais m’empêcher de projeter sur l’écran de mon imaginaire une fin proche, laquelle ôterait toute possibilité de connaître la Voyageuse. Soudain, venant du fond du tunnel, montant de sa gorge étroite, une déflagration blanche envahit la carlingue de fer de la voiture. C’était une onde brillante comme mille soleils, un raz-de-marée qui m’arrachait à moi-même en même temps qu’il soustrayait Chaperon à ma vue. Je m’agrippai au rebord de mon siège mais en vain. La houle avait raison de moi, elle m’enlevait à mon être propre si bien que je me pensais l’innocent jouet de quelque abîme où, bientôt, je disparaîtrai corps et âme. Celle par qui je vivais depuis quelques heures n’était plus qu’une lointaine et illisible éclipse.

Alors je perçus nettement, tout juste devant l’étrave de ma poitrine, un genre d’opercule fibreux, de membrane visqueuse qui m’attirait à elle par un terrible effet de succion. Bientôt je perdis une claire conscience des choses, n’en ressentais que la forme approximative, percevais des silhouettes fuligineuses disposées çà et là de part et d’autre d’un étroit boyau. Et bien que ma vision ait été altérée par mon saut dans l’inconnu, je parvenais à distinguer assez clairement ce qui venait à moi dans le genre d’une étrange procession. Le sol était tapissé de larges dalles de marbre noires et blanches. Rangées telles des cariatides près d’un temple antique, des femmes en robes longues aux plis amples, larges capelines sur la tête semblaient distraites d’elles-mêmes comme si elles étaient aux portes mêmes du Tartare ou bien sortaient d’une salle de fumeurs d’opium. D’autres femmes entièrement nues, à la carnation entre pêche et abricot s’exposaient tels des fruits sur l’étal d’un marchand des quatre saisons, et toujours cette floculation dont leurs corps émettaient la bizarre matière.

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