Chapitre 62

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Pour la prise de fonction début novembre, je choisis le service enfants. Quelques jours auparavant je vis arriver le play-boy post soixante-huitard croisé au moment du concours, plus parisien que lui tu meurs ! Il s'approcha de moi, l'air faussement intimidé et me dit de sa voix suave de crooner :


- Bonjour... me voici interne à Seglas.

- Bienvenu au club !

- Les piaules de l'internat sont toutes occupées, tu serais d'accord pour me loger dans ta villa ?

- Mais oui... il y a de la place et ça ne me pose aucun problème.

- Merci.


Prénommé Aksel, mon colocataire n'avait en tout et pour tout comme effets, qu'une valise et un sac à dos, je l'installai dans la chambre le plus à l'écart de la mienne, plus spacieuse mais ne possédant pas de sortie sur l'extérieur. Et, comble de rapprochement, il se trouvait, lui aussi, en rupture de couple et affecté au service enfants. J'ignorais alors que notre association allait défrayer la chronique hospitalière, que nos frasques seraient dignes de celles de Butch Cassidy et le Kid. En tout bien tout honneur, évidemment.

Lui, le type que l'on remarquait d'emblée, qui en imposait de par sa beauté, son élégance, son charme naturel, son côté snob, ses allures décontractées et son assurance. On l'entendait et on le voyait venir de loin dans son petit bolide de sport qu'il conduisait comme un pilote de course. Moi, le parfait beauf néandertalien, sortant à peine de sa caverne, habillé par Monoprix, économe comme un paysan, craintif et timide à l'excès, incapable de savoir à qui je pouvais plaire, et transparent au volant de ma 204 que je conduisais comme un pépère tranquille.


Il faut croire que les extrêmes s'attirent car, contre toute attente, la mayonnaise a fort bien pris entre nous deux. Une amitié durable et indéfectible venait de s'introduire dans ma vie affective de patachon plus que tourmenté.

Le médecin-chef du service enfants nous accueillit à bras ouverts. Il sortait d'un conflit violent avec mon collègue et ami François, terminant son internat, dont j'avais tenté de calmer, tant bien que mal, l'état de colère indescriptible qui l'envahissait au retour de réunions houleuses. Leur différend, d'après ce que je pus comprendre, portait sur l'analyse psycho pathologique et la conduite à tenir à propos d'un jeune garçon apparemment psychotique.

Finalement le résultat de cet affrontement s'avéra plutôt positif pour François qui s'allongea sur le divan d'un psychanalyste à Paris, rempila comme interne en réussissant le concours des hôpitaux psy de la Seine, et fit de ce conflit le sujet de sa thèse de doctorat en médecine. Thèse pour laquelle il me demanda de jouer le rôle de rewriter, ce que j'acceptai bien volontiers. Il n'y avait pas grand chose à corriger, elle se lisait comme un roman policier avec pour victime un enfant et pour coupable l'institution psychiatrique. D'ailleurs son succès fut tel qu'une grande maison d'édition la publia, en réalisant un profit non négligeable. L'ouvrage a même été traduit en plusieurs langues. François et moi avions envisagé d'écrire ensemble un roman policier, mais il n'eut, en réalité, pas besoin de moi pour réaliser ce projet. Il accomplit sa carrière en tant que psychothérapeute libéral à Paris et devint membre influent d'une des quatre écoles, ou plutôt chapelles, de psychanalyse. Je ne l'ai jamais revu, cependant le lien s'est maintenu par le biais de patients que je lui adressai régulièrement.

Les enfants. C'est auprès d'eux que s'orienta mon avenir professionnel. Désormais, j'allai leur consacrer toute mon énergie et ma disponibilité, jusqu'à ma retraite. Pourtant rien ne me prédisposait à m'engager dans cette direction.

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