Chapitre 75

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    Les exercices se limitaient au strict minimum. Nous étions bien loin des entraînements de Quantico. Quelques petits défilés dans la cour centrale de la caserne où les irréductibles de l'incoordination motrice sautaient toujours d'un pied sur l'autre, tels des apprentis danseurs de claquettes, même à la fin des classes. Une marche de quelques kilomètres avec un barda allégé, et en plus durant la journée. Un tir couché au fusil, pour la frime car les médecins n'utilisent pas d'arme de guerre, avec des balles à blanc évidemment, sur des cibles circulaires à trois cents mètres en plein brouillard. Dans l'ensemble sur ces points là je m'en suis plutôt bien sorti.


Mais quand il s'est agi d'utiliser le revolver de défense accordé aux membres du service de santé, ce fut une toute autre affaire. En amphithéâtre, un sous-officier instructeur nous en avait préalablement expliqué le fonctionnement, ainsi que toutes les précautions à prendre. Tenant l'instrument à bout de bras il nous déclara sur un ton emphatique et doctoral :

- Vous savez, c'est pas un objet léger qu'on peut tenir comme ça longtemps, car il pèse 1kilo 325 grammes. Avez-vous déjà eu souvent l'occasion de tenir un objet de 1kg 325 grammes comme ça au bout de votre bras ?

- Oui ! Moi, à chaque fois que je pisse, lui répondit un facétieux camarade, histoire de détendre l'atmosphère.


Prendre en main cette arme et son chargeur me brûlait les doigts. Je fus incapable de la démonter et la remonter en un temps record, de la nettoyer correctement, de placer une seule balle en salle de tir, dans la cible figurant une silhouette humaine.


Des cours magistraux je n'ai gardé qu'un vague souvenir. Ceux qui concernaient la médecine tropicale m'ont intéressé. Mais ceux qui avaient trait à notre arsenal défensif, notamment à la bombe atomique, fierté des militaires de carrière, ne m'ont pas convaincu. Il m'a semblé que l'on faisait bien peu de cas des retombées radio-actives, qui ne paraissaient pas si dangereuses que cela, d'après ce que je crus comprendre. Fuir aussi vite que possible le lieu de l'explosion, s'accroupir derrière un mur puis prendre une bonne douche, semblaient largement suffire pour s'en protéger et se décontaminer. Il n'est pas exclu, et je l'admettrais volontiers, que sur ce sujet-là ma mémoire ait quelque peu remanié la réalité objective des faits enseignés.


De cette période je n'ai conservé aucune relation, aucun ami. Il faut dire que les psychiatres ordinaires n'entretiennent pas facilement des liens durables avec autrui. Pas plus que les autres médecins ne recherchent leur contact. Cependant, rapidement après avoir consulté la liste des sept cents participants à cette incorporation, nous avons décidé de nous réunir à plusieurs reprises, la vingtaine de psys que nous étions. Ce qui faisait marrer nos collègues.

- Ah tiens ! Les psys sont encore en train de se réunir pour savoir quand est-ce qu'ils vont se réunir à nouveau.


Mais nous étions immunisés contre ce genre de sarcasmes ! Nous organisâmes entre nous un choix anticipé dès que les postes à pourvoir dans les services neuropsychiatriques des hôpitaux militaires furent publiés. Celui d'Allemagne convenait à Machin qui vivait à Strasbourg, ce qui tombait bien. Les trois parisiens optèrent pour le Val de Grâce, et en définitive tout le monde y trouva son compte. Pour ma part, je fus le seul à choisir le poste disponible dans ma ville de fac peu recherchée, où l'hôpital militaire se trouvait à deux pas du campus universitaire et du CHU, et où il me serait aisé de poursuivre ma troisième année du CES de psychiatrie.


Dès lors, le concours cessa d'exercer la moindre pression sur nous. Peu nous importait d'obtenir les premiers rangs. Notre objectif se limitait à la moyenne de dix sur vingt, ce qui n'allait pas nous demander beaucoup d'efforts. Pendant que nos camarades, si subtils pour manier l'ironie, bossaient leurs fiches comme des malades, nous allions faire la fête à Bordeaux et je rentrais bien éméché de nos visites des caves et boîtes de nuit de la région. Ma voiture fut mise à contribution et mes économies, prévues pour une année, se virent liquidées en moins d'un mois.


Le résultat des courses se solda par la réussite de tous les psys au concours. J'obtins de surcroît le titre honorifique de major dans notre spécialité, bien que placé en 547ème position. Il ne me restait plus, avant de rejoindre mon affectation et ma chère région natale, qu'à me rendre en train au QG de Metz pour recevoir mes galons d'aspirant et mon bel uniforme d'officier de santé.

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