Chapitre 80

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  L'essentiel de mon travail consistait en des entretiens avec les nouvelles recrues, parfois avec des militaires d'active, sous-officiers et officiers essentiellement. Avec ces derniers, je me retrouvais en terrain connu. Les plus nombreux venaient pour une cure de désintoxication alcoolique, et notre colonel n'était pas tendre avec eux. Il les confinait dans le service fermé, sans visites ni sorties, ne leur laissant aucun moyen de récriminer ou de se plaindre. Sur ce point, mon humanisme, qu'il n'hésitait pas à louer volontiers par ailleurs, n'avait aucune prise sur ses décisions et son protocole de soin. Finalement, je dus reconnaître que sa méthode ne comptait pas plus d'échecs que celles de ses confrères des HP civils plus modernes et plus empathiques.


D'autres souffraient d'une authentique pathologie mentale ou neurologique. En particulier ce jeune capitaine, présentant des maux de tête, des frissons, et une température légèrement élevée. Un syndrome grippal sans plus. Notre chef me demanda de lui pratiquer un examen clinique complet en insistant sur le plan neurologique. Ce que je fis sans déceler d'anomalie de la motricité, de la sensibilité, des réflexes, de l'équilibre. Un examen tout à fait normal en somme. Cependant le patron demeurait perplexe et compléta les investigations par une radio du crâne et une artériographie au CHU voisin. Résultat, notre patient avait un abcès au cerveau assez conséquent. On l'opéra en urgence et il s'en sortit sans dommages ni séquelles. Il est venu nous rendre visite quelques temps après pour nous remercier de lui avoir sauvé la vie. Dès lors notre colon méritait quelques galons supplémentaires à mes yeux.


Dans le domaine de la psychiatrie, il y eut ce légionnaire suspecté de pédophilie qui me décrivit, avec tant de conviction et de sincérité la pureté de ses sentiments et de ses rapports avec l'enfant impliqué, qu'il me semblait vraiment innocent et digne de foi. Ensuite, Je livrai à mon chef mes observations et mes conclusions :

- Ce sujet me semble atteint de paranoïa sensitive... il m'est apparu sensible, introverti, timide, susceptible, hyperémotif, sincère, apparemment peu à l'aise avec la sexualité...

- Mon cher ami... la paranoïa sensitive, ça n'existe pas dans la Légion étrangère.

La naïveté, une fausse qualité infantile qui hélas ne m'a jamais fait défaut, s'était une fois de plus emparée de ma personne. Je ne sus pas ce qu'il advint de ce légionnaire mais il y a fort à parier qu'il avait plus à voir avec la pédophilie qu'avec la paranoïa sensitive.

Un autre cas qui est resté dans la panoplie de mes souvenirs est celui de ce colonel, adjoint du responsable d'un régiment important, qui fut hospitalisé pour un état délirant aigu. Âgé de plus de cinquante ans, il devait prendre le commandement de son corps de troupes quelques mois plus tard, en raison du départ à la retraite de son supérieur. L'Armée nous l'avait adressé après avoir découvert qu'il était l'auteur de lettres anonymes aux contenus nettement calomniateurs et injurieux à l'égard de son supérieur.


Il s'est présenté comme un homme digne, intelligent, aimable, humble, un peu perdu. Il ne comprenait pas du tout ce qu'il lui arrivait. Le comment il avait pu faire une chose pareille restait pour lui un mystère. Il était effondré et conscient de la gravité de son « craquage », prêt à en assumer toutes les conséquences. Je fus touché par sa contrition. Compte tenu de sa lucidité, de sa culpabilité assumée et de son auto critique, le colonel n'est pas resté très longtemps dans notre service. En outre, la Grande Muette ne l'a pas sévèrement sanctionné, en lui proposant une retraite anticipée avec le grade de général.

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