Chapitre 2 : Pressentiment

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Noway écoutait distraitement Kaly et Léo se disputer le titre du meilleur chercheur de source d’eau pendant qu’il machonnait avec application un morceau de vipère à cornes séchée. Pendant que ses amis partiraient en expédition cette nuit, il rongerait son frein au milieu des plus âgées du clan ainsi que des jeunes parents veillant sur leur progéniture.

Un bruit de cavalcade se fit entendre. Heto, un homme mûr de belle stature arriva précipitamment.

  • Il était de garde sur la place, souffla Kaly, ça sent pas bon…

À peine eut-elle finit sa phrase qu’Heto annonça la mauvaise nouvelle à la cantonnade.

Un clan voisin était venu planter sa lance de Duel au centre de la place. Ses représentants avaient annoncé l'enjeu : un grand puits, leur plus grand puits ! et le grand bâtiment qui était devenu leur maison commune. Celui-ci était très prisé car quasiment unique dans l’espace que se partageaient une dizaine d’autres groupes comme le sien.

Noway les avait gagnés pour son Clan. Il avait aussi défendu leur acquisition à plusieurs reprises depuis. Il était l’un des guerriers de son Clan, le meilleur en vérité, suffisamment redouté pour que les autres clans réfléchissent à deux fois avant de les provoquer.

Pendant que le sous-sol bruissait des multiples conversations que l’annonce avaient fait naître, les anciens, une dizaine d’hommes et de femmes considérés comme les plus sages, se retirèrent à l’étage du dessus. Ils devaient décider s’ils acceptaient la confrontation et auquel cas, qui affronterait le champion de leurs adversaires.

Dans l’attente de leur retour, l’armosphère devint lourde, les conversations se turent peu à peu pour laisser place à un silence pesant.

Les enjeux étaient importants, tous le savaient.

Noway, pour sa part, culpabilisait en silence. Voilà que ses craintes se réalisaient, il n’était pas d’attaque pour un combat. Peut-être les anciens réussiraient-ils à négocier un délai, le temps qu’il guérisse ?

Pourtant, quand le conseil revint, Noway sut à l’air sombre qu’affichait Ash que les décisions prises ne lui plairaient pas. Il apprit rapidement que son Clan avait accepté le défi sans rien négocier : ni le délai, ni les enjeux. Il écouta, dans un état second, les anciens qui désignaient Léo, guerrier du Clan comme lui, pour les représenter.

La gorge de Noway se serra. Pour une telle mise, les autres enverraient leur meilleur élément. Il était bien placé pour le savoir. Il regrettait soudain, avec amertume, que ce ne soit pas Léo qui se soit blessé.

Noway jeta un coup d’œil à son ami. Son visage avait légèrement pâli, ses yeux d’ordinaire si pétillants s’étaient assombris. Léo, comme Noway et Kaly, avait tout appris de l’art du combat rapproché avec Ash. Ce dernier, malgré l’amnésie dont il souffrait quand on l’avait trouvé à moitié mort dans le désert, avait gardé trace de connaissances qui servaient à tout le clan : son expérience du combat mais aussi son don pour réparer les machines et sa connaissance des symboles étranges qui s’y affichaient. Il appelait ça des lettres, il avait d’ailleurs appris cela à Noway et Kaly. Le reste du Clan ne s’y intéressait pas, au grand regret de son grand-père. Seul Léo avait profité de ses lumières car avec Noway, ils étaient inséparables.

La morsure cruelle de l’inquiétude étreignit Noway quand son frère de cœur se leva, comme il était de coutume, pour aller rejoindre le cercle des Anciens. Il signifiait ainsi son accord pour livrer ce combat.

  • Noway, murmura Kaly en serrant violemment la main de son frère sous la table. J’ai peur.
  • Je suis sûr qu’il s’en sortira très bien, mentit Noway, la gorge nouée. Il est aussi fort que toi et moi.

Kaly ne répondit rien à cette demi-vérité. Tous les deux connaissaient les qualités guerrières de Léo tout comme ils savaient qu’il n’était pas un tueur. Or, parfois, il fallait l’être…

Quand le jeune homme revint vers eux en souriant bravement, ils tachèrent d’arborer un air tranquille et confiant.

  • Ce sera dans quatre jours, leur annonça-t-il en s’asseyant. Au coucher du soleil. Ash m’attend demain au premier sous-sol pour mon entrainement.
  • Parfait, réussit à dire Noway. Et tu es quand même assigné aux tâches nocturnes d’ici-là ?
  • Oui, sauf la dernière nuit comme toi. Qu’est-ce que tu crois ? Je n’ai pas besoin de traitement de faveur.
  • Il ne s’agit pas de te faire des faveurs, rétorqua durement Noway. Ton dernier Duel remonte à plusieurs lunes… Demande le temps de repos qui te paraîtra nécessaire pour être au meilleur de ta forme le jour venu. C’est ce que je ferais, moi !
  • Oh les gars ! les coupa Kaly. On est tous sur les nerfs… Léo, Noway est tout aussi inquiet que toi quand c’est lui qui est désigné pour combattre, il est juste beaucoup moins diplomate que toi. Noway, ce serait bien que tu dises à Léo qu’on sera là pour le soutenir et que tu crois en lui.
  • C’est évident, non ! grogna Noway avant de se raviser. Bien sûr que je vais me faire un devoir de t’accompagner tous les jours à l’entrainement. Bien sûr que je sais que tu prendras les décisions qui s’imposent pour être prêt au combat, d’autant que c’est toi qui me les suggères quand je suis à ta place. Dois-je te rappeler que je t’ai toujours écouté ? C’est ton tour cette fois !

Le visage de son ami se dérida lentement.

  • Je m’engage à prêter une oreille tout aussi attentive que toi, aux conseils que tu auras la générosité de me prodiguer.

Noway leva les yeux au ciel pendant que Kaly peinait à dissimuler ses rires derrière sa main. Cela n’était un secret pour personne que le jeune homme était d’une humeur de fauve, les jours précédant ses combats. D’ailleurs, seuls Ash et Léo s’aventuraient à essuyer ses foudres.

Ils finirent leur repas en silence puis, Kaly et Léo laissèrent Noway gagner le sous-sol dortoir pendant qu’eux se dirigeaient vers l’extérieur.

***

Les jours qui suivirent, Noway s’attela à la mission qu’il s’était assigné. Il soutint Léo du mieux qu’il put. Dès que la douleur de sa cheville s’atténua, il insista pour lui prêter main forte, à hauteur de ses moyens. Il tint ainsi à distance la sournoise inquiétude qui l’aiguillonnait.

Assister aux entrainements de son ami lui permit de, peu à peu, se tranquilliser. Léo se montrait en excellente forme. Mieux, il semblait enfin avoir compris le message : face à un adversaire qui luttait pour tuer, il ne devait pas hésiter, jamais, même s’il était humain comme lui, qu’il avait une famille comme lui…

Participer à un duel impliquait d’accepter cette réalité cruelle : on ne jouait pas que sa vie, mais aussi celle de l’autre.

Léo avait juré qu’il n’hésiterait pas.

Le jour venu, ils vécurent assez sereinement les dernières heures avant le Duel.

Quand ils arrivèrent à la lisière sud de la cité, sur l’espace de terre battue choisi par leurs adversaires, ils étaient déjà là.

Dès l’instant où Noway posa les yeux sur leur guerrier, il sut que quelque chose clochait. Son aspect était étrange, sa peau pâle, d’un blanc presque maladif. Il arrivait parfois que naissent des individus plus blancs que les autres. Peu nombreux, on les remarquait et on les reconnaissait. Or, celui-ci, le jeune homme était tout à fait certain de ne l'avoir jamais croisé. Sa posture molle et avachie lui donnait une allure singulière. Ses genoux étaient légèrement fléchis, son dos courbé et ses bras pendant dans le vide. Seule sa tête se dressait, donnant à voir deux yeux noirs au regard absent et une mâchoire proéminente. Quelque chose dans les proportions de son corps interpellait, sans pouvoir préciser quoi.

Il ressemblait à tout sauf à un combattant. Pourtant, il avait été choisi et cela créait chez Noway un sentiment de profond malaise.

Il était si inquiet qu’avant que Léo ne s’avance dans le cercle, il le retint par le bras et lui murmura ses sombres préssentiments.

  • Je le sens pas, Léo. Il est bizarre, ce type. N’y va pas ! On peut encore négocier tant que t’es pas entré dans le cercle…
  • Léo est tout aussi capable que toi ! s’énerva la mère de Léo, sur un ton acerbe et tendu par l’inquiétude. Laisse-le tranquille ou va-t-en !
  • Léo, s’il te plaît… Écoute-moi, insista Noway tout en cherchant Ash du regard.

Lui pourrait dire si cet homme représentait une menace. Lui, on l’écouterait.

  • Ca va aller, Noway, déclara Léo en lui offrant un dernier regard brave et souriant.

Comprenant que la décision de son ami était prise, Noway le serra contre son cœur avant de le laisser s’éloigner.

Alors que Léo se dirigeait vers le centre, l’un des deux hommes encadrant son adversaire lui essuya vigoureusement le visage. Quand il eut fini, le combattant écarquilla des yeux qui brillèrent de folie.

— Non, c’est impossible ! murmura Ash qui venait enfin arriver. Il faut arrêter ça !

L’urgence dans la voix de son grand-père fit trembler Noway.

La cloche annonçant le début du combat tinta. Il était trop tard pour reculer.

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