Chapitre 14 : Journal de bord d'Alka

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« Jour un

Ce matin, j’ai travaillé, assise à mon bureau en train de siroter mon thé préféré, au jasmin quand mon bracelet m’a signalé un appel.

Quand j’ai décroché, Maya m’a annoncé qu’elle avait réussi. Elle venait d’être sélectionnée pour entrer dans le cercle très fermé des concepteurs vestimentaires de la Bulle des Gouvernants. Heureuse pour elle, je l’ai félicité.

Maya devait partir le lendemain, pour un stage de mise à jour de trois semaines et elle ne savait pas quoi faire de Noway. Elle m’a demandé de lui rendre service en m’occupant de lui pendant son absence.

Nous avons convenu qu’elle me l’emmènerait demain matin.

En raccrochant, j’ai réalisé que j’allais devenir la maitresse provisoire de Noway. Or, je n’y connas absolument rien en HC. Quelles sont les règles de bonne conduite ? De quoi ont-ils besoin ?

J’ai passé le reste de mon après-midi à consulter tous les documents que j’ai pu trouver sur Xnet.

J’ai même acheté « Comment bien élever son HC pour les débutants » que j’ai lu d’une traite dans l’après-midi. »

" Jour deux

J’ai travaillé les premières heures de la matinée sur ma mission du moment : paramétrer un nouveau profil d’infras : des spécimens de sexe féminin, longilignes, plutôt téméraires et aimant les hauteurs puisque destinées à travailler dans l’entretien et la maintenance des grattes-ciel. Vers dix heures, Maya est venue déposer Noway. Je pensais qu’elle allait me donner une liste de recommandations mais il n’en est rien. Elle m’a juste informée qu’il se rendait à sa séance d’entretien physique tous les soirs à 18h. Il est capable d’y aller seul donc ce n’est pas un souci.

Après le départ de Maya, je lui ai montré sa chambre. Ensuite, je lui ai donné un Pad avec un accès restreint sur Xnet et un logiciel de conception graphique. Il s’est tranquillement installé et j’ai pu reprendre mon travail.

Nous avons mangé puis, il s’est à nouveau assis sur l’aérosofa pendant que je continuais mon profil.

À l’heure dite, il s’est levé pour aller se préparer puis m’a informé qu’il partait s’entraîner et serait revenu vers vingt heures. Il m’a aussi demandé s’il pourrait sortir après le diner, pour aller rejoindre ses amis HC. Je leui ai donné mon accord puisque Maya l’y avait autorisé en ma présence.

En fait, cela a l’air d’être simplissime de s’occuper d’un HC. »

« Jour 3 :

Après le petit-déjeuner, J’ai informé Noway du programme de la journée.

Nous devions nous rendre au Labo pour que je puisse y lancer ma simulation de configuration génétique des Izi, le prénom que je leur ai choisi. Les individus de la seconde ceinture ont toujours des prénoms de trois lettres. Nous, dans la première ceinture, nous avons tous des prénoms à quatre lettres.

Avant de partir, j’ai pris rendez-vous pour ma séance hebdomadaire d'Optimem.

Quand nous sommes arrivés au Labo, j’ai démarré la simulation. Comme je devais attendre deux heures le temps que l’IA l’analyse, j’ai décidé de faire visiter les lieux à Noway. Dans mon livre, il est conseillé de proposer régulièrement des activités nouvelles et stimulantes aux HC afin d’entretenir leurs capacités cognitives.

Nous avons été interrompus car j’ai reçu une convocation urgente par le Directeur du Département.

Quand mon chef m’a annoncé, sans préambule, des problèmes graves de contrôle des populations sous Bulle 15, j’ai compris tout de suite que j’allais devoir partir le soir même. Je n’ai même pas eu le temps d’attendre les résultats de ma sim, ni de passer à ma séance d’Optimem.

Contrariée, j’ai pris la décision d’amener Noway avec moi. Je prétendrasi qu’il est mon garde du corps. Pleins de gens en louent un quand ils se rendent dans la deuxième ceinture. »

« Jour quatre

À notre arrivée, le directeur m’a tout de suite exposé la liste des problèmes rencontrés : rixes, agressions des femmes. Tous les comportements énoncés sont liés à une violence inadmissible. Classique dans la seconde ceinture.

Les contrôleurs ont, bien sûr, déjà tenté les solutions préconisées à savoir une fréquence accrue de passages en Optimem puis une montée en puissance de celui-ci. Rien ne marche. Cela n’est pas normal. Ces méthodes fonctionnent dans 90% des cas. Je décide de visiter une usine afin de me rendre compte par moi-même. »

À l’évocation de cette visite, ses mains tremblèrent. Depuis son départ de B2, elle avait tout fait dans les règles. Elle avait ouvert un journal de bord, commençant, comme préconisé, deux jours avant son départ. Ensuite, elle l’avait rempli au jour le jour, jusqu’à hier. Désormais, elle devait relater cette visite. Pourquoi tardait-elle tant ?

Ses yeux se posèrent sur le Pad de Noway. Sa main devança son esprit et effleura l’écran.

« Bleu à l’infini

Au loin, le bruit de mes pas

Je suis un oiseau »

Alka regarda, songeuse, ces trois phrases sur le Pad.

Elle les avaient lues, par inadvertance, en s’installant sur l’aérosofa. Malgré sa stupéfaction, elle avait refusé de s’y attarder. Elle devait d’urgence, remplir son journal de bord.

« Il sait écrire, comment est-ce possible ? » s’interrogea-t-elle, malgré elle.

Elle se secoua. Peu importait ! Relater la visite de l’usine, voilà ce qui était prioritaire.

Cela avait été brutal mais elle en avait vu d’autres. Les comportements déviants chez les Infras n’était pas si fréquents mais assez pour qu’elle y ait été confronté à plusieurs reprises. Elle était même un stratège réputé du DC depuis plusieurs années. Or, le moins qu’on puisse dire, c’est que le Dernier Cercle était le temple de la violence et de la mort par excellence.

Noway apparut dans l’encadrement de la porte. Il avait l’air inquiet.

— J’ai entendu comme… un gémissement.

Il fixa les lèvres d’Alka qui s’aperçut avec effroi qu’elle les mordait au sang.

Il vint s’asseoir à côté d’elle pour lui tendre un mouchoir sorti de sa poche.

— Je repensais à ce qui s’est passé hier… pour écrire mon rapport. Je n’arrive pas à me souvenir, mentit-elle.

Il lui jeta un bref coup d’œil circonspect puis, prit une profonde inspiration.

— C’était le début de matinée. L’air était frais, la lumière douce, comme tous les jours.

Une légère amertume teintait sa voix. Il marqua une pause. Elle avait baissé les paupières. Elle les garda closes.

  • Continue, demanda-t-elle d’une voix bien trop fragile à son goût.

Il raconta en détail ce qu’elle savait déjà. Dès leur entrée dans l’usine de création et d’assemblage de mobilier, accompagnés de trois contrôleurs, ils avaient perçu que la tension de l’atmosphère ambiante. L’un des contrôleurs avait informé Alka que la cadence était trop basse sans qu’aucune cause ne l’explique.

Ils avaient continué d’avancer quand une bagarre avait éclaté entre deux ouvriers. Noway les avaient séparés puis, sans raison apparente, il s’était dirigé vers une porte fermée. Il avait suivi le regard d’une femme, lui expliqua-t-il. Ensemble, ils avaient ouvert la porte.

Alka se souvenait d’avoir eu terriblement froid quand elle avait découvert le mobilier fracassé et surtout cette femme à moitié nue, couverte d’ecchymoses, prostrée dans un coin de la pièce.

« Pourtant, j’ai déjà vu de telles choses » se serina-t-elle une fois encore en silence.

Alka était restée figée, incapable de réfléchir.

Honteuse, elle écouta Noway lui remémorer qu’il avait dû la rappeler à la réalité, la sommer d’agir. Un HC exhortant une Bullite au sang-froid, c’était le monde à l’envers !

Elle avait alors réussi à s’approcher de l’infra pour lui donner sa veste tandis que la pauvre femme lui racontait son calvaire : battue et violée par des brutes.

Alka avait alors recouvré un peu de lucidité. Elle avait indiqué à l’ouvrière qu’il fallait aller chez le médic. Elle avait demandé à Noway de sortir pour lui trouver des vêtements. Il avait eu la présence d’esprit de penser à prévenir les contrôleurs de se tenir prêt à pister d’éventuels fuyards. Quelle humiliation quand elle y repensait mais, il avait eu raison, les coupables avaient pu être identifiés ainsi.

Noway et elle avaient accompagnés Effie dans le bâtiment médical. Elle avait été placé en caisson de restauration physique et psychique.

Fin de l’histoire. Rien ne pouvait expliquer son moment d’égarement.

— « Bleu à l’infini,

Loin, le bruit de mes pas

Je suis un oiseau … »

Il eut un léger sursaut. Des larmes roulèrent sur les joues d’Alka, bien malgré elle.

— Je n’avais jamais volé avant, avoua-t-il dans un sourire.

Elle le regarda, stupéfaite. Pourquoi l’exprimer ainsi ?

Il baissa les yeux, puis son regard s’enfuit par la fenêtre. Il murmura, d’une voix à peine audible :

— C’était dur pour moi aussi. J’avais besoin de retrouver des moments plus agréables. L’écrire comme ça, C’est une façon de retrouver ces sensations… ça me protège un peu de l’horreur du monde.

Elle suivit le chemin tracé par son regard et, elle aussi, elle s’envola. Elle se retrouva dans le cockpit, les mains entourées du halo bleu de l’empreinte de commande. Et, elle poussa l’engin à pleine puissance jusqu’à ce que les hommes, les bulles, tout disparaisse dans un fondu de bleu et blanc. Elle ne fut plus qu’un atome fou de cet univers, qui fonçait vers sa prochaine collision.

Et…

Elle rouvrit les yeux, elle sourit. Un sourire salé de larmes.

Noway avait raison, ça protègeait un peu la mémoire.

Mais, elle ne voulait plus avoir à ressentir ces drôles de sensations qu’elle ne parvenait pas à nommer.

Elle devait se ressaisir. Elle allait redevenir la Bullite à l’esprit aiguisé qu’elle avait toujours été. Elle plongerait dans l’ADN de ces barbares et chercher tant qu’il le faudrait.

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