Son emploi du temps n’est fait que de réunions du directoire, des rencontres avec le conseil d’administration, les comptables, les pontes de la finance. L’entrée en bourse est presque un évènement. C’est même inédit dans le secteur. Les mauvaises langues diront que la mort n’a jamais autant rapporté à un seul homme et sa “bande”. Ceux dotés d’un pragmatisme glaçant - et qui comptent les zéros que leur rapportent leurs actions - diront : “Business is business”. On pourrait placer notre ingénieur de formation dans cette dernière catégorie. L’argent, l’influence, le pouvoir lui ont fait perdre le peu de sensibilité humaine qu’il aurait pu lui rester. Il vous dira que lorsque l’on évolue dans une affaire comme la sienne, il faut être détaché. Vrai que jongler avec les corps comme l’on jongle avec les comptes peut en rendre fou plus d’un. Pas lui.

Une nouvelle réunion qui sera suivi d’un diner d’affaire dans un luxueux restaurant du quartier, sa journée est bouclée. Du moins elle l’était jusqu’à l’irruption de Miss Dona, petite souris engoncée dans un tailleur chic, qui redoute déjà la réaction de ce qu’elle s’apprête à dire.

« Il y a un problème à l’usine de conditionnement Monsieur Todt, chuchote t’elle le plus discrètement du monde.
— Vous ne voyez pas que je suis en train de lever de nouveaux fonds ? Peste dans ses dents notre ami. Quel problème ?
— C’est... difficile à expliquer. Vous devriez venir voir par vous-même »

Miss Dona est toute crispée et que dire de son employeur. Ce dernier se lève et s’excuse avant de quitter la pièce. Dans le bureau adjacent se trouve son ascenseur personnel qui les emmènent tous les deux après une descente vertigineuse, dans les entrailles de verre et d’acier de l’immense tour Todt. Corp. Au fur et à mesure, il pouvait entendre des grondements remontant des fondations. Puis passé le dixième sous-sol, le hurlement des sirènes. Sur la tablette qu’il tient dans les mains, les images de l’unité de conditionnement et le bloc VAT#4682. L’homme d’affaires si assuré, est pâle. Cadavérique. Un comble.

L’image grésille, le son est coupé. Mais l’on peut y voir une masse informe et gélatineuse se former et se déformer dans une danse grotesque. Parfois on reconnait un bras, une jambe, un visage... plusieurs visages. C’est un agglomérat de chair et de tissu qui s’agite, cogne contre les parois de la cuve qui devient bien trop petite pour lui. Lorsque le patron débarque dans la salle de contrôle, son cœur se glace de terreur et de dégout. Les scientifiques sont paniqués, à court de solutions.

« Le système d’urgence est hors-service monsieur. Tous les circuits d’alimentation en solution X sont coupés et pourtant... énonce d’une voix faible, le responsable de l’unité.
— Où sont les manutentionnaires ? Qu’attendent t’ils pour déclencher le système manuel ? Grogne l’homme d’affaire, les yeux tournés vers la créature, où sont-ils !! »

Sans un mot, le savant désigne l’horrible chose qui s’échappait alors de la cuve d’un geste tremblant du bras. Dans le même temps, tous les visages figés dans une expression d’horreur absorbé par La Chose s’agglutinent pour faire face à la verrière du poste de contrôle. Le hurlement qu’ils poussent résonne dans toute l’unité, sous la lumière stroboscopique des alarmes couvrant leur propre son. Un “bras” jaillit de cette masse grotesque, explose la vitre comme du sucre filé puis s’empare de l’homme d’affaire qu’elle porte à hauteur de ses visages. Ils geignent, à la fois plaintif et hostiles.

« Mort... »

Monsieur Todt tente de se débattre, geint de terreur et sent ses forces l’abandonner, son corps se plier, ses os se briser. Son visage rejoint alors les autres dans cette collection mortelle... Une boucle bouclée, un destin macabre.