Chapitrer 4.1 - La voie dorée

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À la surprise de March, quitter Drachima n’avait pas été compliqué. La jeune femme avec qui il voyageait avait l’air aussi pressée que lui de déserter la ville et les avait conduits vers la limite de la cité-État en un rien de temps.

Elle n’avait pas offert d’explication quant au trio qui les hélait dans la ruelle et March se demanda si elle n’avait pas le don de s’attirer les ennuis. Ce serait au moins un point commun avec March.

Franchir la frontière d’Algrava s’était fait sans heurt, car mise à part la présence de quelques soldats à l’entrée du royaume, le passage était totalement libre. L’artère commerciale menant de Drachima à Caetobria avait reçu le surnom de voie dorée du fait de son importance pour les échange sur le continent. De nombreux voyageurs et marchands l’empruntaient constamment et les patrouilles de soldats régulières faisaient de cette route l’une des plus sûres du continent.

March était maintenant vêtu d’un pantalon et d’une veste de cuir sur une chemise sombre qu’il avait déniché dans le sac de voyage de la conductrice. Il avait aussi trouvé un foulard mauve qu’il enroula autour de son crâne. Son tatouage n’était plus visible sous ses cheveux noirs, mais la longue trainée blanche de sa cicatrice le rendait trop reconnaissable et il préférait la cacher. Habillé ainsi, on l’aurait pris pour un mercenaire des clans nomades de Malavante qui escortaient souvent les caravanes commerciales vers le nord.

March avait passé les premières heures du périple assis à l’arrière de la calèche, silencieux et contemplatif. C’était le premier instant de quiétude qu’il s’offrait depuis son retour sur la terre ferme et il en avait besoin. La dernière utilisation de ses pouvoirs semblait l’avoir laissé affaibli, comme si son corps s’était vidé de toute son énergie physique.

Le calme relatif du voyage était une aubaine qu’il accueillait à bras ouverts. Il en profita pour se remémorer les évènements des deux jours précédents, assis à l’arrière de la calèche.

March était un guerrier, cela ne faisait aucun doute. Il maîtrisait le maniement des armes avec une aisance prononcée. Autre fait plus inquiétant, il n’avait pas hésité à tuer plusieurs hommes, et cela sans regrets particuliers. Sa vie était en danger et il s’était sorti de la situation le plus efficacement possible. March savait qu’il avait côtoyé la violence de près, peut être même au quotidien.

Il était aussi observateur, pouvant déceler les moindres détails qui l’entouraient. Il avait découvert son nom, Léon de Tassigny, mais pour une raison qu’il ne pouvait placer, March pressentait que ce n’était pas son identité réelle.

Détail non négligeable, il connaissait la Magie, un art supposé disparut depuis un millénaire! Des bribes de souvenirs lui étaient revenues lorsqu’il avait utilisé les pouvoirs du vent. Il avait répété ses gestes un nombre incalculable de fois. Il ne se souvenait plus pourquoi, mais le contrecoup qu’il ressentait maintenant, cette fatigue presque morbide… elle était familière. La Magie était dangereuse, il le sentait au fond de ses tripes.

— Tu sais, le voyage vers la capitale est long, dit la femme à l’avant de la calèche. Vas-tu passer tout ton temps assis là sans rien dire?

— Je pensais que vous ne me faisiez pas confiance?

— C’est le cas. Mais on peut au moins apprendre à se connaitre si on doit passer les trois prochains jours ensemble, non?

March se leva avec difficulté, comme un vieillard proche de son dernier souffle. Il alla s’asseoir à l’avant et fut soulagé de ne pas devoir faire plus d’effort.

— Hé bien mon vieux, je pensais que cette chute ne t’avait pas blessé, mais tu as l’air bien amoché! Je comprends mieux pourquoi tu étais si immobile à l’arrière.

— J’ai juste besoin de repos…

— Si tu l’dis. Dis-moi, c’est quoi ton nom au juste?

— Je… je m’appelle March, dit-il en tendant une main hésitante.

— Moi c’est Saira.

Elle lui serra la main et March ne put s’empêcher de la dévisager. Il remarqua le teint pâle de la peau sous son col. Le reste de son visage était couvert d’un fard discret qui cachait sa pigmentation naturelle et lui donnait un teint hâlé similaire à la plupart des habitants d’Aviz. Malgré ses yeux sombres, March observa un étrange reflet sur ses pupilles lorsqu’elle tourna le regard vers lui.

— D’où viens-tu March? demanda-t-elle. J’imagine que Drachima n’était qu’une étape sur ta route, n’est-ce pas?

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça?

— Tu peux me tutoyer, tu sais! Disons que tu n’as pas vraiment l’apparence d’un drachimien. Et pas non plus d’un algravien. J’ai du mal à te placer pour être honnête.

— Tu es observatrice.

— Oui, il faut bien l’être dans ma branche.

March leva un sourcil inquisiteur.

— Je suis marchande, dit-elle fièrement. Plus précisément, marchande de fleurs exotiques.

March comprit alors d’où venait son parfum si enivrant. Il se tourna vers la calèche vide.

— Les affaires n’ont pas l’air de se porter au mieux.

Le sourire de Saira s’effaça.

— C’est juste une mauvaise passe. J’ai une commande importante qui m’attend à Caetobria et grâce à ta générosité, je vais pouvoir payer mon fournisseur et livrer la marchandise pour le bal d’été. Je t’avouerais que tu es vraiment tombé à pique, sans faire de jeux de mots.

March s’esclaffa spontanément. Elle fut d’abord surprise par l’étrange intonation de son rire rauque, puis elle lui sourit en retour.

— Le bal a lieu dans cinq jours, nous y serons juste à temps. Je ne peux pas me permettre de rater une occasion comme celle-là! Si le Roi est satisfait de la décoration, j’aurais assez de contrats pour toute une vie!

— Tu veux dire que tes fleurs seront utilisées au bal royal?

Les femmes marchandes n’étaient pas si communes en Algrava et la plupart devaient constamment défendre leur place dans un monde régi par les hommes. Si Saira s’était fait une place parmi les fournisseurs de la royauté, sa marchandise devait être d’une qualité exceptionnelle.

— Oui, c’est un honneur immense surtout pour quelqu’un comme moi…

March sentit l’hésitation de Saira, elle semblait vouloir s’ouvrir à lui, mais il ne désirait pas la brusquer. Il devina qu’elle faisait référence à ses origines, la raison pour laquelle elle se maquillait ainsi la peau.

— Je pense savoir de quoi tu parles. J’ai moi-même des difficultés à savoir qui je suis vraiment, et crois moi, je dis cela au sens littéral.

— Qu’est-ce que tu veux dire? s’étonna Saira.

Pour une raison qu’il ignorait, et qui avait peut-être un rapport avec ce parfum si envoutant, March décida de s’ouvrir à l’inconnue.

— Je… je n’ai aucun souvenir datant de plus de quelques semaines. J’ai été repêché en mer et lorsqu’on m’a retrouvé, j’avais perdu la mémoire.

— Tu ne te souviens de rien?

— Non. J’ai même oublié mon prénom.

— Tu veux dire que March n’est pas ton vrai prénom?

— Non. C’est un nom que j’ai choisi. J’ai appris récemment que mon vrai nom est Léon de Tassigny, mais je préfère utiliser March pour le moment. Je me rends à Caetobria pour visiter une demeure qui m’appartient, mais je n’en ai aucun souvenir.

— Nom d’un Saint ! Et moi qui pensais avoir à faire à un détraqué… euh, excuse-moi du terme, mais tu sembles tellement différent des nobles que j’ai l’habitude de rencontrer. Je me disais bien que quelque chose ne collait pas!

Il lui sourit de bonne foi. Saira lui paraissait être une personne de confiance.

Leur conversation fut interrompue par le brouhaha d’une foule s’amassant devant eux. Saira se leva de son siège pour observer la source du remue-ménage.

— On dirait que des soldats bloquent la route.

— Des soldats. C’est inhabituel, non?

— Oui, ils ont plutôt l’habitude de patrouiller sans vraiment interagir avec les voyageurs. J’ai entendu dire que le Roi avait redoublé la sécurité autour de la ville, c’est surement la raison.

— Est-ce que tu sais pourquoi?

— Pas exactement. Des rumeurs disent que le roi serait blessé, mais je n’en sais pas plus. Ça aurait été ma veine si le Roi était mort! J’aurais pu faire une croix sur le bal! Quoique, les obsèques royales ont aussi besoin de fleurs…

Un soldat sortit de la foule et fit signe à Saira d’approcher la calèche sur le bas-côté de la route. March compta une vingtaine d’autres soldats, tous occupés à inspecter les voyageurs déjà présents.

— Saira s’il te plait ne dit pas aux soldats ce que je viens de te raconter, murmura-t-il avant qu’ils n’approchent.

Elle le scruta puis acquiesça sans un mot avant d’arrêter la calèche à hauteur du soldat. Il approcha et inspecta la calèche vide. Sans demander la permission, il ouvrit le sac de Saira et vida son contenu. Heureusement, March avait pris soin de se débarrasser de ses anciens vêtements une fois qu’ils eurent quitté Drachima. Le soldat termina son inspection et s’approcha de Saira.

— Qu’est-ce que vous faites sur cette route ? demanda-t-il de but en blanc.

— Nous nous rendons à Caetobria pour commercer. Dites-moi, vous comptez remettre en ordre mes affaires?

Le soldat fronça les sourcils et March se demanda si la remarque de Saira n’allait pas leur attirer des ennuis. Le garde déroula un parchemin et l’examina. March dut retenir sa surprise lorsqu’il aperçut le croquis d’un homme chauve marqué d’un tatouage sur le crâne. L’armée d’Algrava était à sa recherche!

Le garde releva le nez du dessin et fixa son regard sur March.

— Et lui, il dit rien? demanda le soldat en pointant March du menton.

Saira réagit avant même que March n’ouvre la bouche. Elle regarda le soldat d’un air dépité, jouant parfaitement la comédie.

— Croyez-moi, j’ai beau essayer, il ne parle pas un mot de notre langue! On m’avait dit de ne pas employer le premier mercenaire malavantais venu! Je ne sais même pas s’il me protègerait en cas d’attaque!

Malgré les efforts de Saira, le soldat garda son air suspect.

— Il n’a même pas d’armes! dit-il.

Saira fit mine d’être surprise d’une telle révélation.

— Mais bonsand’mage, c’est vrai ça! Hey toi l’imbécile, comment comptes-tu me défendre exactement?

March feignit l’incompréhension la plus totale et regarda dans le vide devant lui.

— Hé Arias, tu parles malavantais, non? cria le soldat à l’un de ses camarades.

Saira blêmit.

— Euh… je ne suis même pas sûr qu’il parle, vous savez. Il doit être muet, je ne l’ai pas vu ouvrir son clapet depuis notre départ de Drachima!

Le second soldat — si chétif qu’on aurait dit qu’un enfant avait enfilé un plastron de l’armée pour jouer au soldat — s’approcha de March. Il entama une discussion en malavantais et March compris chaque mot avec clarté. Le soldat lui demanda de quel clan il venait et il répondit avec aisance, en utilisant le nom d’un des clans les plus importants de la région. Il en profita même pour glisser une référence au chef de clan, connu pour ses excès de colères, qui lui aurait volé son épée. Le soldat s’esclaffa.

— Il est en règle, dit-il à son camarade.

Puis se tournant vers Saira, il ajouta:

— La prochaine fois, assurez-vous d’engager un mercenaire avec une arme! Celui-là ne risque pas de revoir son épée de si tôt, haha!

Le gringalet commença à s’éloigner, mais son camarade ne comptait pas se laisser berner si facilement.

— Pas si vite! Arias, demande-lui d’enlever son fichu bandana.

Le soldat exhala son impatience, mais s’exécuta. Il demanda à March, toujours dans la langue de Malavante, d’ôter le tissu qui couvrait son crâne. March hésita, mais il n’avait d’autre choix que d’obéir. Malgré ses prouesses, il ne comptait pas combattre une escouade de soldats en plein milieu d’une route fréquentée et surtout pas avec une telle fatigue.

Le premier soldat grommela alors que March révélait sa chevelure noire. Il avait surement espéré trouver un chauve.

— C’est quoi cette trace blanche dans ses cheveux? insista-t-il.

Le maigrichon traduisit la question à March qui lui répondit qu’il s’agissait d’une vieille blessure qu’il avait reçue lors d’une guerre de clans. Arias traduisit la réponse à l’autre soldat, puis ajouta:

— Allez mon vieux, passons aux suivants, ajouta-t-il. Tu vois bien que ce n’est pas notre homme.

Le soldat se renfrogna, mais acquiesça. Il jeta des coups d’œil mauvais à March alors que Saira reprenait la route.

— Tu ne m’as pas dit que tu parlais malavantais! dit-elle une fois hors de portée des soldats.

— Je ne le savais pas moi-même quelques minutes plus tôt! Depuis mon accident, je découvre peu à peu des connaissances que j’ignore. En tout cas, merci d’avoir menti pour moi.

— Bah ! avec ce que tu me payes, je peux jouer un peu la comédie, dit-elle en lui faisant un clin d’œil.

March se rassura, il avait trouvé une compagne de route digne de confiance. Il décida de s’octroyer un moment de répit, espérant ainsi récupérer une partie de son énergie physique.

— Si ça ne te dérange pas, j’aimerais me reposer à l’arrière de la calèche.

— Fait comme chez toi!

March passa à l’arrière et s’allongea. Pour la première fois depuis des semaines, il s’endormit en un instant dans un sommeil sans rêves.

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