Chapitre 4.2 - La voie dorée

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Le crépuscule tombait sur la voie dorée lorsque March rouvrit les yeux. Il se redressa et constata que malgré son sommeil — de plusieurs heures à en juger par la hauteur du soleil — il était toujours affaibli. Néanmoins, il semblait avoir retrouvé une partie de son énergie, bien que des courbatures douloureuses l’éreintent à chaque mouvement.

— Ha ! Ce n’est pas trop tôt, j’ai cru que tu allais passer la nuit dans ma calèche ! dit Saira en voyant qu’il était réveillé.

March repassa à l’avant de la calèche pour s’asseoir près d’elle.

— Désolé, j’avais vraiment besoin de repos. Les derniers jours ont été… épuisants.

— On devrait s’arrêter pour la nuit, ma jument a aussi besoin d’une pause.

Le cheval hennit comme pour répondre à sa maitresse.

— Regarde, il y a une auberge juste devant nous, continua Saira en pointant du doigt un grand bâtiment au toit de chaume devant eux.

March acquiesça. Une fois sur place, ils confièrent la jument au palefrenier et se dirigèrent ensuite vers l’auberge. L’intérieur était frais — une aubaine après avoir passé la journée sous un soleil de plomb — et un mélange d’odeurs de cervoise et de lard grillé emplissait la pièce principale. March entendit gronder le ventre de Saira qui, comme lui, n’avait rien avalé de la journée.

La grande chaumière était bondée de voyageurs venus des quatre coins d’Aviz. En un coup d’œil, March reconnut une troupe de mercenaires malavantais escortant un petit baron de Bourgonnie, des éleveurs de bétail réginiens, des chasseurs des forêts de l’ouest d’Algrava et même un couple de draconiens. À en juger par la marque des chaînes sur leurs cous et leurs regards inquiets, ceux-là avaient dû être affranchis de leur esclavage récemment.

Saira suggéra à March d’aller s’installer à une table pendant qu’elle s’adressait à l’aubergiste. Elle le rejoignit ensuite, armée de deux chopes de cervoises remplies à ras bord. Elle renversa un peu de leurs contenues en les posant sur la table devant March.

— Une des serveuses va nous apporter un repas chaud, dit-elle. J’ai négocié avec l’aubergiste, on peut dormir sur la calèche à l’intérieur de l’écurie. Les chambres coutent une vraie fortune sur cette route.

— J’aurais pu payer.

— C’est toi qui vois ! Je me suis dit qu’on pourrait partir plus tôt le matin de cette manière.

— Va pour l’écurie dans ce cas.

Saira poussa une chope vers lui. Il hésita, incertain d’aimer le gout de la boisson alcoolisée, mais finit par y tremper ses lèvres. Il prit ensuite une franche gorgée et apprécia la saveur amère du breuvage. Au même moment, un autre visiteur entra dans l’auberge. Faute de place, il s’approcha de la table de March et Saira.

— Qu’est-ce que vous diriez d’un peu de compagnie les tourtereaux ?

March manqua de s’étouffer dans sa chope. Saira ne se laissa pas surprendre.

— Notre relation est purement professionnelle, dit-elle en souriant au nouveau venu. La place est libre.

Elle montra la chaise face à March et l’étranger s’y installa. Il revêtait un manteau de velours pourpre ainsi qu’un grand sac de voyage plein à craquer. Sur sa tête trônait un tricorne affublé d’une plume verte. March se demanda quel volatile pouvait porter un plumage si criard.

— Gomero Pinta, historien de la cour d’Algrava, pour vous servir, dit-il en courbant la tête alors qu’il ôtait son chapeau.

— Moi c’est Saira, et lui c’est March.

— Enchanté Dame Saira, Monsieur March.

Il se courba encore une fois en signe de révérence, puis reprit :

— Permettez-moi de vous offrir cette tournée en remerciement de votre accueil !

— Avec plaisir Gomero ! Toi et moi on va bien s’entendre, répondit Saira en riant. Qu’est-ce qu’un historien fait seul sur la route avec un tel barda, si ce n’est pas indiscret ?

— Votre question ne me gêne pas, au contraire ! J’aime voyager seul, la voie dorée est une excellente occasion de rencontrer des voyageurs et par la même, de récolter les dernières informations en provenance des cinq royaumes !

Il fit signe à l’une des serveuses de lui apporter une cervoise à lui aussi et continua :

— Je suis en route pour le port de Drachima où m’attend une grande aventure au-delà de la mer des Oublis !

Saira écarquilla les yeux.

— Vous voulez naviguer au travers de la Herse ? C’est du suicide… croyez-moi, je sais de quoi je parle.

L’hésitation de Saira interpella March. Son passé la hantait bien plus qu’elle n’osait l’avouer, mais Gomero ne sembla rien remarquer.

— N’ayez crainte ! Ce n’est pas la Herse qui arrêtera Gomero Pinta ! Et puis, je ne pars pas seul. Tout un équipage a été affrété par le Roi à cette exploration !

— Je pensais que la Herse était infranchissable, dit March. Les pics rocheux cachés sous les flots sont traitres pour la coque des bateaux et le cœur de la Herse est une véritable montagne.

— Ce n’est plus le cas mon bon ami ! se pâma Gomero. Un passage sûr a récemment été découvert par des pêcheurs s’aventurant au Nord. Le voyage est long, mais pas impossible. Notre convoi sera le premier à tenter d’atteindre le continent d’Ehz-Ilateb. Et pour cela, nous disposons d’un nouveau navire révolutionnaire ! Les ingénieurs de la cour appellent cela une caravelle. Qui sait quelles richesses nous y découvrirons !

— Vous n’y trouverez que chaos et souffrance, dit sinistrement Saira. N’avez-vous donc pas parlé aux draconiens rescapés d’Ehz-Ilateb ? Vous comprendriez qu’il n’y a rien de bon sur cette terre maudite…

— Oh, j’ai fait mes recherches, comme tout bon historien ! Il semblerait que l’ensemble du continent ne soit pas si misérable. La plupart des réfugiés fuient par l’Est, mais des légendes parlent d’une civilisation établie à l’Ouest. Imaginez donc, rétablir le contact avec un peuple coupé du nôtre depuis plus d’un millénaire ! Quelle découverte formidable !

— Si vous le dites, dit Saira en plongeant son regard mélancolique dans sa cervoise.

Sa tristesse surprit March qui jusqu’ici l’avait seulement vue pleine d’énergie et d’entrain. Il profita de la présence de Goméro pour en apprendre plus au sujet de la cour d’Algrava.

— Vous dites que le roi d’Algrava a commandé l’expédition ? demanda March.

— Tout à fait. Il l’a fait avant l’attaque, vous vous en doutez bien. Il a d’autres préoccupations désormais.

— L’attaque ?

— Vous… vous n’êtes pas au courant ? Ah, j’imagine que la nouvelle n’a pas encore atteint tout Aviz. Quelqu’un a tenté d’assassiner le roi ! Sur son propre navire ! Vous rendez-vous compte de l’audace de ce scélérat ?

L’estomac de March se noua, comme s’il redoutait la suite de cette conversation.

— Le roi inaugurait justement le premier voyage de cette nouvelle caravelle. Le prince Caspian l’accompagnait ; le petit adore la mer tout autant que son père ! Il me demande d’ailleurs souvent de lui compter les histoires de…

— Le roi est-il en vie ? l’interrompit March.

— Ou… oui bien sûr, et le prince aussi. La rumeur dit que le roi a blessé mortellement l’assassin qui s’était infiltré dans ses quartiers privés. Le vaurien est passé par-dessus bord et son corps n’a jamais été retrouvé. Bon débarras si vous voulez mon avis ! Le roi Lusitan est une bénédiction pour le peuple d’Algrava. Je n’ose imaginer ce qu’il se passerait s’il venait à mourir ! Le prince Caspien est encore trop jeune pour gouverner.

— Quand a eu lieu l’attaque ? pressa March en se levant presque de son siège.

— Je… euh, hésita Gomera un peu surpris par le ton de March. C’était il y a trois semaines environ, pourquoi ?

— Trois semaines… murmura March sans répondre à Gomero.

Il se rassit et ne vit pas le regard inquiet de Saira se poser sur lui. Il y a exactement trois semaines, l’Imbattable repêchait March dans la mer des Oublis. Il n’aimait pas cette coïncidence.

— Le roi n’est plus le même depuis l’attaque, continua Gomero. On ne l’a pas vu à la cour depuis son retour. On dit même qu’il aurait été défiguré par l’assassin. C’est le Haut-Mysteriarch Weisz qui régit le royaume à l’heure actuelle. Cela n’augure rien de bon, si vous voulez mon avis.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? demanda Saira alors que March écoutait d’un air absent.

— Et bien, il y a d’abord cette ridicule nouvelle en provenance de Réginia. La reine aurait décidé de se remarier et croyez-le ou non, elle aurait choisi le Mysteriarch de Vildeck, la capitale du royaume !

— Bah ! La royauté a toujours été proche du Mysterium, cela allait finir par arriver, dit Saira en sirotant sa cervoise.

— Mais quel précédent ! Imaginez les répercussions ! Un Mysteriarch devenant roi de Réginia, mais où s’arrêtera donc l’influence du Mysterium ? Et cela risque d’attiser les querelles avec Urraca. Depuis que le Prophète a déclaré l’indépendance du pays, le Mysterium cherche à lever une armée commune aux quatre autres royaumes, ce n’est pas un secret.

— Réginia est déjà dans leur poche dans ce cas, conclut Saira.

— Oh oui ! Le roi Lusitan a repoussé une nouvelle guerre avec Urraca depuis des années, mais après cette attaque, qui sait ce qu’il pourrait se passer.

March eut la nausée. Les révélations de Gomero lui semblaient trop familières, comme s’il avait joué un rôle sur cet échiquier politique qui le dépassait largement. Ces paroles résonnaient en lui, mais il ne se rappelait pas d’où il avait entendu cette même explication. Pour la première fois depuis qu’il avait repris connaissance sur l’Imbattable, la peur lui serra les entrailles.

— Je… je vais prendre l’air, dit-il en se levant. Je serais à l’écurie.

— Mais, et ton repas ? demanda Saira. La serveuse devrait arriver d’un moment à l’autre !

— Je n’ai pas faim. Gomero peut avoir ma part.

— Oh quelle bonté ! Merci, Monsieur March ! dit l’historien ravi.

March sortit de l’auberge. Il s’installa contre la calèche à même le sol et observa le reflet bleuté de l’Arche brillant dans le ciel. Il se demanda si déterrer son passé était une bonne idée après tout.

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Note aux lecteurs : L’Arche n’a pas été mentionnée jusqu’ici et je l’inclurais dans une prochaine version. Il s’agit d’un anneau qui entoure cette planète, comme celui de Saturne par exemple. C’est aussi la source de la magie sur ce monde.

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