Chapitre 7.2 - L’archer

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La devanture du Petit Paradis était des plus grotesque. Une farce de mauvais de goût que seuls les habitués appréciaient. Sur le mur sombre étaient dépeints les corps dénudés de femmes à la physionomie extravagantes. Les formes phalliques que la plupart d’entre elles empoignaient aigrement laissaient peu de place à l’imagination quant à la fonction de cet établissement.

Le regard sombre de March fixa la porte d’entrée peinte d’un rouge criard et marqué d’un serpent noir. Deux gardes armées de longues machettes à la poignée recourbée encadraient la porte. Les visiteurs venant et sortant du bâtiment étaient nombreux et de toutes classes. On y recevait aussi bien les nobles aux mœurs dépravées que les bourgeois à la recherche de vices exotiques — leur point commun étant qu’ils repartaient tous avec moins d’or qu’à leur arrivée. La seule raison d’être refusé dans ce lieu de transgressions était la pauvreté. Les Serpents Bruns ne s’intéressaient qu’à une chose, l’espèce sonnante et trébuchante.

Alors quand March se présenta aux gardes, habillé d’une simple chemise de laine épaisse — qui plus est, tachée par le sang du roi —, l’accueil fut loin d’être amical.

Le premier garde posa une main intimidante sur son épaule. Il faisait au moins deux têtes de plus que March et était large comme une armoire.

— Passe ton chemin, mendiant.

March ne fit même pas l’effort de le prévenir, à quoi bon ? La lame de son cimeterre apparut dans son dos, puis trancha le bras qui le menaçait. D’un autre mouvement, il sectionna la gorge du second garde, qui jusqu’ici n’avait pas pris la peine de poser un regard sur March. Les deux hommes tombèrent à terre, se vidant chacun de leur sang à leur propre manière.

Dans la rue bondée, quelques cris commencèrent à se faire entendre. C’est lorsque March projeta les portes de l’établissement hors de leur gong à l’aide de la magie que l’hystérie s’empara réellement des lieux.

Il entra sans invitation, tranchant les malheureux qui daignaient se placer entre lui et son objectif.

Le Petit Paradis empestait. Il empestait l’herbe du Mage, l’alcool et une odeur répugnante de provenance organique. Les prostitués et leurs clients se précipitèrent à l’extérieur, omettant pour la plupart qu’ils étaient totalement nus. March semait la mort parmi les membres du gang, oubliant presque pourquoi il se trouvait là. Pourquoi se trouvait-il là déjà ? Ah ! Saira.

Un autre gangster approcha. March le fit trébucher à l’aide de son pouvoir magique et le laissa s’enfourcher lui-même sur la pointe de sa machette. C’était si facile.

Le cristal incrusté dans le pommeau de ses armes semblait vibrer de plus en plus fort, tambourinant dans ces tympans à chaque goutte d’hémoglobine versée. Il se déplaçait avec légèreté et aisance dans une danse macabre où les corps tombaient à ses pieds comme des marionnettes que l’on aurait débarrassées de leur fils.

La scène était un pur bain de sang, pourtant March — ou peut être à ce moment précis, Tempête — ne voulait en aucun cas stopper l’hémorragie, il était comme emprisonné dans une frénésie, une rage enfin libérée.

Il fut soudain contraint de s’arrêter, pas de plein gré, mais parce qu’il n’y avait plus personne à tuer. La salle principale était vide, son sol jonché de corps démembrés.

Une grande porte s’ouvrit dans un claquement et un petit groupe apparut. Un homme tenait Saira par l’encolure, la lame d’un poignard collée contre son cou. Sa lèvre inférieure saignait et sa joue était tuméfiée. Elle était bâillonnée et un pan de sa chemise était arraché, laissant voir la peau pâle de son ventre.

La savoir en vie calma March, qui, pour la première fois depuis qu’il avait quitté l’hôtel, prit conscience de la rage dévastatrice qui l’habitait. Une force de la nature qu’il avait laissée se déchainer pendant un court instant, mais un instant qui avait couté la vie à une vingtaine d’hommes. Il réalisa tout à coup que la rage l’aurait dévoré s’il n’avait vu Saira. Il repoussa une vague de nausée soudaine.

— Qu’est-ce que.... Nom d’un saint, la garce disait vrai ! dit l’homme qui la tenait.

— Ta gueule, Arán, laisse parler les adultes. Hé, toi ! Tu es venu pour la gamine, c’est ça ? Dis-moi, elles sont drôlement aiguisées tes lames. Tu as foutu un sacré bordel dans mon établissement !

March ne répondit rien.

— Tu sais qui je suis? On m’appelle Salva, le Serpent de Ceatobria.

Le chef du gang avait le torse dénudé, dévoilant le tatouage d’un serpent recouvrant son buste.

— Et toi, quel est ton nom ?

— Je m’appelle March. Maintenant, libérez là et tout se passera bien pour vous.

— March, nous venons tout juste de faire connaissance, viens donc t’assoir à ma table.

Le chef du gang alla s’assoir à une petite table de bois, forcé de repousser une main démembrée qui trainait là.

March joua le jeu, s’il existait une issue sans violence, il devait tenter de la trouver.

— Tu veux boire quelque chose, March ?

— Non.

— Hum, tu as raison, après tout, il vaut mieux avoir l’esprit clair pour parler affaires.

— Viens-en aux faits, Serpent.

— Bien, bien, comme tu voudras. Quand on a appris que notre chère Saira s’était acoquinée avec l’homme que tout le royaume recherche, cette imbécile d’Arán a immédiatement suggéré de te faire prisonnier pour récupérer la rançon du roi.

Arán fit la grimace, visiblement irrité d’être ridiculisé ainsi.

— Mais le Serpent de Ceatobria a des yeux et des oreilles partout. J’ai entendu parler de tes prouesses, Mage !

Il scruta les corps de ses hommes de main qui jonchaient le sol.

— Et j’en ai même la preuve sous les yeux ! En comparaison à de tels pouvoirs, l’or du roi à peu de valeur.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Tu es pressé on dirait ! Bon, faisons court. Tu peux avoir la fille, je te la laisse volontiers, elle ne m’apporte que des ennuis. Mais tout à un prix. En échange de sa liberté, tu me donneras le secret de tes pouvoirs.

— C’est impossible.

— Hum, j’aimerais vraiment que tu considères mon offre plus sérieusement. Après tout, Arán à l’air de vraiment vouloir enfoncé cette vielle lame rouillée dans son joli cou de draconienne.

— Non, je veux dire que c’est réellement impossible. Je possède ses pouvoirs, mais je ne sais pas d’où ils viennent ou comment je les ai obtenus.

Salva se leva et commença à tourner en rond autour de March. Saira s’agitait et mugit quelque chose d’inaudible derrière son bâillon.

— Tu ne m’as pas l’air d’un type qui mentirait, je dois l’admettre. Du coup, tu dois dire vrai et ça nous mène dans une impasse, car vois-tu, je veux vraiment ses pouvoirs !

March le suivit du regard, prêt à se défendre. Salva s’accouda à la table, s’approchant tout près du visage de March.

— Je ne vois qu’une issue possible.

— Laquelle ?

— Voler les secrets de ta magie sur ta dépouille.

Le Serpent ouvrit la paume de sa main et souffla une poudre au visage de March, qui n’eut pas le temps de l’éviter.

Sa vision se troubla immédiatement, il tomba à genoux, faible et nauséeux.

— On ne m’appelle pas le Serpent pour rien, tu sais.

La voix de Salva paraissait distante et déformée, comme s’il parlait à travers un heaume. March entendit le son d’une lame que l’on tire d’un fourreau, une très longue lame à en juger par le lent grincement du métal.

— Les serpents sont des créatures fascinantes. Sais-tu que le venin de certaines espèces peut être séché sous forme de poudre ? Oh, suis-je bête! Tu dois le savoir maintenant, n’est-ce pas ?

March se cramponna au bord de la table pour essayer de se relever. Ses muscles étaient tendus et aussi solides que du bois. Il devait faire un effort démesuré à chaque mouvement.

Sa vision était toujours floue, mais il distinguait les détails de la silhouette de Salva et de l’énorme machette qu’il tenait d’une main.

— Je dois admettre que tu es sacrément costaud. Je n’ai jamais vu quelqu’un résister si longtemps à l’effet du poison.

March se souvint alors des paroles de Saira dans la chambre de l’hôtel. Elle lui avait laissé un flacon contenant l’extrait de rhizome d’automne. March espéra seulement que ces effets fonctionneraient sur le venin. Ses muscles semblaient en proie aux flammes, mais il continua de forcer sa main vers la poche de son pantalon, là où reposait l’antidote.

—J’imagine que le sentiment d’être piégé dans son propre corps ne doit pas être très agréable. Mais n’ait crainte, je ne vais pas te laisser souffrir plus longtemps. Après tout, je suis aussi connu pour ma clémence.

Le ricanement d’Arán parvint aux oreilles de March et ne fit que décupler sa colère. Il entendait les plaintes de Saira, ce qui lui donna la force de refermer sa main sur le flacon.

Salva s’approcha lentement, comme s’il se délectait du supplice de March.

March tendit le flacon vers sa bouche, baissant la tête vers le sol pour cacher l’antidote à Salva.

— Tu capitules, Mage ? Tu m’offres ta nuque si généreusement, il est difficile de refuser. Allez, il est temps d’en finir !

Le Serpent de Ceatobria leva la machette dans les airs puis la laissa tomber sur le cou de March. Mais au lieu de sa nuque, le métal rencontra la lame de son cimeterre, maintenant apparu dans sa main.

Il se leva d’un bon, arracha la machette des mains de Salva d’un coup violent, puis de son autre main, invoqua sa seconde lame et frappa. La tête du Serpent roula à terre.

Devant lui, Arán baissa son poignard sous le choc de la surprise. Saira en profita pour lui asséner un coup de tête en plein nez. Il tomba au sol et elle courut pour se mettre à l’abri derrière March.

— Reste ici, je vais finir ce que j’ai commencé, lui dit-il calmement.

Arán paniquait déjà, cherchant à tout prix le poignard tombé à terre.

— Non, March ! S’il te plait, assez de violence pour aujourd’hui. Allons-nous-en !

March voulait écouter Saira, mais la rage qu’il avait ressentie revenait en lui, comme un ras de marée inarrêtable. Elle l’agrippa par le dos et le serra contre son corps.

— March, écoute ma voix. Nous devons partir…

Une sueur froide coula sur son front. Il laissa le sentiment qu’il éprouvait pour Saira le submerger et remplacer la colère.

Arán se remit sur ses pieds, la lame tremblante entre ses mains.

March fit disparaitre ses lames et se tourna vers Saira.

— Allons-nous-en.

Ils quittèrent le Petit Paradis, laissant Arán sangloter comme un marmot derrière eux. Cette fois, ils quitteraient la ville sans se retourner, ensemble.

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