Chapitre 8.3 - Le refuge

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March empoigna une pierre et la plaça sur le mur extérieur. Il la couvrit de mortier à l’aide de sa truelle, puis recommença la même démarche avec la suivante. Il avait passé les derniers jours à renforcer le côté ouest du mur qui menaçait de s’effondrer. Il était redevable du travail physique. L’activité l’apaisait et lui faisait se sentir utile. Depuis la méditation avec la doyenne du refuge, il n’avait pas fait de cauchemars et ses nuits étaient paisibles, comme si les spectres qui le hantaient avaient finalement renoncé, ou l’avaient peut-être pardonné… en tout cas c’est ce qu’il espérait.

Il sentit une présence dans son dos, et sans même se retourner, il sut immédiatement de qui il s’agissait. Comme un instinct. March se retourna vers Saira qui lui tendait un verre d’eau, surement tout juste tiré du puits. Il prit le verre et vida son contenu d’une traite.

— Merci, dit-il à Saira en l’embrassant.

— Si tu continues à ce rythme, il n’y aura bientôt plus grand-chose à faire ici.

March lui sourit.

— Tu lui as parlé ?

— Oui. Je pensais que notre départ ferait plaisir à mère, mais elle nous offre de rester. Les femmes ont fini par t’accepter. Je me demande comment elles font, dit-elle avec un sourire en coin.

— Tu veux dire que je suis repoussant, c’est ça ?

— Oh oui, incroyablement repoussant !

Elle rit et March la prit dans ses bras.

— C’est une offre très tentante, mais il vaut mieux que l’on parte. Je ne veux pas que ma présence les mette en danger.

Le sourire de Saira fit place à de l’inquiétude.

— Tu penses qu’ils te cherchent encore ?

— Je ne peux pas en être sûr, mais j’ai du mal à imaginer qu’ils m’aient oublié si facilement.

— Dans ce cas, nous partirons demain à l’aube, quand les autres dorment encore. Je n’aime pas les adieux.

— Elles ne t’en voudront pas de ne pas leur dire au revoir ?

— Elles ont l’habitude.

— J’irai faire mes adieux ce soir à mère. Je lui dois au moins ça.

Saira acquiesça.

— Où irons-nous ? Tu as déjà une idée ?

— Oui, je…

Le poil de March se hérissa soudainement. Un frisson le traversa. Il se tourna subitement vers la lisière de la forêt.

— March ?

— Chut, l’interrompit March.

Saira fronça les sourcils, irrité par le comportement de March.

— Qu’est-ce qui te prend ?

— Va te mettre à l’abri et emmène les autres avec toi.

Son ton grave la fit réagir immédiatement et elle comprit.

— Ne quittez pas la salle principale avant que je ne vienne vous chercher.

— March, qu’est-ce qu’il se passe ?

— Quelqu’un approche. Fais ce que je te dis.

Saira obéit et courut vers le refuge.

La vague de froid qui le parcourait devint de plus en plus intense. Lors des dernières semaines passées au refuge, March avait développé une perception des alentours qui semblait surnaturelle, un instinct inexplicable qui s’étendait par delà le mur extérieur. La sensation avait d’abord commencé avec Saira. Il semblait pouvoir déceler sa présence, peu importe où elle se trouvait. Puis petite à petit, sa prescience s’était élargie, d’abord à la mère, puis aux autres femmes. En cet instant précis, il sentait une nouvelle présence, une présence inconnue qui n’avait rien d’amical.

March se plaça derrière la partie achevée du muret, poussé par une intuition impératrice. Il sentit la flèche passer au ras de ses cheveux, pour aller se planter à ses pieds en arrachant une motte de terre. Si ses réflexes n’étaient pas aussi développés, il serait mort sur le coup.

L’aspect de la flèche ne laissait aucun doute sur sa provenance : l’assassin du roi était de retour. Et il avait l’avantage du terrain, caché par la lisière de la forêt qui surplombait légèrement le refuge.

March bénéficiait pour sa part de la protection du mur… du moins, c’est ce qu’il pensait.

La flèche plantée dans le sol trembla. Puis elle jaillit vers lui en faisant demi-tour dans les airs. Il bondit sur le côté et la flèche vint se ficher dans le muret.

L’archer avait d’autres tours dans sa botte, et March en attestait malgré lui.

Une nouvelle flèche fit vibrer l’air. Celle-ci arriva à une telle puissance qu’elle traversa le muret, passant à quelques centimètres du visage de March.

Chaque seconde passée à ne rien faire rapprochait March de la mort. Il aperçut sur sa gauche le haut tas de foin utilisé pour nourrir les chevaux et eut une idée. Il longea le muret en rampant et fut reconnaissant d’avoir rénové l’édifice qui s’avérait maintenant lui sauver la vie. Il arriva à côté du tas de foin alors qu’une flèche passait tout prêt.

Les dernières semaines n’avaient pas été de tout repos. March n’avait pas seulement passé son temps sur les taches de rénovation du refuge. Il avait aussi saisi l’occasion d’en apprendre plus sur ses pouvoirs.

Il s’était aventuré à plusieurs reprises dans la forêt pour s’entrainer et mieux comprendre la Magie qu’il utilisait. Mis à part Saira, personne ne savait ce qu’il allait faire dans les bois.

March avait d’abord testé ses capacités physiques. Sa force et sa vitesse étaient certainement surhumaines, mais semblaient utiliser peu de son énergie. De même, il pouvait invoquer ses cimeterres régulièrement sans en ressentir l’effet. Le pouvoir du vent était différent et drainait rapidement sa force physique. Il avait néanmoins appris à canaliser cette énergie pour en décupler les effets sans amoindrir ses réserves.

March avait aussi découvert un effet intéressant de son pouvoir, un effet sur lequel il comptait pour se sortir de ce mauvais pétrin.

Il invoqua son cimeterre et ramassa une pierre à proximité. Il passa la lame sur la roche et produisit une étincelle qu’il attisa à l’aide de ses pouvoirs.

Une flamme jaillit vers le tas de foin sec. Il avait d’abord découvert cette astuce en repensant au manoir de Léon de Tassigny qui avait fini sous les flammes. Ce soir-là, son pouvoir avait exacerbé le feu de manière incontrôlable.

Une épaisse fumée blanche s’échappa du foin et commença à couvrir la zone autour de March. Son plan fonctionnait. Sans visibilité, l’archer n’avait aucune chance d’atteindre March. Il fallait maintenant trouver le moyen de s’approcher de lui et pour ça, March avait aussi une solution.

Il utilisa le vent pour diriger la fumée vers la forêt, lui offrant une parfaite couverture. Une fois la fumée en place, il se mit à courir à toute jambe vers la lisière de la forêt. Plusieurs flèches sifflèrent dans l’air, l’archer tentant sa chance à l’aveugle.

La fumée brulait les yeux de March, mais il n’avait pas besoin de voir pour se guider. Il était sur son territoire et il sentait la présence de l’assassin.

Il bondit hors de la fumée et se jeta sur lui, sachant où il se trouvait d’instinct.

March et l’archer firent plusieurs roulades avant d’être arrêtés par le tronc d’un vieux chêne qui frappa les côtes de March.

Le capuchon de l’assassin vola en arrière et il put voir son crâne aussi lisse qu’un plancher vernit. Il avait la peau sombre des natifs d’Urraca et malgré son teint sombre, March distingua de profondes marques de fatigues sous ses yeux creusant son visage comme deux trous béants. Le même tatouage que March ornait sa tête, sauf que celui-ci était complet et non divisé en deux par une cicatrice.

Ils se frappèrent à même le sol, échangeant des coups l’un après l’autre. L’assassin invoqua une de ses flèches et March du lâcher prise, se jetant en arrière d’un coup de pied dans le ventre de son ennemi. Il se releva alors que la pointe d’une flèche volait vers lui et il la détourna au dernier moment d’un coup de cimeterre apparu subitement dans sa main.

March repassa à l’attaque, mais l’archer le désarma d’un coup expert qui le repoussa de plusieurs pas en arrière. L’archer invoqua une nouvelle flèche puis se jeta vers son arc tomber au sol.

S’il voulait avoir le dessus, March devait riposter immédiatement et avec une arme à distance… Il était dans une forêt ! Le bois serait son arme.

Il roula vers un tas de branches alors que l’archer bandait son arc. Il tira et une flèche mordit l’avant-bras de March. Il continua dans son élan malgré la blessure et se positionna à l’endroit qu’il cherchait. À ses pieds se trouvait un tas de branches épaisses. Il fit appel à la magie du vent pour les propulser vers l’archer. Comme lors de son entrainement, il canalisa la magie autant qu’il le put. Les branches s’envolèrent comme des javelots, plusieurs d’entre elles présentant des pieux acérés à leur extrémité.

L’archer ne vit pas le coup venir. La plus grosse branche l’empala au tronc se trouvant derrière lui, alors qu’une autre lui arracha la moitié de sa cuisse droite. Il hurla de douleur, posant ses mains sur l’épaisse branche pointant de ses entrailles.

March se releva pour le rejoindre. La jambe de l’archer saignait abondamment… il ne lui restait pas longtemps à vivre. March invoqua une de ses lames.

— Je peux rendre tes derniers instants plus paisibles, dit-il en approchant la lame de sa gorge.

L’assassin rit.

— Notre vie n’a jamais vraiment été paisible, Tempête. Je n’aurais jamais pensé que ce serait toi qui m’achèverais.

March recula son arme. Le regard de l’archer semblait différent, moins sombre que lors de leur combat. March examina son crâne. Une des branches avait détruit une partie du tatouage.

L’archer suivit son regard.

— C’est donc vrai, n’est-ce pas ? Tu ne te souviens de rien ? Ah, tu as toujours été le plus chanceux.

L’archer fut pris d’une quinte de toux sanglante.

— Comment m’as-tu trouvé ? demanda March.

— Je suis le meilleur traqueur du maitre. Ça aussi tu l’as oublié ?

— Est-ce qu’il sait où je me trouve ?

— Non, je ne l’ai pas contacté depuis mon départ de Caetobria. Il attend mon rapport.

— Qui est-il, le maitre ?

L’assassin tâta son crâne ensanglanté. Il semblait y chercher quelque chose.

— Je ne les sens plus.

— Les migraines ?

— Oui !

— C’est ce qu’il se passe lorsqu’on détruit le sceau.

— J’aurais aimé y penser, et dire que c’était si simple ! Au moins, je partirais avec mon esprit libre, je dois surement te remercier pour ça.

Une nouvelle vague de douleur le parcourut. March lui agrippa le bras, d’un geste fraternel.

— Tu dois me dire qui il est, avant qu’il ne soit trop tard !

L’archer lui sourit et en cet instant, March sembla se souvenir. Il se souvint d’un jeune garçon à la peau sombre avec qui il s’était entrainé. Il l’avait aidé à passer les épreuves qui scelleraient leur destin. Pendant un cours d’instant, ils avaient été amis.

L’assassin posa sa main sur la cicatrice parcourant les cheveux de March.

— Mes migraines, elles me venaient toujours quand je pensais à toi. Je voulais… t’aider à t’enfuir. J’ai failli le faire… plus d’une fois.

Il ferma les yeux, prit une grande inspiration, puis d’une voix frôlant le murmure :

— Tu trouveras le maitre au Mysterium.

Ce fut les derniers mots de l’archer. March ne se souvint même pas de son nom.

Une odeur de brulé lui emplit les narines, une odeur bien trop puissante pour ne provenir que du tas de foin. Il courut en direction de la fumée et en découvrit la source. Le refuge était en flammes.

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