Chapitre 9.3 - Trahison

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La Cathédrale du Mystère était un paradoxe. Édifiée pour rappeler à tous l’importance de la Loi fondamentale du Mysterium, elle représentait en elle-même un symbole de dévotion, un symbole presque religieux de l’anti-magie.

Son architecte, le premier Haut Mysteriarch, avait voulu rappeler dans les formes de l’édifice les péchés de leurs ancêtres et les dérives de la Magie.

L’immense coupole centrale — faite de verre bleu provenant des îles volcaniques à l’ouest d’Aviz — était un souvenir de l’astre qui habitait autrefois les cieux d’Heimur, avant qu’il ne soit détruit et ne donne naissance à l’Arche.

Sous la coupole, des figures de marbres représentant les Créateurs portaient le poids de l’astre sur leurs épaules, comme pour rappeler leur responsabilité dans sa destruction.

Quatre tours massives entouraient la structure de pierre blanche, sur chacune d’elles étaient représenté les différentes scènes de la genèse d’Aviz : la Pluie de Cristal, l’apparition des Saint-Mages, le Cataclysme, puis la formation des cinq royaumes.

La Cathédrale n’avait aucun but pratique, son entrée n’étant réservée qu’à l’élite du Mysterium qui ne s’y rassemblait que rarement. C’était un symbole, un rappel à la population que le Mysterium veillait sur le maintien de la Loi du Mystère.

March avait passé les derniers jours à étudier l’imposant bâtiment. Malgré sa taille, il ne comportait que peu d’issues, facilement compromises par une garde bien organisée.

C’était le parfait piège, à la fois pour le Haut Mysteriarch, mais aussi pour lui. Lorsqu’il passerait le pas de la porte, son destin reposerait entre les mains de l’Inquisiteur Lecca Valteline… March ne se voilait pas la face, il ne sortirait surement pas en vie du bâtiment s’il lui faisait totalement confiance. Alors il s’était préparé, et maintenant il attendait l’arrivée du Haut Mysteriarch.

Sa lettre avait été précise et pour s’assurer qu’elle soit délivrée en main propre, il avait utilisé son déguisement d’Exécuteur et déposé la lettre lui-même sur le bureau du Haut Mysteriarch alors qu’il était absent.

March scruta l’horizon, perché en haut d’une des quatre tours de la Cathédrale. Les premiers rayons du soleil réchauffèrent son visage. Comme il s’y attendait, une silhouette encapuchonnée se présenta à la porte est du bâtiment. C’était une entrée habituellement réservée aux serviteurs accompagnant les dignitaires du Mysterium lors de leur rassemblement. Une pente descendante la rendait invisible depuis la rue la juxtaposant, ce qui faisait d’elle l’entrée la plus discrète. La silhouette approcha puis pénétra dans la Cathédrale, seule, comme March l’avait demandé.

March ne bougea pas pour autant. Il patienta encore un moment, sachant déjà à quoi s’attendre. Sa requête avait été claire, le Haut Mysteriarch devait venir seul, sans escorte. Pourtant, depuis sa tour, March perçut du mouvement dans les ruelles entourant le parvis de la Cathédrale. Puis une à une, les silhouettes casquées des Exécuteurs postés là apparurent. Ils étaient nombreux, trop nombreux pour March. Bientôt, ils encerclèrent toutes les issues de la Cathédrale et les passants encore présents s’empressèrent de disparaitre dans les ruelles sombres en voyant un tel effectif.

L’étau s’était resserré sur March. Du moins, c’est ce que le Haut Mysteriarch devait pensé à ce moment même.

D’autres figures apparurent tout autour du parvis. Cette fois, elles ne portaient pas les dorures du Mysterium, mais plutôt les armures scintillantes de la garde royale.

Si les Exécuteurs paraissaient nombreux, leur nombre était maintenant ridiculisé par la garnison complète qui avançait vers eux.

Les Exécuteurs parurent inconfortables, March en vit même un prendre ses jambes à son coup en voyant l’Inquisiteur se présentant à la tête de la garnison : Lecca Valteline.

Lecca lança des ordres que March ne put entendre d’aussi loin, et les Exécuteurs baissèrent leurs armes, se rendant pour la plupart sans résistance.

La garde royale prit la place du Mysterium en encerclant la Cathédrale puis Lecca, accompagné de deux soldats cachant une autre personne, pénétra dans la Cathédrale.

Il était temps pour March de faire son entrée. Il attrapa la corde qu’il avait solidement accrochée en haut de la tour et s’en servit pour glisser jusqu’à l’intérieur de la Cathédrale.

Le lieu était silencieux. March se faufila derrière d’immenses colonnes entourant la pièce principale où se tenaient les conciles du Mysterium. En son centre trônait une table de bois sombre d’une longueur démesurée. Des chaises matelassées accueillant habituellement l’élite du Mysterium l’entouraient. À sa tête siégeait le Haut Mysteriarch, attendant patiemment l’arrivée de son assassin.

— Tempête, je suis ravi de te revoir. Rejoints moi, nous avons de nombreuses choses à nous dire !

March approcha, mais resta à bonne distance, sans accepter l’invitation de le rejoindre à la table.

— Vous ne cherchez même pas à le nier. Vous connaissez mon nom d’assassin. C’est vous qui êtes derrière tout ça, n’est-ce pas ?

Le Haut Mysteriarch Weisz gloussa.

— À quoi bon mentir ? Nous savons tous les deux la vérité. Mes efforts pour te faire disparaitre semblent vains, il nous faut trouver une autre issue. Qu’est-ce que tu veux ? De l’or ? Une nouvelle identité ? Des femmes ? Je peux t’obtenir des esclaves d’Urraca qui te ferait oublier toutes tes rancœurs. Tu n’as qu’à nommer ton prix !

— Je veux la vérité. Pourquoi avoir fait assassiner le roi ?

— Hum, mes renseignements sont donc vrais, tu as bel et bien perdu la mémoire !

March retira le casque d’Exécuteur qui cachait encore son visage.

— Ah ! À en juger par ta chevelure, le sceau qui maintenait ta docilité a été brisé. Tout s’explique finalement.

— Pourquoi nous avez-vous utilisés ainsi ?

— Pourquoi ? demanda le Haut Mysteriarch en se levant.

Il s’approcha de March, tout en gardant lui aussi une distance raisonnable.

— Pour le pouvoir ! Réalises-tu la valeur que tu représentes ? Pendant des décennies toi et tes frères avez œuvré dans l’ombre pour maintenir l’hégémonie d’Algrava et préservé la Loi du Mystère !

— La Loi du Mystère ? Vous avez utilisé la Magie pour faire respecter l’anti-Magie !

— Parfois, il faut combattre le mal par le mal… Je ne regrette rien, mes actions ont bénéficié au royaume.

— Y a-t-il d’autres personnes comme moi ?

— Non. Tu t’es débarassé de ceux qui étaient encore en vie.

— Bien. Dans ce cas, le complot s’arrête avec vous.

Le Haut Mysteriarch soupira puis alla de nouveau s’assoir.

— J’ai bien peur que ce ne soit pas si facile. La Cathédrale est cernée. Tu peux te débarrasser de moi, mais tu ne t’enfuiras pas si facilement.

Weisz semblait tout à coup beaucoup plus vieux, comme si le poids de ses actions avait fini par le rattraper. March comprit alors qu’il n’avait jamais l’intention de sortir vivant de la Cathédrale.

— Vous êtes un appât. Vous vouliez que je meure en tentant de m’enfuir n’est-ce pas ?

— Tu es plus perspicace que dans mes souvenirs. Je suis las des mensonges, las d’œuvrer seul pour le bien du royaume. J’ai fait mon devoir, la guerre avec Urraca est inévitable. Les hérétiques qui rongent le continent sont voués à l’échec. Quant à toi, tes secrets doivent disparaitre avec moi.

Des sons en provenance de l’entrée leur parvinrent.

— Voilà les renforts que j’attendais, finis-en rapidement assassin !

March ne bougea pas.

— Ce ne sont pas les renforts que vous attendiez.

La garde royale pénétra dans la chambre du concile. Le Haut Mysteriarch n’en fut pas pour autant surpris.

— Ah ! Je vois. Peu importe, l’issue sera la même.

La garde encercla la grande table puis Lecca fit son apparition. Il était accompagné du jeune roi Caspian.

— Votre majesté, dit Weisz en se levant.

— Haut Mysteriarch Weisz, l’interrompit Lecca, vous êtes reconnu coupable de trahison et d’hérésie pour avoir utiliser la Magie et comploter contre la couronne d’Algrava.

— Lecca ! Je dois dire que je ne suis pas surpris de te voir. Je te prie de m’excuser d’avoir infiltré un assassin parmi tes Exécuteurs. Tu comprends surement que cela n’avait rien de personnel.

Lecca écarquilla les yeux.

— Vous… vous ne le niez même pas !

— À quoi bon ? Cela ne ferait que repousser l’inexorable fin qui m’attend. Je suis coupable des faits que vous me reprochez. L’assassin ici présent a tenté de tuer le roi Lusitan, mais a échoué. Il est néanmoins dangereux. Ne vous fiez pas aux apparences, c’est un meurtrier, rien de plus.

Le roi s’avança. Il portait lui aussi une armure qui rendait sa silhouette d’enfant quelque peu comique. Malgré son âge, il avait une prestance qui rappelait celle de son défunt père.

— Vous êtes donc responsable de l’assassinat de mon père ?

— Tout à fait, votre majesté. J’avais d’autres assassins à ma disposition, mais ils ont été tués en pourchassant celui-ci. Vous m’en voyez navré, mais la mort de votre père était nécessaire.

Le roi rougit de colère, mais garda pourtant son calme. Il était bien plus mature qu’il n’y paraissait.

— Gardes ! Emmenez-le !

Les soldats obéirent immédiatement. Ils empoignèrent Weisz et l’emmenèrent hors de vue.

— Seigneur, que doit-on faire de lui ? demanda un capitaine en pointant March du doigt.

Lecca s’interposa avant que le roi ne puisse prendre la parole.

— J’ai bien peur que nous ne puissions vous laisser partir si facilement, March…

— Vous ne tiendrez donc pas votre promesse ?

— Je n’ai jamais promis de vous offrir la liberté.

— Bien…

Les cimeterres apparurent dans les mains de March et tous les soldats réagirent immédiatement en tirant leurs épées à leurs tours.

March avait accompli son objectif. Même si le Haut Mysteriarch semblait insouciant de son sort, il n’aurait plus l’occasion de gâcher la vie d’autres orphelins comme il l’avait fait avec lui. C’était tout ce qui lui importait.

Pourtant, il ne voulait pas mourir. Pas maintenant. Quelqu’un l’attendait.

— Stop ! cria la voix chétive du roi. Baissez vos armes, c’est un ordre.

— Votre majesté… commença l’inquisiteur.

— Inquisiteur Valteline, cet ordre vous concerne aussi.

Lecca rengaina son arme. Le roi s’approcha de March.

— Vous vous souvenez de notre rencontre sur le bateau de mon père, n’est-ce pas ?

March acquiesça.

— Je n’avais pas peur de vous à ce moment-là, et je n’ai pas peur de vous maintenant. Vous ne représentez rien d’autre à mes yeux qu’une arme qu’un traitre a dirigée vers mon père. Je vous pardonne. Quittez mon royaume et ne revenez jamais.

Les lames de March disparurent dans une fumée blanche. Il s’agenouilla pour que ses yeux soient à la hauteur de ceux du roi.

— Je suis désolé pour le mal que j’ai pu vous causer, votre majesté. Je suivrais votre conseil, ne vous en faites pas.

March se leva et se dirigea vers les grandes portes de la cathédrale, sous le regard furieux de toute une garnison.

Il se tourna juste avant de passer la porte.

— Vous serrez un grand souverain, j’en suis sûr.

Puis l’assassin disparut.

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