Chapitre 1.2 - Le naufragé

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Le naufragé ne voyait rien, mais il était de nouveau conscient. Un son régulier résonnait dans son crâne encore douloureux. Boum boum, boum boum. C’était son cœur. Derrière les battements, il crut entendre des voix au loin. Il dut faire un effort pour détacher les voix du brouhaha de son cœur.

—…lui est suturé la jambe et le coup qu’il a pris au crâne, dit une première voix.

Cette voix il la connaissait… c’était celle du médecin.

— Combien de temps avant qu’il ne soit sur pied ? demande une seconde voix.

Celle-ci était plus rauque, plus agressive aussi.

— Avec ce qu’il a encaissé, il ne sera pas rétabli avant la fin de la chasse.

— Bah ! Tu crois que ce navire est un refuge ? Je ne vais pas offrir gratuitement le logis et la nourriture à un inconnu.

— Mais… il a perdu énormément de sang. Et si la plaie s’infecte, il va y rester.

— Je n’en ai rien à faire, chaque homme doit payer sa part du voyage, c’est…

Le naufragé ouvrit les yeux. Devant lui se trouvait le médecin et un autre homme. Il était large d’épaules et portait un long manteau gris et un tricorne.

Le naufragé leva la tête et regretta instantanément. Une douleur intense lui envahit le crâne. Il eut la nausée et sa vue se troubla. Il insista pourtant à se redresser et réussit à s’asseoir. Il aperçut sa jambe, elle était suturée sur environ dix centimètres. C’était du bon travail, avec peu de chance d’infection.

Il remarqua aussi les tatouages couvrant une bonne partie de son corps. Ils étaient familiers, comme s’ils avaient toujours été là. Pourtant le naufragé ne se rappelait pas leur signification ou comment il les avait obtenus. Le naufragé passa une main sur son crâne, là où la douleur était la plus intense. Il sentit sous ses doigts les fils utilisés pour suturer la plaie.

Les deux hommes le regardaient comme s’ils avaient vu un revenant.

— Vous… vous devriez rester allongé.

— Je me sens mieux, dit simplement le naufragé. J’ai faim.

L’autre homme, surement le capitaine à en juger par son autorité, se recomposa.

— Ah en voilà des manières, à peine réveillé qu’il veut déjà piquer dans mes réserves !

— Je… désolé, je ne voulais pas manquer de respect. Merci de m’avoir sauvé.

Le capitaine se contenta de grogner en réponse. Le médecin s’approcha de son patient. Il lui ouvrit grand les paupières et examina ses yeux. Puis il posa une oreille contre son torse pour écouter son pouls.

— Nom d’un mage ! Vous récupérez vite !

— Tant mieux, dit le capitaine sans attendre de réponse. Il pourra être utile.

Il se dirigea vers la porte de la cabine, puis se retourna avant de sortir.

— Trouve-lui de quoi manger, je le veux sur le pont d’ici demain. Cet imbécile de Pitt s’est blessé, il faut quelqu’un pour astiquer le pont avant que le sel ne bouffe la coque.

Puis il sortit en claquant la porte. Le médecin continuait son examen, ébahi par ce qu’il voyait.

— Je ne comprends pas, vous avez perdu au moins un litre de sang, vous devriez être incapable de bouger.

— J’ai une bonne constitution, c’est tout. Mais j’ai vraiment faim, est-ce que ce serait possible d’avoir de quoi manger ?

— Euh… oui, oui bien sûr je vais aller chercher quelque chose dans les cuisines.

Le médecin continua de marmonner sa surprise en s’éloignant. Une fois seul, le naufragé décida de se lever. Il utilisa d’abord sa jambe indemne par prudence. Il posa ensuite l’autre. La douleur était vive, mais supportable. Il se redressa et une nouvelle vague de nausée lui envahit la gorge. Il prit quelques minutes pour faire passer la sensation et réhabituer son corps à cette position. Il fit ensuite un pas timide en avant. Ses jambes pesaient une tonne et il se demanda s’il allait réussir à tenir jusqu’à l’arrivée du médecin. Pourtant il voulait absolument atteindre le petit hublot près de la table. Il s’approcha en glissant ses pieds au sol. Il lui fallut un bon moment, mais il finit par atteindre son but. À l’extérieur la mer était calme et le soleil haut dans le ciel. La chaleur sur son visage lui fit un bien fou. Puis la porte de la cabine s’ouvrit et le médecin entra, équipé d’un plateau qu’il faillit lâcher en le voyant.

— Impossible ! Comment êtes-vous déjà debout ?

— Je vous l’ai dit, j’ai une bonne constitution.

Puis comme pour le contredire, il sentit ses jambes lâcher sous son poids et dut se cramponner au bord du hublot. Le médecin posa le plateau et vint le prendre sous le bras pour l’aider à se rassoir sur la table de bois. Il lui apporta le plateau et le naufragé croqua immédiatement dans une miche de pain. Sa bouche en salivait tellement qu’il bava sur son menton. Le médecin continuait de le regarder ébahi.

— J’ai servi dix ans dans l’armée d’Algrava en tant que médecin général, et je n’ai jamais vu ça !

Le naufragé haussa les épaules.

— Où sommes-nous ? demande-t-il.

— Euh… sur L’imbattable, un baleinier. Nous sommes à six jours des cotes vers l’est, sur la mer des Oublies.

La mer des Oublies… le naufragé sembla se souvenir d’un détail à ce sujet. Le souvenir semblait s’évanouir dans le fond de sa mémoire. La douleur dans le crâne devint plus intense lorsqu’il tenta de se souvenir alors il lâcha prise. Le médecin continua :

— Et vous, comment êtes-vous arrivé ici ? On n’a pas vu d’autre navire lorsqu’on vous a repêché, est-ce que le vôtre a coulé ?

— Je… je ne me rappelle plus.

Il avait beau chercher, il ne se souvenait de rien et cela le terrifiait bien plus que les blessures physiques qu’il avait reçues. C’est comme si sa mémoire se protégeait en lui envoyant des vagues de douleurs à chaque fois qu’il essayait de se souvenir.

— Vous devez bien avoir une idée non ? C’est quoi votre nom d’ailleurs ?

Il fronça les sourcils et fouilla sa mémoire à la recherche d’un nom. Rien, à part une migraine encore plus intense.

— J’ai oublié, dit-il avec de grands yeux.

Il se sentit faible tout à coup et dut se rallonger, avec l’aide du médecin.

— J’ai beau chercher, je ne me souviens de rien, lui dit-il une fois allongé.

— Je vois. C’est surement cette blessure au crâne. J’ai déjà vu ça sur les champs de bataille, un mauvais coup peut vous effacer complètement la mémoire. Vous avez de la chance de ne pas finir comme un légume, j’ai vu des soldats perdre complètement l’esprit après une telle blessure.

— Est-ce que c’est définitif ?

— Ça dépend. Vous pourriez retrouver tous vos souvenirs, ou seulement des bribes. Certains revivent leur passé dans leurs rêves.

Le naufragé baissa la tête, déboussolé par cette nouvelle. Jusqu’ici, il s’était contenté de survivre et n’avait pas eu le temps de se demander comment il était arrivé là.

— Il va vous falloir un nom dans tous les cas, dit le médecin.

Le regard du naufragé se posa sur la bouteille d’alcool vide posé sur l’étagère. Celle-là même que le médecin avait vidée avant l’opération. Elle portait un sceau de cire avec un écusson.

— Qu’est-ce qui est écrit sur la bouteille ?

Le médecin se retourna vers l’objet de verre.

March et Fils, c’est un petit producteur de la capitale.

— Dans ce cas, appelez-moi March.

Le médecin rit.

— Dans ce cas March, profitez bien de cette journée de repos. Demain les choses sérieuses commencent.

— Les choses sérieuses ?

— Nous ne sommes pas n’importe quel type de baleinier. On chasse le dragon-baleine, une des bêtes les plus féroces des mers. Dès demain, vous ferez partie de l’équipage, c’est la condition du capitaine pour payer votre dette.

— Je… je ne sais si je suis un bon marin.

— Ne vous en faites pas pour ça, votre tâche sera surtout de s’occuper du nettoyage du pont… et des latrines. Bienvenue sur L’imbattable, March !

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