Chapitre 2.2 - La chasse

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Le capitaine était rouge de colère.

— Imbécile ! hurla-t-il à March. Tu l’as laissé filer, foutremage !

— Il nous aurait fait couler avec lui, protesta March déjà accroupi au-dessus d’Egas pour l’aider à se relever.

— Que se passe-t-il ? demanda le médecin qui revenait à lui.

Le capitaine frappa la balustrade du point puis se tourna vers Egas.

— Ton petit miraculé nous a fait perdre notre proie ! Elle doit s’être réfugiée dans les grands fonds à l’heure qu’il est… on ne la retrouvera jamais !

Egas considéra les autres matelots dont les visages ne montraient aucune colère. Certains cherchaient encore les pauvres bougres passés par-dessus bord, mais l’espoir de les secourir était mince.

— On dirait bien que March nous a sauvé la vie, non ? demanda Egas.

— Le dragon-baleine nous aurait sauvé la vie ! dit le capitaine. Il me faut cet animal. Je…

Soudain, une secousse agita L'Imbattable. Le capitaine se rua vers la balustrade, passant la tête par-dessus le bord pour examiner la source de l’agitation. Puis le bateau trembla de nouveau. Le capitaine se mit à rire, d’un rire tonitruant, presque diabolique. Il toisa son équipage.

— Je vous l’avais bien dit, cette bête n’est pas comme les autres ! C’est une hargneuse !

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Egas.

— Le dragon-baleine est de retour, dit March sans avoir besoin de chercher la source du vacarme.

Le capitaine se tourna vers lui. Sur son visage, une excitation morbide avait remplacé la colère.

— Oh oui, il est bien de retour ! Et crois-moi, un dragon-baleine blessé est bien plus dangereux ! Il ne nous lâchera pas avant de nous avoir coulés !

Il continua de rire comme un dément. Dans son dos, la crête noire jaillir des flots. Le harpon et sa chaine étaient toujours plantés dans son échine. L’animal commença à tourner autour du bateau à grande vitesse. Le capitaine braqua les yeux sur sa proie.

— Réarmez le canon ! cria-t-il. Préparez les arbalètes !

Trois matelots familiers avec le canon s’installèrent au poste de tir pour remplacer les artilleurs engloutis par la mer. Plusieurs marins posèrent les arbalètes lourdes tout autour du bateau, en s’aidant de la balustrade comme support. Du fait de leur poids, ces armes ne pouvaient être déplacées lors du tir. La crête noire passa à tribord et les matelots ouvrirent le feu immédiatement. Leurs carreaux rebondirent sur la peau de l’animal comme s’il ne s’agissait que de brindilles. Le dragon-baleine sortit sa gueule de l’eau et émit un grognement strident.

— Ça n’annonce rien de bon, dit Egas. On n’a jamais eu à faire à un animal si gros.

Les artilleurs lancèrent un nouveau harpon — cette fois sans chaîne, car le mécanisme était détruit — mais ils manquèrent la bête. Après un dernier tour autour du bateau, la créature plongea.

— Préparez-vous ! cria le capitaine. Elle va revenir !

Le dragon-baleine jaillit des flots dans un bond de plusieurs mètres de hauteur. Pour la première fois, March put voir l’intégralité de son corps. À première vue, on aurait dit une simple baleine, comme celles que l’on trouve dans les mers froides du Nord. C’était un animal marin au tronc large relié à une tête sans cou. La première différence venait de son immense gueule pleine de plusieurs rangées de dents aussi longues que des poignards. Au-dessus de cette terrible mâchoire, deux yeux blancs contrastaient avec le noir intense de ses écailles. Au lieu de simples nageoires, la créature possédait des sortes d’ailes marines dont les extrémités étaient aussi acérées que sa crête. Son corps se terminait par une queue de plusieurs mètres, surement assez puissante pour briser tous les os d’un homme d’un seul coup.

La silhouette de l’animal masqua le soleil et son ombre enveloppa totalement le navire. Le temps se figea. Les matelots observaient l’immense forme noire devant eux et aucun n’eut la présence d’esprit de bouger. Puis la pesanteur fit son travail et le dragon-baleine retomba sur sa proie : le navire.

La moitié supérieure de son corps s’effondra à bâbord. Le plancher du pont éclata sous l’impact. Plusieurs marins malchanceux furent écrasés sous sa masse. Le dragon-baleine plia ses ailes-nageoire et planta ses coudes dans ce qui restait du pont pour maintenir sa position. La partie inférieure de son corps reposait toujours dans l’eau et faisait tanguer dangereusement le navire à bâbord.

Le dragon-baleine lâcha un nouveau hurlement puis à l’aide de sa mâchoire, attrapa un matelot qui se trouvait trop près. Le son de son corps déchiqueté par l’animal glaça le sang des autres membres de l’équipage.

— Réveillez-vous bande de mollassons ! vociféra le capitaine. Cette fois, c’est elle ou nous, à vous de choisir !

Sur ses ordres, plusieurs matelots ouvrirent le feu à l’aide de leurs arbalètes. Le canon lance-harpon était malheureusement inutile, car l’animal s’était placé dans l’angle mort de l’appareil.

Le marin s’étant fait dévorer par l’animal avait laissé une arbalète à terre et March courut pour s’en emparer.

— March, non ! cria Egas derrière lui.

Mais March ne s’arrêta pas pour autant. Le capitaine avait vu juste, il n’y aurait qu’une espèce survivant cette bataille : les humains ou le dragon-baleine. March ramassa l’arbalète sans difficulté, malgré son poids. Encore une fois, il ne fut pas surpris par sa propre force. Son instinct semblait lui indiquer qu’il en était capable.

La bête ouvrit de nouveau sa mâchoire pour attaquer, mais juste avant qu’elle ne décapite un matelot, March tira sur l’énorme amas grisâtre se trouvant dans sa bouche : sa langue. Le carreau atteint sa cible et l’animal eut un mouvement de recul qui sauva le marin.

Egas rejoignit March alors que le capitaine ordonnait une nouvelle salve d’arbalètes.

— Tu es fou, on est beaucoup trop près ! dit Egas. Et comment peux-tu tirer avec cette arme, elle pèse une tonne !

— Dis-moi plutôt comment tuer cet animal ! s’exclama March sans se soucier des questions du médecin.

— Hein ? Euh… je… les yeux ! C’est son point faible. Son cerveau se trouve juste derrière les yeux.

March chercha un nouveau carreau pour recharger son arme, mais la bête ne lui laissa pas le temps. Elle se tourna vers eux, semblant reconnaitre celui qui l’avait blessé.

— Egas court ! ordonna-t-il.

March bondit en poussant Egas devant lui. Il sentit l’immense mâchoire se refermer à quelques centimètres de ses jambes alors qu’il roulait au sol. Il se releva aux pieds de l’épée du capitaine, encore plantée dans le plancher du bateau. March s’empara de l’arme.

Le dragon-baleine n’en avait pas fini avec eux. Il utilisait les coudes de ses nageoires pour gagner du terrain et grimper de plus en plus sur le bateau. Il s’était maintenant fixé sur Egas, encore sonné par leur dernière échappée.

L’animal ignorait totalement les projectiles des arbalétriers qui rebondissaient sur son armure d’écaille. March avait peu de temps pour agir. Il courut en direction du grand-mât et bondit pour y grimper.

La bête continuait d’avancer sur le pont. Trois matelots armés de lances s’approchèrent pour la faire reculer, mais d’un mouvement de tête, la créature les propulsa dans la mer comme des poupées de chiffons.

Il n’y avait plus une seconde à perdre. March atteignit la vergue, cette longue pièce de bois disposée en croix sur le mât pour soutenir la voile. Il se plaça au-dessus du dragon-baleine puis sauta sur son énorme tête.

L’attaque de March était dangereuse et imprudente, mais son ami était en danger alors il n’eut pas une seconde d’hésitation. Il atterrit en plein sur le haut de la tête de l’animal. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était que sa peau était aussi glissante qu’un sol givré. Il dérapa le long de son corps et faillit s’embrocher sur sa crête à épine, mais l’évita de justesse en s’agrippant au harpon planté dans le dos de l’animal. Le dragon-baleine réagit aussitôt et se débattit pour déloger March de son dos. Mais il tint bon et se cramponna au harpon.

Les autres matelots l’observèrent, totalement stupéfaits. Aucun d’eux n’aurait pu tenir face à une telle force de la nature. March se concentra, il n’aurait qu’une seule et unique chance.

Il utilisa toute la puissance de son bras agrippé au harpon pour se projeter vers la tête de l’animal. Son bond le plaça juste au-dessus de l’œil droit du dragon-baleine. March observa la surface laiteuse de son œil dépourvu de pupille. Puis il le transperça à l’aide de son épée.

L’animal ne cria même pas. Son corps se raidit dans un mouvement de réflexe qui éjecta March vers le grand mât. Il retomba lourdement au sol alors que l’animal s’écrasait sur le pont.

Puis le calme revint sur la mer. La bête ne bougeait plus.

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