Interlude - La marchande

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Saira détestait ces requins de banquiers. Ils répondaient toujours à l’appel des riches dans le besoin, mais lorsqu’il s’agissait d’épauler des petits marchands comme elle, ils montraient leurs dents acérées.

Pour être honnête, elle détestait les hommes en général ! On ne pouvait pas leur faire confiance, elle l’avait appris de la plus difficile manière qui soit.

Elle tourna le dos au guichetier qui venait de lui refuser un prêt et se dirigea vers la sortie de la banque. Elle passa un nobliau planté au milieu du hall d’entrée ; lui serait reçu en grande pompe. Saira avait besoin de libérer sa colère et bouscula un porte-manteau alors qu’elle sortait.

Elle se demanda si elle n’en avait pas trop fait lorsqu’un garde s’approcha d’elle. Foutremage ! Elle ne se laisserait plus marcher sur les pieds. Elle le foudroya du regard et passa devant lui.

Le garde la laissa passer et Saira quitta la banque. Il était encore tôt, mais les tours dorés de la banque brillaient déjà sous le soleil de plomb. Et dire qu’une fraction de ce revêtement lui aurait suffi pour payer sa prochaine commande. Saira détestait cette bande de corrompus vivant dans l’opulence pendant que l’autre moitié de la ville se partageait les miettes ! Holstein ou Sienna, ils étaient tous coupables de la misère rampante de cette cité.

Elle prit un moment pour se calmer, incertaine de ce qu’elle devait faire maintenant que son plan venait de tomber à l’eau. Si elle ne payait pas la prochaine livraison, son fournisseur ne lui offrirait plus jamais un si bon compromis sur son prix. Et si elle ne livrait pas la marchandise, son client serait courroucé. Nom d’un Saint ! Elle était dans de beaux draps !

Il fallait absolument qu’elle trouve les dix pièces d’argent nécessaires, sa liberté en dépendait ! Elle préféra ne pas imaginer à ce que les Serpents Bruns lui feraient si elle ne remboursait pas sa dette. Qu’ils essaient et ils verront ce que c’est qu’un vrai serpent venimeux ! pensa-t-elle.

Saira s’était juré que plus jamais on ne l’abuserait. Elle effleura du bout des doigts la pointe de la dague cachée dans sa manche pour s’assurer que son moyen de défense était toujours là. Le prochain qui oserait la toucher aurait une mauvaise surprise.

Saira avait encore une alternative, bien qu’elle soit réticente à l’utiliser. Elle devrait faire un détour par la Bourgonnie avant de rejoindre Caetobria. Si elle ne ménageait pas son cheval, elle pourrait y être à temps.

Elle se dirigea vers sa calèche, attelée devant la banque, quand on lui coupa la route. Il lui fallut un instant pour reconnaitre l’importun.

— Saira, ma tendre, quelle bonne surprise ! dit l’homme devant elle.

Elle eut un mouvement de recul instinctif face au truand se tenant devant elle. En reculant, elle se heurta à deux autres brutes qui l’encerclaient. Elle se recomposa en un instant et afficha son sourire le plus moqueur. Mieux valait ne pas montrer de faiblesse à ces déchets d’humanité.

— Arán ! Je vois que tu es venu accompagné. Où les as-tu trouvés ces deux-là, dans un des bordels de la Ville-Basse ?

Arán ricana alors que les deux balourds se fixaient du regard.

— Prends garde à ne pas abuser de ma patience, sale garce ! Tu sais pourquoi nous sommes là, le boss veut son argent !

— J’ai déjà dit à Salva qu’il me fallait plus de temps. Il aura son argent comme convenu. J’ai toujours payé ce que je lui devais, non ?

— La situation a changé à Caetobria, le Roi retourne la ville à la recherche de ce maudit assassin. Les pots-de-vin à la garde royale coutent de plus en plus cher et naturellement, ta dette a augmenté.

— Qu’est-ce que c’est que ces conneries ! Ma dette est fixe, je payerais ce que je dois à Salva, pas une pièce de plus.

— Tu payeras ce qu’on te demande ! Tu préfères peut-être nous rembourser d’une manière plus… naturelle ? J’en connais un paquet qui serait content, si tu veux mon avis.

Les deux lourdauds se mirent à rire et Saira fut prise d’une impulsion de planter sa dague dans la gorge de l’un d’eux. Elle serra les poings pour garder son sang-froid.

— Dis à Salva que je serais de retour à Ceatobria dans quelques jours. On pourra parler de ma dette à ce moment-là.

Elle contourna Arán pour rejoindre sa calèche, mais il la retint par le bras. Il sortit un petit couteau de sa ceinture qu’il colla contre le cou de Saira.

— Pas si vite, ma mignonne ! Je n’ai pas dit que tu pouvais partir.

Il empestait l’herbe du Mage et l’odeur remémora à Saira des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier. Cette maudite drogue avait été son salut dans les pires moments de sa vie, mais aussi un rappel de ce qui l’attendait si elle ne trouvait pas rapidement assez d’argent pour payer le gang des Serpents Bruns.

Elle fut prise de nausée lorsque Arán s’approcha encore plus près.

— Si tu ne peux pas payer maintenant, il y a toujours moyen de s’arranger, dit-il en montrant ses dents pourries par l’herbe.

Saira glissa la dague hors de sa manche et la pointa contre le scrotum d’Arán. Le truand glapit en découvrant la lame contre ses parties intimes.

— Qu’est ce que tu dirais de repartir d’ici avec quelques grammes en moins ? dit Saira. De toute façon, j’ai peur de ne pas pouvoir couper grand-chose vu la taille de ton matériel…

Arán rougit de rage.

— Tu vas me le payer, sale putain !

Saira enfonça la lame dans le tissu et Arán devint livide. Les deux autres brutes approchèrent pour l’aider, mais il leur fit signe de reculer, complètement paniqué. Saira avait au moins appris une chose des hommes : ils se comportaient comme des froussards si l’on menaçait leur virilité.

— Restez où vous êtes, bande d’imbéciles ! Cette catin va me couper les noix !

— Braves toutous, écoutez donc votre maitre et déguerpissez jusqu’à ce que je ne voie plus vos salles tronches !

Ils hésitèrent.

— Faites ce qu’elle dit, bonsand’mage !

Les deux sous-fifres reculèrent pendant que Saira tirait Arán avec elle vers sa calèche. Elle détela sa monture d’une main et frappa Arán au visage à l’aide du manche de sa dague. Il tomba au sol, dévoilant une lèvre sanguinolente qui accompagnait à merveille la petite tâche écarlate déjà présent sur le tissu de son pantalon.

— Dis à Salva que j’aurai son argent. Je paye toujours mes dettes.

Saira grimpa dans sa calèche pour filer alors que le truand était occupé à inspecter ses parties intimes. Un couple de riches dut s’écarter de son chemin lorsqu’elle s’engagea dans un étroit passage adjacent à la banque.

Elle dévala l’allée à toute allure pour prendre de la distance avec les gangsters. À l’embouchure de la rue, elle arrêta sa jument pour éviter des débris de verre qui chutaient du ciel. Elle leva la tête et un lourd objet tomba à l’arrière de sa calèche.

— Nom d’un Saint ! Qu’est-ce qu’il se passe encore !

Elle se tourna pour examiner son moyen de transport et découvrit un homme allongé dans la calèche.

— Mais…

L’homme s’assit. Son visage était égratigné par les éclats de verre, mais mis à part cela, il était sain et sauf.

— Hé l’ami, vous venez de faire un sacré saut !

Il portait des habits riches, mais au contraire des membres de sa classe, il avait les cheveux très courts. Saira reconnut alors l’homme qu’elle avait croisé en sortant de la banque, sauf qu’il ne portait plus de chapeau. Elle aperçut le manche d’une dague sous sa redingote noire.

— Je vous préviens, j’ai passé une sale journée, dit-elle en pointant sa propre dague vers lui. Je ne vais pas me laisser détrousser sans rien dire !

L’homme leva les mains au ciel en signe de soumission.

— Ne vous inquiétez pas, je ne vous veux pas de mal.

Il avait une voix rauque, mais calme, presque apaisante. Il mit une main dans la poche de sa redingote et en sortit une bourse.

— Il me semble que vous avez besoin d’argent, non ?

— Qu’est-ce que vous en savez ?

— Je vous ai vu dans la banque. Écoutez, je dois rejoindre Caetobria au plus vite.

L’homme ouvrit la bourse et en sortie une pièce d’or.

— Je vous donnerais dix pièces d’or quand nous serons à l’intérieur des remparts.

— Dix pièces d’or ! Vous vous payez ma tête ? Vous pourriez vous offrir un convoi entier vers la capitale à ce prix là. C’est quoi le piège ?

— Il n’y en a pas, j’ai juste besoin de faire vite… et d’être discret, dit-il en jetant un œil au sac posé à l’arrière de la calèche, dans lequel Saira gardait quelques affaires de rechange.

— Cinq pièces d’or maintenant, et cinq autres à l’arrivée.

— Marché conclu, dit-il en tendant une main vers elle.

Saira rangea sa dague et lui serra la main.

— Je vous préviens, je n’hésiterais pas à me servir de mon arme si vous essayez de m’embobiner !

— Je n’en doute pas.

— J’ai de quoi vous changer là-dedans, dit-elle en démarrant la calèche. Caetobria est à trois jours d’ici.

Elle vit Arán et ses brutes entrer dans la rue et elle lança immédiatement sa jument au galop.

— Accrochez-vous, étranger ! cria-t-elle sans se retourner.

Saira n’en croyait pas sa chance. Un inconnu plein d’or venait littéralement d’atterrir dans sa calèche ! Avec cette somme, elle pourrait enfin se payer sa liberté une bonne fois pour toutes. Ses prières venaient d’être exaucées !

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