Chapitre premier

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Le conseil de Korn


« Ainsi débute le deuxième règne des cieux, conclut Korn »

Sur ces mots, le vieux roi fit une pause, sous la consternation de son assemblée. Il présidait un conseil qu’il avait convoqué au matin, lorsque les nouvelles de Nakälis lui étaient parvenues. Dans la salle du trône, il était le seul assis, et son âge le justifiait amplement.

Korn n’était pas un bon dirigeant, il n’avait ni les qualités ni l’ambition nécessaires pour tenir les rênes du royaume, et il évitait soigneusement toute guerre ou altercation qui pouvait menacer sa vie.

Il était lâche, croulant, se cachait sous ses quelques cheveux blancs et sa longue tunique de soie brodée.

Depuis le début de son règne, le peuple des constructeurs avait perdu de sa grandeur d’antan, et ses hautes cités blanches qui dominaient les plaines s’étaient pour la plupart retranchées dans les collines.

Cependant, Korn fut bon de quémander l’aide des éminences de son royaume et des autres peuples. Une lune plus tôt, la destruction de Nakälis annonçait le retour des Mâchoire-Bourrasque, descendants des dragons. Dans la maison du vieux roi, il était temps de prendre des décisions qui changeraient à n’en point douter la face du monde.

Aussi, Korn s’appuya sur son sceptre - qui s’apparentait davantage à une canne - se leva et proclama d’une voix frêle :

«  Il est temps, à nouveau, de réunir les cinq peuples. »

A peine eut-il fini ces mots que s’installa un vacarme assourdissant.

Ca et là des hommes, des femmes s’indignaient, vociféraient à l’encontre du roi. Tous ou presque perdirent leur sang froid à l’évocation de ce sujet que tout le monde évitait. Les relations et les échanges entre peuples s’étaient doucement perdus pour des conflits mineurs.

Seul un homme en tunique à capuche, dont on ne voyait que deux yeux jaunes, se fraya un chemin jusqu’au roi. Tous s’écartèrent devant lui, sans savoir pour autant devant qui ils s’inclinaient. Son aura imposante écartait les curieux de son passage. Il arriva à l’oreille du roi et lui chuchota quelques mots, après quoi il s’écarta et resta debout près du trône.

Les protestations de l’assemblée ne cessaient de croître, et le vacarme grandit de plus belle.

Korn se rassit tranquillement, les yeux clos et les mains se couvrant les paupières, demeurant silencieux. D’un geste lent mais assuré, il leva sa main droite, ornée de nombreux joyaux.

Il serra son poing brusquement, et le silence se fit immédiatement dans toute l’assemblée :

«  J’ai ici un ami de longue date qui désire parler, dit-il finalement en désignant la mystérieuse silhouette. »

Sur ces mots, la capuche tomba et laissa apparaître un visage bestial, trop poilu et marqué pour être celui d’un homme des Constructeurs. Sous la surprise générale, il enleva sa longue tunique, dévoilant un corps nu, seulement couvert d’un pagne richement décoré. Son corps était exagérément musclé, et des poils blancs le recouvraient presque entièrement. Sur le haut de son crâne jaillissaient deux bois qui lui étaient étrangers, plantés à même la peau. Autour, de grandes cicatrices en disaient long sur la douleur qu’il avait endurée pour se les attribuer.

Il prit la parole, croisant quatre bras solides sur sa large poitrine :

«  Je suis Wendigo, roi et alpha des Prihoms. »

En réponse à cette déclaration, plusieurs soldats se levèrent, la main sur leur fourreau, prêts à agir. Korn leva la main, leur donnant l’ordre de se rasseoir. Puis, Wendigo continua, d’un ton grave :

« Et je ne suis pas venu pour me battre avec vous. Le véritable ennemi, il est là, dit-il en désignant le ciel par un puits de lumière, au plafond. »

La lumière, à toute heure de la journée, s’engouffrait dans la pièce par cet endroit et illuminait davantage le trône du roi.

Wendigo reprit, peu à peu les bruits alentours se taisaient :

«  Je pars pour une quête. Mais je ne pars pas seul. Je m’en vais par les cinq royaumes, chercher les légendes de notre âge. Il y a peu, un de vos hommes, Enëkil, a vaincu un Mâchoire-Bourrasque à lui seul, armé de l’épée du royaume. Nous sommes encore à sa recherche, de celle de l’épée j’entends car le corps a été retrouvé. Il n’en reste presque plus rien, mais il est conservé dans le panthéon de vos aïeux, constructeurs, parmi ceux qui ont bâti votre ère. Sa bravoure aura su le mener jusque dans nos mémoires. Korn, votre roi, me voue une confiance aveugle et sachez que je ne m’attends pas à la même chose de vous, à tort ou à raison. Mon peuple est trop longtemps resté dans l’ombre, il est temps qu’il retrouve sa place légitime parmi les cinq peuples.

« Une guerre se profile : le deuxième règne des cieux. Il est plus que temps de nous unir pour faire face au fléau. Afin de rallier les quatre peuples connus, j’irai de par le monde transmettre le même message, j’irai préparer les hommes à la guerre. Puis, j’irai par-delà l’horizon et et suivra le peuple des Oubliés. Mais je n’irai pas seul. Nous serons sept, ni plus, ni moins. Nous irons vite, nous parlerons peu, mais nous aurons des choses à dire à notre retour car nous sommes l’espoir d’une grande alliance, et j’espère d’une grande victoire. Deux constructeurs, deux dünaïl, un noueux, un Prihom et un homme de l’ombre. Tous sont déjà ici réunis, mais peu savent que je les ai choisis.»

Un homme rétorqua :

«  Pourquoi vous faut-il une troupe réduite ? L’armée des constructeurs est réputée pour ses machines, ses ingénieurs. Nox-Lotar est fort, et préparé. Nous pouvons faire face au ciel. »

Plusieurs cris d’approbation s’élevèrent, avant que Wendigo reprenne :

« Vous n’avez ni l’expérience ni le savoir requis. Que feront les Mâchoire-Bourrasque quand ils verront se déplacer par les terres une gigantesque armée ? Ils vous écraseront. J’entends composer une équipe de sept hommes, ni plus, ni moins. Ils ne nous verront pas agir. 

« Pourquoi devrions-nous nous plier aux ordres d’un Prihom ? Qu’il soit le roi ou non, il reste inférieur à nous ! vociféra un soldat, tout vêtu de blanc »

Wendigo serra les poings. Pas de conflit intérieur, ou ils seraient perdus. Il ne réagit pas. Korn soupira et ordonna le silence. Il proclama ensuite, fatigué :

«  Le roi des Prihoms prend le commandement. Le conseil est clos. »

Et le vieux roi se retira. Traînant sa longue robe derrière lui, Korn disparut dans ses appartements. Mais les grands de son royaume n’en avaient pas fini pour autant. L’un d’eux sortit son épée, s’avança jusqu’à Wendigo et lui mit sa lame juste en dessous de la gorge :

« Je pourrais te tuer, Prihom, si je savais tout de tes complots. Dis-moi pourquoi le roi t’obéit, et tu vivras. »

Aussitôt, l’un des quatre bras colossaux vint prendre le soldat par le cou, tandis qu’un autre lui faisait lâcher son arme. Les veines sur ces membres musclés saillaient, et l’expression qu’il arborait n’était plus aussi impassible qu’avant. En levant ses deux autres bras pour menacer son agresseur, Wendigo répliqua :

« Il te faudrait d’abord apprendre à te battre. Sache, soldat, que les Prihoms ont quatre bras et qu’ils n’hésiteront pas à les utiliser à leur avantage pour te faire ravaler tes infectes paroles. »

Des perles de sueur coulaient sur le visage du soldat, traduisant sa peur et sa surprise. Il soutint cependant le regard de Wendigo, avant de détourner les yeux en ruminant. Le Prihom, satisfait, annonça d’un ton impatient :

« Nous partirons au crépuscule, juste avant minuit. Nous irons chercher le septième membre au matin. Retrouvez-moi ici-même.

Irisaël et Nox, de Nox-Lotar, Yuey et Oro, des dünaïl et Solios, des noueux. Je mènerai notre groupe à destination, et vous m’aiderez à le maintenir en vie, car maintes seront les dangers. Je n’ai rien à ajouter. »

Et Wendigo quitta la salle du trône, en même temps que le jour, en marmonnant pour lui-même :

« Osix, je sais où te trouver... »

Le conseil s’était tenu dans la maison royale, au cœur de la capitale de Nox-Lotar, Ker.

La ville était la plus grande du royaume, et ses pierres étaient si blanches qu’on pouvait croire qu’elle venait d’être bâtie. Pourtant, elle était le berceau du peuple des Constructeurs, la cité où ils avaient porté ce nom pour la première fois.

Cette blancheur qui lui avait valu sa réputation était parsemée de tâches vertes, comme si la végétation reprenait ses droits. Depuis l’avènement sur le trône de Korn, La capitale dépérissait et personne ne s’occupait plu de son entretien. Le temps était à la guerre, et tous les hommes encore capables d’y aller avaient été appelés. L’armée des Constructeurs se divisait donc en deux groupes distincts, les soldats de métier et la milice, que composaient tous les travailleurs du royaume.

La nuit venait à peine de tomber, seules deux voix brisaient la mélodie du vent dans les arbres :

« Bien qu’il ne soit pas des nôtres, il semblerait que nous soyons sous ses ordres. Je n’ai jamais apprécié les Prihoms, mais notre alliance est de mise si nous espérons un jour purifier les cieux de ces monstres. »

Nox regarda le ciel, si noir, peut-être volaient-il déjà au dessus de lui.

Peut-être étaient-il en train de fondre sur lui ?

Cette pensée le troubla, et un frisson lui parcourut l’échine, qu’il associa à la fraîcheur de la nuit.

Irisaël lui répondit :

« Père, quand vous avez appris que vos deux frères avaient succombé, Aldor et Enëkil, n’avez-vous pas eu honte d’avoir survécu? »

Ses yeux ambrés, vifs, scrutaient fermement ceux de son père, attendant une réponse.

Celui-ci le remarqua et, en soupirant rétorqua :

« Nous avons tous les trois choisi des chemins très différents, Iris. Ils sont arrivés au bout des leurs, voilà tout. Qu’y puis-je ? J’aurai honte si je me préoccupais plus de mes morts que des vivants, ils le pensaient sûrement. Mais tu sais déjà tout cela, n’est-ce pas ? A mon tour de t’interroger : dis moi ma fille, toi qui es si fière, si brave, si indomptable, vas-tu te plier aux ordres de Wendigo, lui qui nous a choisis ? »

Irisaël détourna son regard, et accéléra le pas comme pour éviter la conversation. Elle renchérit toutefois, avec un sourire qui lui était propre :

« Tu sais bien que non ! »

Elle se mit à rire et s’en alla dans les ruelles abandonnées le temps d’une nuit. Seuls ses cheveux blonds étaient encore visibles, avant de disparaître eux aussi dans la promesse de revenir le jour suivant.

Nox sourit lui aussi, et, s’asseyant sur un blanc de pierre froide, se mit à aiguiser sa lame. Très vite, ses pensées se perdirent avant de converger vers une question, alors que la nuit était déjà bien avancée :

« Où est Osix ? »

Lorsque Nox arriva au point de rendez-vous, tous l’attendaient déjà. Wendigo hocha la tête, et sans plus attendre ils se mirent en route.

Ils n’étaient que quatre, mais Nox avait plus foi en ce groupe qu’en n’importe quelle armée. Yuey et Oro n’avaient pas pu se déplacer jusqu’en Nox-Lotar, et le voyage serait long pour les rejoindre, et périlleux jusque dans le désert du Boan. Avant cela, Wendigo leur avait parlé du septième compagnon, l’homme de l’ombre, qu’ils iraient chercher par-delà le pont des poussières. Le chef de troupe menait la marche, équipé seulement d’un pagne, d’un plastron de métal et d’un énorme sac à dos. D’ordinaire, les Prihoms étaient plus petits, plus chétifs que les autres hommes mais leur alpha, tout de blanc velu, échappait à la règle. Tout aussi agile et futé que ses semblables, il alliait la force à la ruse en se servant au mieux de ses deux bras supplémentaires. Nox fut pris d’un léger rire, mieux fallait compter l’alpha dans ses alliés. Il fermait la marche, assez loin pour ne pas entendre ce que sa fille pouvait bien dire. Depuis leur départ de la capitale, elle n’avait pas cessé de suivre Solios, le noueux. Comme à son habitude, elle ne se souciait de rien ni personne, et avait confiance en n’importe qui pourvu qu’il n’ait pas d’ailes et de crocs. Quant à son interlocuteur, il restait silencieux et souriait de temps en temps. Il était un noueux, sa peau était parcourue de nombreuses fissures et crevasses qui rappelaient l’écorce, d’où le nom de son peuple. Les noueux étaient séparés dans différentes parties de la terre des hommes, ils occupaient presque toutes les forêts connues des cartes. Leur art s’exprimait dans le tatouage, la peinture corporelle à partir de résines végétales, et leur peau en était remplie. Solios avait un symbole, dont la signification n’était connue que de lui seul, qui parcourait son corps du haut de son crâne jusqu’à ses hanches. Ses cheveux étaient courts, et aussi noirs que ses yeux. Lui aussi paraissait silencieux. Nox remarqua une arme étrange accrochée à sa ceinture, incurvée et elle lui sembla de bois. Le petit groupe avait quitté Ker pendant la nuit, et ils s’arrêtèrent sous un grand saule, au beau milieu d’une plaine pour manger. Nox planta sa grande lance, ornée du drapeau de Nox-Lotar dans le sol et s’assit en conservant son armure. Depuis leur départ, le paysage était resté le même, comme dans tout le royaume : de gigantesques plaines à perte de vue, jusqu’à l’horizon. Nox et sa fille n’étaient jamais sortis du royaume, mais l’avaient parcouru de long en large en tant que soldats des frontières. A seulement 16 ans, Irisaël était intégrée dans l’armée, à 20 ans dans l’équipe de corps du roi Korn et à 22 ans, elle était choisie pour décider du destin de l’humanité, accompagnée de son père et des plus grands guerriers de son ère.

Nox profita de cette courte pause pour interroger Wendigo :

« Qui est le septième homme ? »

Wendigo ne fut pas surpris par la question, il savait qu’il ne pouvait rien cacher à ceux avec qui il allait risquer sa vie.

« Il est très connu, dans le mauvais sens du terme. Il ne fait partie d’aucun peuple et il est très difficile de le trouver. Nous sommes à la recherche de cet homme, de Eombral. »

Nox renchérit :

« Eombral ? Je croyais qu’il s’agissait d’une simple légende… »

Irisaël bouscula son père, qui fit tomber son repas :

« Père, qui est cet homme ? »

Nox s’essuya le coin des lèvres, et entama son histoire. Même Wendigo s’assit pour l’écouter.

« On raconte qu’un homme, aussi vieux que le temps et aussi jeune que toi, Iris, aurait fait un pacte avec la nuit. Elle lui conférerait ses pouvoirs tout le long de son règne, en échange de quoi il la servirait corps et âme. Mais, il se serait allié avec le soleil pour détrôner la nuit, tout en conservant ses pouvoirs, condamnant cette dernière à partager son règne. Depuis ce jour, il parcourt la terre des hommes et profite de son don à mauvais escient, en acceptant les pires contrats. Il tuerait une victime chaque nuit, à minuit pile. On dit aussi de lui que nul n’a jamais vu son visage. Si tout cela est vrai, cet homme a vu naître Nox-Lotar et le verra disparaître.

« Croyez-vous en cette légende ? lui demanda Brom.

« Régulièrement, des criminels, des hommes influents ou des nobles disparaissent dans d’étranges conditions mais toute ou presque ont la gorge lacérée, lui répondit Nox. Ce peut être une coïncidence, mais rien n’est sûr en ce bas monde.»

Wendigo se releva, empoigna son immense sac et le mit sur ses épaules. Il annonça d’une voix grave :

« Depuis peu, l’on entend parler d’un assassin, dont l’on ne voit ni les yeux ni le visage, mais seulement l’arme, une longue épée blanche qui permettrait à ses victimes de percevoir une dernière fois la lueur du jour.

J’ai trouvé notre homme, et il détient Osix. C’est lui que nous irons chercher. Une fois que nous arriverons jusqu’à lui, n’oubliez pas :

L’épée en priorité, nous verrons ensuite pour Eombral… Si tant est que nous arrivons à le vaincre. »

Irisaël s’insurgea :

« Alors, vous n’aviez pas vraiment besoin de nous, mais de lui. Nous ne sommes que de simples pions pour parvenir jusqu’à l’ombre, et vous nous sacrifierez s’il le faut.

« Détrompe-toi, jeune fille, chacun a sa place ici. J’ai choisi ceux à qui je pourrai confier ma vie, pour le meilleur et pour le pire. Eombral n’en fait pas partie, du moins pas encore. Mais toi, si. »

Irisaël se fendit d’un grand sourire, ramassa ses dagues et s’en alla en sautillant :

« Alors, il paraît que la nuit nous attend ! »

Nox sourit à son tour, empoigna son paquetage et se redressa doucement. Avant de suivre Solios et Wendigo, qui suivaient avec peine sa fille, il s’arrêta pour contempler le paysage :

« Faut-il que le monde soit en train de sombrer pour que je voie enfin à quel point il est beau ? »

Au loin, des fumées noires s’épanouissaient doucement dans les nuages. Nox se mit en marche, loin derrière ses compagnons :

« Le temps presse ».

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