Madame Évelyne

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Ma pensée s'éteint... j'ai plus de mots, si peu. J'exècre cette chambre. "J'exèèèèccrre " ce mot-là, je ne l'oublierai pas ! Je vais mourir avec. je veux mourir, crever, achevez-moi... Si je pouvais le leur hurler. Pas prête avant d'être privée de mes mains, de ma voix... Trop tard, je sais plus que gémir pendant que j'étouffe... Pendant que j'étouffe de désespoir.
Nuit, encore, dormir.

« Bonjour madame Évelyne, la journée est merveilleuse, je vais ouvrir les volets, attention vos petits yeux. »

Ho ! Pas elle ! Elle est douce comme une "enclème".
Gémissements.

« Oui ? N'est-ce pas, quelle belle journée de printemps ? On va faire la toilette, on va mettre la petite crème. Avez-vous mal ? Clignez des yeux... trois fois pour très mal. Prenez votre temps... Oui ! On a mal, bien sûr. Je vais le dire à l'infirmière. »

Partout, j'ai mal partout, dans cette prison de viande qui refuse de s'ouvrir, qui refuse de lâcher.

« Le kiné ne viendra pas aujourd'hui, mais je sais ce qu'il faut faire... d'abord, la toilette... Ce n'est pas trop chaud Évelyne ? Clignez. Oui, on a mal, je me dépêche ! VALÉRIE, VIENS M'AIDER À LA TOURNER, FAUT CHANGER SA SONDE... »

ConnasseconnasseCONNASSE. j'AI MAL.
Gémissements.

« Elle cligne là, Joce....
—Mais oui, je sais qu'elle cligne, je change sa sonde urinaire, ça fait mal c'est normal... Et puis tous les mouvements la font cligner... Je me demande si c'est volontaire parfois, si elle comprend ce que je lui dis ?
—Ou si nous, nous la comprenons...
—De toute façon on ferait quoi ? Tu diras à l'infirmière, qu'elle a besoin de morphine ? »

Encore une sur le pas de la porte, le défilé des connasses du matin.

« Entrez, entrez... Elle a l'habitude, ça fait presque dix ans qu'elle est là, qu'on prend soin d'elle... Hein, madame Évelyne qu'on vous aime bien ? Hé bien entrez ! Je suis Jocelyne aide soignante... Vous êtes ?
—Marie.
—Marie, la nouvelle lingère. Ce sont ses draps ?! Posez sur le fauteuil. Pourquoi vous restez plantée là ? »

C'est vrai qu'on dirait un pot de fleur la petite ronde, les bras pleins, les yeux rondAïeuh PUTAIN !
Gémissements

« Ho ! C'est la sonde urinaire qui vous impressionne, Marie ? Tire Valérie.
—Mais elle est dans son dos...
—Oui, une curiosité de la gravité, dix ans qu'elle est allongée, son sexe s'est déplacé... Pardon madame Évelyne, elle est nouvelle. »

Et tu crois vraiment que si tu parles bas je t'entends pas ! Quelle cruche celle-là, mais tais-toi donc !

« Vous voyez, il reste un semblant de vulve et quelques poils pubien...
—Elle ne peut plus bouger ?
—Non, du tout, que les yeux ! Que les yeux, mais on arrive encore à communiquer comme ça... Hein, madame Evelyne... Ha vous voyez, elle cligne ça veut dire qu'elle a mal...»

Ça veut dire tais-toitais-toi mais TAIS-TOI DONC ! ÇA VEUT DIRE QUE JE VEUX MOURIR ! ÇA VEUT DIRE FERME TA GUEULEUH !!!

« Dix ans ! mais c'est pas possible de vivre comme ça...
—Vous n'avez pas l'habitude, c'est pour ça, maismadame Évelyne a encore ses petits plaisirs... Je plie la jambe Évelyne... Il y a la lumière du soleil, la nourriture, notre compagnie, les repas, sa visite du samedi, vous l'aimez votre fils, hein Évelyne ?

LA MORPHINE !

« Encore, je plie, encore, dix fois, comme le kiné... Merci Valérie, à tout à l'heure... L'autre maintenant, Évelyne. C'est bien ! Oui, oui, je vois, je sais, il le faut... c'est bientôt, fini... Zut ! Ho, encore une misère Éveline. Marie, tenez-là, s'il vous plaît... Sur le côté, je dois lui passer la pommade anti-escarres, surtout ne pas oublier...La dernière fois ça a été long à guérir... Tenez-là... Ho, il ne faut pas être impressionable comme ça ma petite Marie, si vous pleurez sur chaque pauvre âme ici, vous n'avez pas fini ! »
—Mais pourquoi la laisse-t-on vivre encore ? Enfin à quoi ça sert ? »

Allez Marie, les nouveaux posent toujours la même bonne question et ces débiles répondent toujours les mêmes anneries.
Gémissement.
Elle pleure encore elle, au moins. Moi mes larmes sont en flacon...
Râle...

« Arrêtez ces larmes ou sortez ! Vous allez nous la perturber... Elle a un fils ! Et on ne tue pas les gens, il me semble... Marie, il faut vous endurcir ! Nous avons terminé Éveline. Marie ? Yasmina ramasse le linge à dix heures après les lits, elle vous le descendra . Au revoir ! Nous avons terminé, madame Éveline ...

TANT MIEUX ! FOUS LE CAMPS !

—... votre gruau arrive et vos médicaments, j'entends le charriot...

Morphine

—Je vous allume la télé... La graçouille ne fera pas long feu, trop sensible ! Heureusement qu'il y a des gens comme moi pour s'occuper de vous ! Je vais rester encore cinq minutes ici, vous tenir compagnie. J'adore cette série. Vous l'aimez sans doute aussi, hein, madame Évelyne ? »

« JOCE ? jOCE, VIENS M'AIDER !
—On n'a jamais la paix ! A plus tard. Ha ! Je vois l'aide soignante qui arrive avec le gruau et vos médicaments. Au revoir Évelyne, demain Rose me remplace.»

Gémissements.
Fous le camps !
Morphine morphine morphine morphine morphine morphine
Morphine morphine morphine morphine morphine morphine
Morphine morphine morphine morphine morphine morphine

« Vous êtes encore là Marie ? Elle n'en a plus pour longtemps maintenant, consolez-vous, quand on passe sous morphine à ces doses... Vous savez...»

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