La Virago du Nord

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Elle vivait seule depuis bien longtemps dans ce palais de glace. Elle en avait presque oublié comment parler. Lorsqu'un groupe de chevaliers débarquèrent dans sa demeure, elle n'eut toutefois pas le temps de faire causette. Les hommes en armure étaient poursuivis par un dragon, qui paraissait d'humeur à assiéger, de ses griffes et de ses flammes, le château.

“Pardonnez cette intrusion, votre excellence.” souffla un chevalier, tout d’argent vêtu, à l’évidence, capitaine de régiment. “Des jours que cette bête nous pourchasse, sans qu’aucun n’abri ne pointe. Apercevant votre forteresse, nous n’avons eu d’autre choix que…”

“Épargnez-moi vos patagons et baragouins !” coupa la reine, impulsive. “Des lustres que j’me gèle les pruneaux dans c’taudis et pas même j’y gagne un bécot ! Z’avez pas croisé une estafette ou un livreur calanché, non ?”

Tant coi qu’encore hors d’haleine, l’expression pivoine, le chevalier n’articula mot. À ses scintillants côtés, ses frères d’armes ne pipèrent. L’hôtesse des lieux avait, il fallait dire, seulement le vernis d’une douce et frigide reine du Nord. Échevelée, nippes éparses, démarche détraquée, patois libéré ; une virago du spiritueux, voilà ce qu’ils avaient sous les yeux.

“Et voilà ! Et voilà ! Me suis encore fait brancouiller ! Ah pour bomber de la blanche qu’y a du monde, mais pour un bête tranquillisant et une pleine boîte de suppos, c’est qu’on m’joue d’la flûte. Des mois qu’j’poireaute, tout ça pour une broque et des mous d’la nouille…

Un grondement guttural secoua les parois de l’édifice, bientôt suivi d’un souffle ardent, perlant les murs glacials de fines gouttes tiédasses.

“Ah la ferme, toi !” brailla la mégère, moulinant des brandillons, avant d’en pointer un sur un infortuné soldat, inutilement gaillard. “Toi ! Ouais, toi, là ! Monte au donjon et va m’embrocher ce gros bazar avec la baliste. Hors de question qu’j’m’y gèle les miches pour trois bouts d’écailles. Et grouille-toi ! S’t’fais ça bien, t’auras le doit de goûter mon giron pour la soirée. Magne !”

“Aux armes !” proclama le capitaine, tirant son épée. “Compagnons, il est de notre devoir de faire diversion ! Sur le pont, to…”

“Il est d’votre d’voir de rien du tout, rabouleurs ! Z’allez rester tranquilles ici, pas à gigoter votre dard sur MON pont qu’z’avez fissuré avec votre foutu bestiau. Enfin, si vot’ pépom là-haut s’bouge les valseuses, ce sera soirée bidoche ! Ça m’changera d’un bol de soupe…”

Ces mots jacassés, un sifflement cisailla l’air. Quelque part, entre nuages et iceberg, le dragon hurla, dégobilla sang et flammes, avant de s’enchrister la gueule en travers d’une stalagmite turgescente.

La… reine, claqua ses guiboles, hilare.

“V’là qu’c’est t’y pas fait ! Au moins qu’j’ai mis Robert sur une karlouche pas trop paf ! Allez ! Au trône tout le monde. C’soir, c’est pinard, pétard et braquemart, c’est moi qu’vous le dis !”

“Hélas, je crains votre excellence, qu’il faille nous…” commença le capitaine, reculant.

“Eh là ! D’quoi tu m’causes, toi ?! C’est qu’tu préférais p’t’être une bigo à un cageot, c’est ça !?”

“Loin de moi cette pensée, votre exc…”

“Et puis arrête avec ce truc. Tartiner d’la gracieuseté, j’t’en ficherai, moi ! Allez ! Raboule tes panards, ton fendard et ta ferraille ! Tous d’ailleurs ! C’est bamboche ! Z’avisez même pas d’vous esbigner, ou qu’j’vous change en sorbet d’chasteté !”

Un instant les chevaliers échangèrent un regard, le suivant, la rombière les guidait dans un large hall de glace. Une tablée, toute de neige et de gel, s’y étendait jusqu’aux pieds glacés d’un trône sémillant. Sur l’assise, les vestiges d’un corps sans-vie, pour l’éternité prisonnier du froid.

Les chevaliers, à sa vue, s’immobilisèrent. Devinant la douille, l’autre déclara :

“C’te greluche avait même pas l’étoffe d’une doche. J’t’ai corrigé tout ça, moi. Une tarte qu’elle était canée. Faute de champs d’navets, qu’j’l’ai congelée. Elle et les autres brancougnards ! En plus de décorer c’te bordel, ça rappelle à tous qui c’est qui commande !”

Balayant la pièce du regard, les soldats n’aperçurent qu’alors les nombreuses dépouilles congelées qui parsemaient la pièce. De domestiques et autres laquais, la forteresse ne comptait plus, seulement une monarque givrée, qu’une présence chaleureuse n’avait jamais pu pénétrer.

Chaleur qui libéra les chevaliers du gluant magnétisme de la reine et leur fit tirer l’épée.

“Sorcière !” cria le capitaine. “Je ne connais tes ambitions, ni ton royaume, mais tu vas payer pour les vies que tes mains maladives ont volé aux innocents ! Compagnons ! Que nos lames purifient cette terre désolée !”

De concert, ils chargèrent. D’un soupir, ils congelèrent. D’une louffe, ils se brisèrent. La vesse dissolue, le silence retombé, elle soupira. Lassée de sa solitude, elle rencarderait presque le grand barbu.

Cependant, voici que descendit seulement, le larron pourfendeur de dragon. Une engelure lui avait, pendant plusieurs minutes, cacheté la fiole sur la baliste rouillée. Devant sa cuirasse, la reine se ravigota le melon, au point d’ailleurs, de devancer le jouvenceau.

“Qu’c’est qu’tu tombes bien, toi ! Tes péraves ont eu l’toupet de calter sans accepter mon hospitalité. T’vas pas faire pareil, non ?”

Tout chose, le jeune chevalier secoua sottement la tête. Les traits dodus de la reine, se fendirent d’un sourire.

Ainsi toute la nuit fut placée sous l’opulence et la déviance. Et qu’on mastiqua des cuisses de dragon, croqua ses ailes, engloutit ses tripes. La reine, moitié-ogresse, avala à grandes louchées la carcasse quasi-entière, là où son infortuné invité, se força à se laisser péter la panse, avant de terminer au paddock. Sans doute pour lui, le nuit fusse longue. La reine s’était pitée le gosier au tord-boyaux, pour, avec hardiesse, faire honneur à ses courbes. Toute la nuit, on roula galoche et rondelles, bisouta pomme comme Eden.

Lorsque l’aube les trouvèrent, le chevalier transit, devint roi. Le plumard fut son trône et des années durant, il régna entre balcon et pageot.

Ce qu’il advint d’eux, en vérité, personne ne le sut vraiment. Ni plumes, ni pinceaux n’en esquissèrent le destin. Une chose est sûre cependant, on ne mit plus jamais les pieds dans les Terres de Lordfeim, à jamais prisonnières de la solitude.

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