Chapitre 5: Aube de Sang

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Les héritiers Lir devaient profiter que l’attention des soldats du roi Dag soit tournée vers le trésor royal pour s’enfuir. Cela rendait Setenta malade de ne pas pouvoir se venger sur le champ mais il devait protéger Heddwyn. Il ne pouvait pas le perdre lui aussi.
Alors que les deux frères sortaient du château, le son glaçant d’une corne de brume retentit.

“Comment nous ont-ils découvert ?!” s’exclama le cadet sans stopper sa course.

“Ils ont dû trouver les corps devant la crypte.” répondit Seth, se maudissant de ne pas les avoir mieux dissimulés.

Ils étaient désormais près des remparts mais deux rangées d’habitation les en séparaient encore. Autour d’eux, des cris retentirent et il sembla au lycanthrope que des flèches sifflaient dans leur direction. Cette impression fut vite confirmée lorsqu’un projectile passa tout près de l’aîné pour se planter dans un mur proche.
Arrivés devant les maisons accolées au mur de la ville, le jeune roi envoya la porte de l’une d’elle au sol.

“Dépêche-toi d’entrer !” ordonna-t-il à son demi-frère

Celui-ci lui jeta un regard inquiet. Il pouvait sentir que son aîné était anxieux dans sa voix. En effet, Setenta avait un très léger accent qu’il avait pris de sa mère et qu’il avait appris à dissimuler au fil du temps. Cependant, s’il était sous le coup de l’inquiétude, de la colère ou de tout autres sentiments puissants, cela réapparaissait comme c’était le cas à l’instant.
Mais Heddwyn n’avait pas le temps de s’attarder sur ça. Il s’engouffra dans l’ouverture que son frère referma tout de suite après son passage.

“Bien, maintenant, nous sommes enfermés ! Dites-moi que vous avez un plan ?!é s’exclama le jeune prince.

“Toujours… ” murmura Seth en observant ce qui l’entourait.

La pièce était plongée dans une semi-obscurité étouffante à cause des lourds rideaux sombres tirés devant les petites fenêtres. La vaisselle brisée et les meubles renversés témoignaient du combat, ou de la fuite, des occupants. Les yeux du lycan prirent leur teinte dorée et s’avança dans la pièce. Heddwyn jeta un regard inquiet derrière les lourdes tentures des ouvertures:

“Nous allons bientôt être encerclés…”

Son aîné lui répondit vaguement, occupé à observer le mur qui se trouvait en face de lui, soit celui dos à la muraille. Il y frappa plusieurs coups, jusqu’à obtenir un son plus clair, creux. Un pâle sourire étira les lèvres du jeune homme, qui entrevoyait enfin l’ombre d’une échappatoire.

“Que cherchez-vous ?” S'enquit Heddwyn en s’approchant de son demi-frère.

“Ceci.” répondit simplement ce dernier en arrachant une étagère d’un mouvement brusque.

Une pluie de plâtre s'ensuivit, révélant derrière une épaisseur de bois moulue.

“Qu’est-ce que… Ne devrait-il pas y avoir la muraille derrière ?” S’étonna le prince

Setenta secoua la tête:

“La muraille possède deux, et uniquement deux, défauts dans sa conception. Père les a tous dissimulés derrière des maisons. Celle-ci est notre porte de sortie.” Expliqua-t-il, “Derrière cette planche, c’est du vide, puis, une épaisseur de pierre.

-Et comment comptez-vous faire pour la pierre ? Ce n’est pas comme si nous avions un bélier à disposition !

-Contente-toi de te mettre à l’abri, je m’occupe du reste.” Répondit le lycanthrope.

Ses ongles se muèrent sans bruit en griffes qu’il fit passer dans l’interstice entre le bois et le mur. Il n’eut pas besoin de forcer beaucoup pour que la vieille planche tombe à ses pieds. Le jeune roi fit signe à son frère de le suivre et il s’engouffra dans l’obscurité.
Celle-ci était froide et gonflée d’humidité, faisant frissonner Heddwyn. Moins de deux minutes plus tard, les deux héritiers se retrouvèrent devant un mur de lourde pierres grises.

“Tu devrais reculer un peu.” Conseilla Seth.

Son cadet lui jeta un regard inquiet mais obéit. Dans un bruit d’os brisés, le corps du jeune roi prit sa forme complète de Dogue. Il atteignait désormais facilement les deux mètres au garrot. Heureusement pour lui, il était plus long que large et ne se retrouva pas coincé.
Le bruit de la transformation avait tiré une légère grimace au prince mais il n’avait pas plus réagi. Il avait l’habitude des transformations de son frère. Lorsqu’il était plus jeune et que Seth passait plus de temps au château, l’aîné des Lir avait l’habitude de prendre sa forme lycanthropique pour amuser son cadet.

Le loup prit quelques pas d’élan avant de donner un lourd coup dans la muraille. Heddwyn sentit la structure vibrer dangereusement. Cette partie était plus fine mais la détruire nécessitait tout de même beaucoup de force. La créature donna un second coup et les pierres s’effondrèrent. Le Dogue se plaça volontairement sous la chute de roches pour laisser son frère passer sans encombres.
Setenta le suivit à l’air libre et reprit sa forme humaine. Le changement de forme accélérait sa guérison et se prendre plusieurs quintaux de pierres sur le dos ne pouvait pas lui faire que du bien. Et surtout, il ne pouvait pas parler sous forme animale.

“Il faut que l’on atteigne le village de Faël.” Avertit le jeune roi en faisant craquer sa nuque, “Nous serions trop lents à pied, je vais reprendre ma forme de Dogue et tu monteras sur mon dos. Oh, et prends ça aussi, je n’ai pas envie de la perdre en chemin.” ajouta-t-il en tendant la couronne à son frère.

Heddwyn acquiesça et prit délicatement le cercle noir. Son frère lui adressa un dernier sourire avant de prendre de nouveau sa forme animale. Il garda cette fois une taille raisonnable pour permettre à son frère de se hisser sur lui sans problème.

Alors qu’ils partaient, une lourde explosion retentit derrière eux. Visiblement, les soldats avaient choisi la solution de facilité pour détruire le passage qu’avaient créé les deux frères. Setenta ne perdit pas de temps à regarder ce qui se tramait sur les murs de la citadelle et s’élança.

Le loup allait vite. Plus que les flèches et carreaux d’arbalète qui s'abattait en pluie tout autour d’eux. Le jeune roi ne s’en préoccupait pas. Sous sa forme de loup, ses capacités cognitives étaient réduites, il ne gardait à l’esprit que son instinct sauvage et ses priorités. En l'occurrence, fuir et atteindre Faël. Ils étaient presque à la lisière de forêt. Lorsqu’ils seraient sous le couvert des arbres, tout irait bien. Ils pourraient rejoindre le village et de là construire un plan de réplique et de vengeance.

Alors qu’il atteignait les sous-bois, le Dogue entendit plusieurs traits siffler près de lui. Leurs ennemis étaient proches. Il ne pouvait pas se retourner pour se battre en portant Heddwyn. Il ne pouvait que courir. Avec un peu de chance, ils étaient encore trop loin pour que leurs flèches soient vraiment dangereuses.

Mais ce n’était pas le cas. La chance semblait avoir quittée les côtés de la famille Lir dès l’intronisation de son second héritier.

Avant même que l’une des flèches atteigne le loup, il entendit un bruit de choc suivi d’un gémissement de douleur. Un poids tomba de son dos. Heddwyn. La panique de l’humain prit le pas sur l’instinct de la bête. Setenta reprit immédiatement forme humaine. Il ignora l’approche des cavaliers du Connaught: un trait avait touché son cadet dans le dos.

“Heddwyn !”

Le prince essaya de se relever avec l’aide de son frère. Mais ce fut vain. La flèche était enfoncée dans son dos. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était agripper la main de Seth en essayant de parler. Il avait mal. Tellement mal. Comment est-ce que ça avait pu si mal finir ? Heddwyn sentait que sa vie le quittait. Il n’entendait plus ce que Setenta lui disait maintenant. La force de ses doigts s’effaça peu à peu, le laissant inerte dans les bras de son frère. Il venait d’avoir quinze ans.

Seth ne réagit pas. Il ne pleurait pas. Son esprit était vide. Il n’arrivait pas à réaliser. Son esprit refusait d’admettre. Admettre le fait qu’il n’avait plus rien. Que sa dernière ancre, sa dernière raison de se battre venait de s’éteindre dans ses bras. Le roi ne bougeait plus. Il semblait être aussi figé qu’une statue de pierre. Qu’est-ce que cela pouvait changer s’il disparaissait avec les siens après tout?

Lorsque les mercenaires du roi Dag arrivèrent près de leurs cibles, ils riaient. Ils pensaient avoir mortellement touché les deux derniers membres de la famille Lir. C’était vrai dans un sens. Setenta Lir était mort en même temps que son frère. Ils ne furent donc pas étonnés de le trouver, leur tournant le dos et à genoux, prostré devant le corps de son cadet.

“Je sens qu’on va avoir le droit à une très belle prime les gars !” Lança le chef de la troupe, un homme aux yeux cruels caché derrière une imposante armure, “Allez me le chercher, j’veux le voir mourir de face.”

Deux subalternes sautèrent immédiatement à terre. Ils empoignèrent chacun l’une des épaules du jeune homme pour le forcer à se tourner. Un hurlement à peine humain retentit.

Un instant. C’est tout ce qu’il fallut pour que les deux hommes se fassent arracher un bras. Le dernier membre de la famille royal ouvrit des yeux dorés.
Setenta Lir était peut-être mort. Mais ce n’était pas le cas du Dogue d’Eire.

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