Chapitre 1 - Les Poupées Écorchées - Partie 1
La pluie abat le port. Projecteurs sur trépieds. Rubans jaunes qui battent au vent. Quatre drones stationnaires bourdonnent, optiques rouges comme des mouches.
Le capitaine Holtz s’avance, manteau trempé, tablette en main.
— Waren, tu prends la direction. Tout le monde t’écoute.
Kassandra passe le ruban. Elle soulève la bâche translucide : une prostituée cyber gît au pied d’un container, gorge ouverte d’un trait net. Deux implants sous-cutanés le long du larynx clignotent par hoquets électriques.
La techno-scène, Maya Ortiz, shoote au ras du sol.
— Coupe régulière. Lame fine. Zéro hésitation.
— Un geste appris, répond Kassandra. On n’est pas sur un coup de rage.
Le légiste, Dr Saito, relève sans lever la voix :
— Mort entre 22h30 et 23h. Aucune trace de lutte. Odeur d’alcool médical marquée. Il l’a approchée proprement.
Kassandra se redresse.
— Holtz, j’ai besoin des flux caméras privées des travées 3 à 7, tout de suite. On saisit aussi les drones dockers. Rami coordonne.
Rami, tech drones, lève la main depuis son pupitre mobile.
— Déjà en train d’aspirer. Deux boutiques et une cantine coopèrent, une quinca râle.
— Sors un mandat expéditif, dit Holtz. On ne discute pas sous la pluie.
Kassandra pose un genou près du cou ouvert. Sa voix reste plate :
— Maya, prélèvements : bords de plaie, résidus, micro-fibres. Tu me scannes aussi les semelles aux alentours.
— Reçu.
La scène grouille. Un officier de ronde prend les identités des dockers. Un gradé log pose des scellés. La radio crache des codes.
Sous un poncho violet, une fille attend. Naya, vingt ans à peine. Tremblement des mains. Kassandra s’accroupit, met son visage à hauteur.
— Je m’appelle Kassandra. Dis-moi exactement ce que tu as vu, rien de plus.
La voix est calme, basse, sans menace.
— Il avait… un masque miroir. Comme une vitre teintée. Impossible de voir son visage. Et… ça sentait l’hôpital. L’alcool fort. Très fort.
— Tu as vu une arme ?
— Non. Il la tenait par le coude. Et un sac rigide dans la main gauche. Un vieux sac de médecin, en cuir.
— Sa démarche ?
— Pas pressé. Comme s’il savait qu’on ne viendrait pas.
Kassandra hoche.
— Merci, Naya. Tu restes sous la tente. Un agent t’accompagne pour une déposition au chaud.
Elle jette un regard à Holtz : Détail unique obtenu.
Holtz souffle, satisfait :
— Masque, odeur, main, sac. On a de quoi filtrer.
Kassandra suit la pente du sang jusqu’à une grille. Rien de spectaculaire, tout est propre. Elle trace du doigt une trajectoire lente dans l’air.
— Il marche, dit-elle à voix haute. Pas de pas affolés, pas de glissades. Sol antidérapant sous les semelles. Probables baskets médicales.
Ortiz relève les yeux de son focale macro :
— Je vérifie les micro-grains de gomme.
Dr Saito :
— L’odeur d’alcool est franche, pas camouflée. Il a opéré après la mort, pas avant.
— Ou il a voulu qu’on sente, répond Kassandra.
Silence autour. La pluie tape plus fort.
Chen, opératrice vidéo, arrive au pas, tablette levée.
— Travée 6, cantine “Old Tide”. Une caméra externe donne 2 secondes d’une silhouette. Faible, mais exploitable.
— Montre.
Sur l’écran : pluie en rideau, puis silhouette en manteau long. Masque miroir qui renvoie un néon bleu. Sac rigide en main gauche. Le tout sans courir.
— Fige l’image, dis Kassandra. Rami, on pousse l’algorithme de nettoyage, mais pas d’artefact.
— Reçu.
Kassandra rassemble le noyau autour de la table pliante sous tente.
— Holtz, on lance tout de suite :
Saisie des achats matériel chirurgical d’occasion sur les marchés gris du port sur 6 mois (scalpels réaffûtés, lames X, sacs rigides, gants nitrile noirs, désinfectants concentrés).
Filtrage des points de vente qui livrent de nuit.
Croisement avec les docks employant du personnel médical (cliniques privées, labos pharma).
Repérage des douches avec odeur d’alcool signalée par plaintes de riverains (Chen compile).
— Et les médias ? glisse Holtz.
— Zéro communication avant corrélation d’au moins deux scènes. Je ne veux pas d’un surnom débile qui lui fasse de la pub.
Ortiz sourit de biais.
— C’est noté.
Le drone Delta-2 bippe : un type en capuche traîne à travée 7, caméra thermique sur l’épaule, sans franchir le ruban. Holtz jette un regard à Kassandra.
— On va le voir calme.
Ils s’approchent à deux, plus un uniforme en retrait.
— Bonsoir. Contrôle d’identité.
Le type tend carte et matériel. Filou qui vend des images aux réseaux locaux.
— Tu as filmé la scène de loin ?
— Oui. De là-bas. Jamais passé le ruban.
— On saisit temporairement ta carte et on copie les données. Tu signes, tu la récupères demain.
— Sérieux ?
— Sérieux.
But : récupérer d’éventuels son ambiant (clics, voix, moteur). Pas de “coupable idiot”, pas de poursuite gratuite. Il signe.
Chen clone la carte, hoche la tête.
Sous la tente légale, Saito dicte pendant qu’Ortiz photographie.
— Plaie principale : incision latérale sous l’angle mandibulaire, trajectoire oblique, rejoint le sternum. Bords nets, absence d’effilochage. Lame chirurgicale probable.
— Traces d’antiseptique sur bas de cou et haut thorax, confirme Ortiz.
— Deux micro-coupures au pouce droit de la victime, ajoute Saito. Défense faible.
— Donc approche de face ou de côté, conclut Kassandra. Confiance initiale ou sidération.
Elle se tourne vers Holtz.
— On va devoir revoir les vidéos en amont : entrées de travées, 20 minutes avant l’heure estimée. Il a dû l’emmener calmement.
Holtz :
— Je te mets une cellule vidéo dédiée. Chen, tu pilotes.
Kassandra écrase sa cigarette sous sa botte, regarde la ville avaler le port.
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