Bene Gesserit

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Les doigts de Bethel s'entrelacèrent et se posèrent contre sa robe noire, tandis que ses yeux sombres observaient l'espace, à travers le hublot. Là, tout au fond, se tenait la planète des sables, mère du Mélange, Arrakis. Là était leur destination. Bethel poussa un profond soupir, inquiète. La Missionaria Protectiva les avaient désignées, elles et ses soeurs, à répandre des légendes et superstitions inventées de toutes pièces par le Bene Gesserit. La jeune femme, bien qu'encouragée par son entrainement bene gesserit, ressentait un semblant de culpabilité. Tromper des civilations entières dans le but de les contrôler dans le futur si nécéssaire, là était l'objectif de la Sororité. Bethel détourna son regard du point jaune que formait Arrakis, au milieu du vide noir de l'espace. Ce que nous faisons est juste, pour la prospérité du Bene Gesserit, songea-t-elle.

Ses sens surdéveloppés détectèrent soudain une présence, sur le pas de la porte. Elle avait reconnu le pas diligent de la Révérende Mère Madlen Llian, et se retourna donc calmement, en baissant la tête avec respect.

— Votre Révérence, souffla-t-elle.

— Trève de politesses excessives, ma fille, ordonna-t-elle, en ponctuant sa phrase d'un claquement de langue sonore. Si je m'adresse à toi, c'est car je ressens tes doutes, et cela ne me plaît guère. Lorsque nous serons sur Arrakis, nous ne devrons faillir sous aucun prétexte, sans quoi la Missionaria échouera.

— Votre Révérence, l'on m'a rapporté que les conditions terribles d'Arrakis avaient fait de ses autochtones de véritables sauvages.

— Je ne peux qu'en partie démentir cette rumeur, gronda la Révérende Mère. Les Fremen, c'est ainsi qu'est nommé ce peuple, habitent la planète des sables depuis des temps presque immémoriaux. Tu les reconnaîtras grâce à leurs yeux entièrement bleus, et à leurs habits étranges, recyclant l'eau de leur corps, les distilles. L'eau est plus chère que l'or, sur Arrakis. Mais cela n'explique pas tes craintes, ma fille. Parle donc.

— Vous avez dit que faillir devant les Fremen sonnerait l'échec de la Missionaria, dit Bethel en articulant chacun de ses mots. Je...

— Craindrais-tu de ne pas être prête ? siffla l'autre. Remettrais-tu en question les années d'apprentissage que t'ont confié les soeurs Bene Gesserit ? Aurais-tu peur de ne pas savoir user de la Voix, si cela est nécéssaire.

La respiration de Bethel se coupa. Bien entendu, elle redoutait de devoir utiliser la Voix du commandement, l'outil par excellence que chaque soeur se devait de maîtriser. Mais le fait que la Révérende Mère Madlen Llian l'ait aussi simplement deviné l'inquiétait bien plus encore. L'a-t-elle deviné en lisant dans le blanc de mes yeux, comme pourraient le faire les Diseuses de vérité ? Elle avala péniblement sa salive et osa regarder le visage olivâtre de sa supérieure.

— Je veux que tu me montres ta Voix, ma fille, grogna la Révérende Mère, ses pupilles noires transperçant l'âme de Bethel de leur pointe aiguisée.

— Votre Révérence, je n'oserais user de ce don sur vous ! hoqueta-t-elle, sans pour autant défaillir.

— C'est un ordre.

Le ton de sa supérieure avait changé. Certaines harmoniques de sa voix s'étaient modifiées d'elles-mêmes, adoptant celles utilisées pour contrôler et plier les esprits des gens. Bethel frissonna de tout son long et acquiesça poliment. Elle s'éclairçit la gorge et visualisa Arrakis et ses Fremen aux yeux bleus pour se donner du courage. Avoir peur n'est pas digne d'une Bene Gesserit. La peur tue l'esprit.

— Demande-moi de quitter cette pièce, ordonna la Révérende Mère, dont le ton puissant poussait Bethel à obéir.

— Quittez cette pièce, gronda la jeune femme, sourcils froncés et voix grésillante.

— Si j'étais une simple Fremen qui t'empêchait de mener à bien la Missionaria, m'accorderais-tu autant de respect ? demanda-t-elle. Fais moi quitter cette pièce, Bene Gesserit.

— Quitte... cette pièce ! s'exclama Bethel, presque intimidée de tutoyer ainsi la Révérende Mère Madlen Llian.

Pourtant, la femme était toujours face à elle, le teint sombre et le regard perçant.

— Je suis puissante, ma fille, mais même un simple natif d'Arrakis ne serait pas convaincu.

— Sors de cette pièce ! Sors de cette pièce !

Mais la Révérende Mère ne bougeait pas d'un cheveu. Bethel aperçut la déception et la colère luire dans les yeux noirs de sa supérieure, et sentit une certaine forme de rage s'éveiller en elle. Je suis digne de répandre la prophétie des Bene Gesserit ! Je suis digne d'user de la Voix ! Elle inspira profondément, expira jusqu'à en avoir les poumons vides.

— Pose ta voix, pose-la jusqu'à ce que les harmoniques s'accordent et pénètrent l'esprit, le corps et l'âme de ton adversaire, sussura la Révérende Mère. Arrakis est sans pitié avec les faibles.

Sors de cette pièce ! dit Bethel, et, sous ses yeux noirs de colère, Madlen Llian se détourna d'une démarche mécanique, et quitta la salle, en prenant bien le soin de refermer la porte derrière elle.

Bethel fut alors seule, et elle entendit les pas de sa supérieure s'éloigner. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres blanches et gercées. Son souffle était court, mais elle avait réussi à faire plier sa Révérende Mère. Elle avait usé de la Voix.

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