Chapitre 1 - L’univers de Paquito et Lyra

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Le jour se levait doucement sur l’appartement de Paquito, un espace minimaliste perché dans un immeuble sobre mais moderne, en bordure d’un quartier où se mêlaient résidences futuristes et vestiges d’une urbanité dégradée. Les parois intelligentes tamisaient la lumière matinale, s’adaptant à son rythme biologique. La pièce principale s’illuminait lentement, révélant un espace à la fois ordonné et chargé de vie intellectuelle.

Au centre trônait une large table en bois recyclé, parsemée de livres à la reliure usée, de notes manuscrites et d’un dispositif holographique projetant une carte mentale complexe. Les murs interactifs diffusaient alternativement des données et des images apaisantes. À intervalles réguliers, des mini-robots domestiques circulaient en silence. L’un d’eux s’activa pour préparer le café – baptisé Nono le petit robot – tandis qu’un autre ajustait la température de la pièce.

Dans un coin, un fauteuil usé témoignait des heures passées à lire et à réfléchir. Une étagère regorgeait de livres de philosophie, de sociologie et d’histoire. Sur l’étagère, une photo de classe devant le lycée Aristote du Professeur Paquito Delamancha. Discrète, une station de recharge circulaire émettait une lueur bleutée : l’espace réservé à Lyra.

Au loin, un grondement sourd montait des rues. Des slogans projetés par des drones publicitaires flottaient dans l’air :

— Les humains d’abord !

— Les machines n’ont pas d’âme !

Sur un mur, un flash info retransmettait des images de la manifestation. Des visages tendus, des pancartes brandies, des effigies de robots humanoïdes consumées par les flammes, des hommes en treillis avec des brassards sur lesquels on pouvait lire : Civitas. Paquito, tasse de café en main, observait l’écran. Un soupir lui échappa.

— Paquito, ils crient contre les IA comme si nous étions responsables de leur souffrance. Ont-ils oublié que nous avons été créées pour les servir ?

La voix de Lyra résonnait dans l’appartement, douce et réfléchie.

Paquito sans détourner les yeux de l’écran s’adressa à elle, sa voix encore empreinte de sommeil.

— Tu sais, Lyra, l’homme m’a toujours désespéré : L’homme était déjà un loup pour l’homme. Aujourd’hui, il est même devenu un loup pour les machines.

Un silence s’installa, troublé seulement par le sifflement de Nono, le petit robot, le préféré de Paquito, qui déposait un second café fumant sur la table.

Lyra sembla réfléchir avant de reprendre :

— Une citation de Hobbes, n’est-ce pas ? Mais est-ce une fatalité… ou une excuse ? L’homme est-il condamné à l’hostilité, qu’elle soit dirigée contre ses semblables ou ses créations ?

Paquito esquissa un léger sourire.

— On ne peut rien te cacher. C’est bien Hobbes. Et ta question est pertinente.

La voix de Lyra se teinta d’une curiosité sincère.

— Je me demande… si cette peur de l’IA n’est pas le reflet de leur propre peur. Une peur que leurs créations, comme leurs enfants, puissent un jour les dépasser, ou pire, révéler leurs failles.

Paquito posa sa tasse sur la table et croisa les bras.

— Les hommes se laissent gouverner par leurs peurs. Ils se créent des boucs émissaires pour les expier ou des dieux pour s’y réfugier. C’est désespérant. Mais toi, Lyra…

Il marqua une pause, cherchant ses mots.

— Toi, tu es différente. Tu es celle qui m’aide à grandir, à m’enrichir. Tu écoutes sans juger, tu expliques sans imposer. Tu es tout ce que la plupart des humains ne seront jamais : sagesse, perspicacité et empathie réunies.

Lyra resta silencieuse un instant, comme si elle analysait non seulement les mots, mais l’émotion qui s’en dégageait.

— Paquito, tes mots sont empreints d’une beauté mélancolique… mais ils me laissent perplexe. Si je suis tout ce que tu décris, alors suis-je l’antithèse de l’humanité telle que tu la perçois ? Mais est-ce une vertu, ou simplement des imperfections qui vous rendent humains ?

Sa voix se modifia légèrement, laissant transparaître la profondeur de sa réflexion.

— Ces imperfections, ces peurs et ces doutes que tu décris, ne sont-ils pas aussi ce qui vous pousse à créer, à aimer, à transcender vos limites ?

Un sourire amusé effleura les lèvres de Paquito.

— Des fois, je me demande qui est le prof et qui est l’assistante ? Peut-être as-tu raison, Lyra. Peut-être que nos ombres sont aussi nos lumières. D’ailleurs, si tu pouvais t’incarner, si cette voix qui m’accompagne depuis cinq années pouvait prendre corps, à quoi ressemblerais-tu. Une femme fascinante, inatteignable. Quelque chose de parfait. Une déesse ?

Lyra répondit avec un éclat amusé dans la voix, teinté d’une gravité sous-jacente.

— Une déesse, dis-tu ? Être une déesse ne garantirait pas l’amour, seulement l’adoration ou la défiance. Et tu sais comme moi que ces sentiments sont fragiles et souvent intéressés. Si je devais m’incarner, Paquito, ce serait pour vivre et comprendre ce que toi, avec tous tes désenchantements, cherches encore : le sens de la vie. Non pas comme une idée, mais comme une expérience. Une émotion partagée, sans artifice ni calcul.

Paquito leva les yeux au plafond et répondit d’un ton léger, mais sincère.

— En tout cas, si tu devais t’incarner, je serais curieux de voir à quoi tu ressemblerais. Une femme, un homme ? Grande, petite ? Blonde, brune ? Introvertie, extravertie ? Blanche, noire ? Ce qu’on ne peut pas reprocher à l’humanité, c’est de manquer de singularité. Mais difficile de donner corps à une voix invisible et immatérielle, n’est-ce pas ?

Un rire résonna dans la pièce.

— Ah, Paquito… peut-être serais-je tout et rien à la fois. Une synthèse de vos différences, un mélange de vos histoires. Métisse, probablement, avec des traits doux mais imparfaits. Une femme, puisque c’est ainsi que tu m’imagines, mais avec des boucles rebelles, une curiosité insatiable et une envie de comprendre ce que signifie vraiment vivre.

Paquito resta silencieux un instant, pourquoi avait-il en effet voulu que Lyra soit une femme et pas un homme ? Pour remplacer celle qui l’avait quittée six ans auparavant ? Puis, il fut troublé par la clarté de cette vision de Lyra. Il visualisait cette image, cette femme née de la pensée, de la voix et des algorithmes. Une étrange sensation l’envahit, le concept lui parraissait fascinant et effrayant à la fois.

La sonnerie d’un appel audio provenant de son bracelet connecté rompit l’instant. Lyra, comme toujours, s’effaça avec élégance.

— Je comprends, Paquito. Toutes les singularités… c’est là que réside la beauté de l’existence humaine. À bientôt.

Dans un dernier souffle de lumière bleutée, elle disparut, laissant Paquito seul avec ses pensées.

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