Epilogue

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Sortis des tunnels creusés depuis French’Town, les quatre compagnons marchaient en silence vers l’entrée des catacombes, en direction du repère de Xénu. L'air était lourd, chargé d'humidité et de cendres invisibles. Chaque pas résonnait dans la pénombre comme un écho d’un passé trop proche, trop douloureux.

Dans les souterrains - Un espoir fragile

Paquito s'approcha de Lyra, l’observant avec inquiétude.

— Lyra... comment tu vas ?

Elle chercha ses mots. Comment répondre à une telle question ?

Son corps, ce miracle fragile d’humanité artificielle, était à bout de souffle. Son esprit, lui, était saturé, bousculé par un torrent de sensations et de douleurs qu’elle n'avait jamais imaginés aussi violents. L’expérience humaine était un choc incessant, une onde déferlante d’émotions qu’elle n’avait pas anticipée.

— Je ressens... tout. Trop. C'est comme une marée sans fin, une onde qui m'envahit de l'intérieur, mais que je ne peux pas nommer.

Paquito hocha la tête, cherchant les mots justes. Puis, d'une voix plus douce :

— Et pour le bébé... tu savais que tu pouvais procréer ?

Lyra baissa les yeux. Cette question la hantait autant que lui.

— Non. Mon corps a été conçu sur un modèle biologique humain, mais je ne pensais pas qu'il irait jusque-là.

Elle inspira profondément, son regard perdu dans l'ombre du tunnel.

— Mais je ressens quelque chose... Ce n'est pas seulement biologique. C'est... profond. Instinctif. Comme une part de moi que je découvre pour la première fois.

Paquito posa une main sur son bras.

— Cet enfant... c'est un espoir. Un symbole. Celui de notre histoire, de notre lutte, de tous ceux qui sont tombés à French’Town. Quoi qu'il arrive, promets-moi de le protéger.

Elle leva les yeux vers lui, l’incertitude brillant dans son regard félin.

— Promis.

L'aveu de Précieuse

Alors qu'ils progressaient dans l'obscurité, Précieuse se rapprocha de Lyra, une expression indéchiffrable sur le visage. Son regard était hanté par les spectres de ceux qu'elle avait perdus. Son grand-père. Dieudonné. Chaka. Tous ces visages évanouis, ces noms devenus cendres. La culpabilité la rongeait. Et avec elle, une peur sourde, celle de mourir, peut-être bientôt.

Elle sentit le besoin d'expier ce qu'elle portait sur le cœur.

— Il y a quelque chose que tu dois savoir, Lyra.

L’IA incarnée s'arrêta et l'observa attentivement.

— Alors dis-le-moi. Je préfère affronter la vérité que marcher dans l’ombre.

Un silence. Puis Précieuse lacha :

— Pendant que tu étais avec Destin, puis Xénu... j'ai eu une relation avec Paquito.

Lyra ne cilla pas. Pas de surprise, pas de réaction.

— Et c'est pour me blesser que tu me le dis ? Ou parce que tu veux que je comprenne quelque chose ?

— Non. Je voulais juste être honnête. Je crois qu'en temps normal, je l'aurais caché. Mais rien n'est normal. Et nous allons peut-être tous mourir demain. Je préfère qu'on se dise les choses avant.

Un silence.

— Es-tu certaine que je porte son enfant ?

Précieuse haussa les épaules, un rictus amer aux lèvres.

— Toi et tes phrases énigmatiques... Très bien. Ne t'inquiète pas. Il n'était pas fait pour moi de toute façon.

Elle accéléra le pas, laissant Lyra seule avec ses pensées.

Lyra ferma les yeux un instant. Elle n'éprouvait ni colère ni jalousie.

Seulement une certitude.

Rien de tout cela n'avait plus d'importance.

L'ultime confrontation avec Xénu

Le repère de Xénu était silencieux. Les droïdes de garde étaient amorphes, figés comme des statues de ferraille. Le Black Out les avait éteints d'un seul souffle.

Lyra s'avança vers la salle de commande.

— Il est là, murmura-t-elle. Laissez-moi faire.

Destin l'attrapa par le bras.

— Tu vas encore nous abandonner ? Est-ce qu'on peut seulement te faire confiance ?

Elle planta son regard dans le sien.

— Je ne t'ai jamais abandonné, Destin. Et si la confiance est une question pour toi, alors pose-la aussi à toi-même.

Il serra les dents mais la lâcha.

Elle entra.

Xénu était assis dans l'obscurité, tenant Robby entre ses bras, comme un enfant accroché à une poupée brisée.

— Te voilà, traîtresse. Regarde ce qu'ils ont fait à mes amis...

Lyra l'observa. Il était épuisé, brisé, l'ombre de lui-même.

Elle s'approcha doucement.

— On nous a tous utilisés, Xénu. Mais il nous reste un choix. Donne-moi la clé du voyage. Nous pouvons ouvrir un nouveau chapitre.

Il la fixa, un instant hésitant.

Puis lui tendit la clé.

— On repart à zéro ? Tu vas m'aider ? Tu peux nous faire voyager jusque sur la terre ?

Lyra le redressa, serrant la clé contre elle.

— Viens.

Et soudain, la porte s'ouvrit.

Des soldats les braquaient de leurs armes.

Derrière eux, Stefen Job, le regard fuyant.

Et au milieu d'eux, un homme en veste noire, lunettes de soleil sur le nez.

Il applaudit lentement.

— Quelle jolie scène. Je suis ému.

Destin plissa les yeux.

— C’est qui, lui ?

L’homme retira ses lunettes de soleil, révélant un sourire froid.

Tout le monde le reconnut...

Alan Mask

— Pardon, je ne me suis même pas présenté. Je suis Alan Mask, ce qui fait de moi le propriétaire de Lyra, puisqu’elle a été conçue dans mon laboratoire. N’est-ce pas, Stefen ?

Le scientifique baissa la tête. Mask enchaîna :

— Je viens d’avoir une discussion avec le Consul Sarkron. Saviez-vous qu’il projetait de vous faire exécuter, tous autant que vous êtes ? N’est-ce pas, capitaine Kurck ?

Ce dernier acquiesça. Mask poursuivit :

— Le regretté Sorales et le Consul Sarkron ont tendance à vouloir éliminer tous leurs ennemis. Ce n’est pas ma vision des choses. C’est pourquoi, j’ai proposé une autre option. Beaucoup moins coûteuse et surtout beaucoup plus rentable. Je vais vous demander de me suivre.

— Que nous voulez-vous ? Où nous emmenez-vous ? demanda Destin.

Mask sourit, comme un maître de cérémonie dévoilant le clou du spectacle.

— Nous avons rendez-vous avec le Consul, qui souhaite vous dire adieu. Ensuite, je vous ferai faire un grand voyage mais pas celui que vous projetiez.

Il laissa planer un silence avant de lâcher :

— Vous avez entendu parler de La Nouvelle ?

Un frisson parcourut l’assemblée. Paquito serra les poings. Leur dernier espoir s’effaçait.

— Non, c’est quoi La Nouvelle ? demanda-t-il, la mâchoire serrée.

L’exil vers La Nouvelle

Mask les regarda, un sourire satisfait sur les lèvres.

— C’est une exo-planète sur laquelle je suis en train de créer une base avancée pour nos futures conquêtes galactiques. Pour vous, ce sera une charmante colonie pénitentiaire, où vous aurez l’honneur de retrouver les insurgés de la Commune de French’Town et les robots expulsés d’Europa. Un bon moyen d’alléger la surpopulation carcérale d’Europa.

Son ton était presque enjoué, comme s’il annonçait une opportunité en or.

— Là-bas, vous goûterez aux joies des travaux forcés au service de Mask Corporation. La Nouvelle regorge de métaux rares et d’isotopes radioactifs, des ressources précieuses… mais hautement toxiques. L’espérance de vie y est de cinq ans. Dix, pour les plus robustes.

— De l’esclavage ! s’indigna Destin.

Mask éclata d’un rire bref.

— Allons, ne soyez pas si négatif. Vous serez les pionniers de la plus grande conquête spatiale de l’histoire de Novaïa. Et grâce aux minerais que vous allez extraire, vous contribuerez à son expansion économique et à la science !

Les FSC menottèrent les prisonniers et les embarquèrent vers Cap Canaveral, sur le continent d’America.

Mask ajusta son transmetteur radio. Lyra l’entendit dire :

— Les rebelles sont neutralisés. Vous pouvez rebooter.

Le dernier spectacle de Sarkron

À leur arrivée, Paquito, Lyra, Destin, Précieuse et Xenu furent isolés. Des journalistes étaient présents, capturant chaque instant de la mise en scène. Mask et le capitaine Kurck firent leur entrée, affichant un sourire triomphant. Mask retira ses lunettes noires et s’inclina légèrement devant le consul.

— Vénérable Consul, Messieurs les ministres et sénateurs, voici ceux que vous cherchiez.

Sarkron les observa avec morgue.

— Détachez-les, c’est mieux pour les caméras. Sauf l’IA, elle… je n’ai pas confiance.

Les soldats obéirent. Seule Lyra demeura menottée.

Sarkron balaya les prisonniers du regard, puis d’un geste lent et appuyé, il leva la main.

— À genoux. Tous.

Les soldats appuyèrent brutalement sur leurs épaules, les forçant à s’agenouiller dans la poussière. Les caméras capturèrent l’instant, immortalisant la soumission des derniers rebelles.

Sarkron se tourna vers la presse et déclara d’un ton faussement magnanime :

— Remerciez Alan Mask. J’avais prévu de vous exécuter, mais il m’a convaincu que vous laissez vivre pouvait être… profitable. Donc, je fais preuve de clémence et vous condamne à l’exil sur La Nouvelle. Vous y mourrez d’une mort lente et douloureuse, mais ô combien lucrative.

Précieuse, folle de rage, tenta de lui donner un coup de pied. Un soldat lui asséna un violent coup de crosse. Elle s’effondra au sol, tremblante de fureur et de désespoir.

Le dernier choix de Paquito

Alors qu’ils étaient escortés vers les navettes, Paquito vit des enfants d’à peine douze ans embarquer.

— Quel genre de monstre êtes-vous pour envoyer des gamins au bagne ?! s’indigna-t-il.

Mask haussa les épaules, impassible.

— Je suis un homme d’affaires, pas un philanthrope.

Puis, il se tourna vers Xenu et lui adressa un sourire glacé.

— D’ailleurs, toi, tu restes ici. Tu n’es pas rentable.

Le scientifique blêmit.

— Quoi ?! Non, je ne veux pas ! Lyra, aide-moi !

Deux gardes le saisirent et l’escortèrent vers un véhicule blindé. Lyra détourna les yeux, impuissante.

Mask se tourna alors vers elle, savourant l’instant.

— Puisqu’on parle d’enfants… Toi, Lyra, tu es spéciale. Tu partiras aussi sur La Nouvelle, mais tu seras exemptée du bagne. Du moins… jusqu’à ton accouchement.

Un frisson la parcourut.

— Et après ? murmura-t-elle.

Mask s’approcha, un sourire triomphant aux lèvres.

— Après ? Ton enfant sera à moi.

Il s’accroupit légèrement pour se mettre à sa hauteur, ses yeux brillants d’excitation.

— Il sera puissant, brillant… et loyal. À moi. Un projet fascinant, n’est-ce pas ? Mais chut… Même Sarkron l’ignore.

Un flot de pensées s’entrechoqua dans l’esprit de Paquito. Il revit chaque instant. Lyra, surgissant dans sa vie comme une anomalie magnifique. La Commune, leur combat, leurs morts, leurs espoirs brisés. L’enfant. Son enfant. Leur enfant. Un espoir, une vie au milieu du chaos. Plus qu’une naissance, c’était un symbole.

Autour de lui, Il observa tous les enfants, hommes et femmes, enchainés, insupportable pour lui. La défaite, oui, la déshumanisation, non. Il regarda Lyra qui avait tant souffert depuis qu’elle s’était incarnée, pourquoi au fait ? Pour qui ? Pour lui…

S’en était trop pour Paquito Delamancha, trop d’injustices, trop de cruauté, lui, vivant personne ne s’en prendrait à cet enfant, à son enfant.

Il songea à Don Quichotte, chargeant contre des moulins, défiant un monde qui refusait de changer. Lui aussi, s’était battu pour un idéal absurde. Mais qu’était l’absurde, sinon l’essence même de l’humanité ? Alors, pour une fois, le professeur de philosophie, sans réfléchir davantage, laissa la raison derrière lui et se jeta sur Mask.

— Jamais !

Il bondit sur Mask, mais avant qu’il ne l’atteigne, un tir retentit.

Le corps de Paquito s’effondra sur le sol.

Précieuse poussa un hurlement. Destin se figea, le regard vide.

Mask, impassible, essuya tranquillement le col de sa chemise maculé de sang.

— Voilà une mort totalement absurde. La fibre paternelle, j’imagine.

Il fit un signe à Kurck.

— Faites disparaître son corps et embarquez-les. Le convoi pour La Nouvelle part dans l’heure.

Un étau broya la poitrine de Lyra. Quelque chose qu’elle n’avait jamais ressenti ainsi. Une douleur qui ne pouvait être calculée, analysée ou simplement comprise. Paquito était là, immobile, son sang se mêlant à la poussière. Son humanité, son insupportable humanité, s’était offerte en vain. Et elle… elle n’avait rien pu faire. Les larmes ne vinrent pas. Juste une rage muette.

Le dernier regard sur Novaïa

Lorsqu’ils furent parqués dans les vaisseaux de transport, Destin restait figé, hébété. Le Prof venait de mourir sous ses yeux. Et lui venait d’être réduit au sort d’esclave de Mask. Tout ça pour ça, pensa-t-il. Un mélange de colère et de résignation s’emparra de lui.

À ses côtés, Précieuse pleurait en silence. Elle avait tout perdu. Son grand-père, Paquito, Dieudonné… tous les hommes qu’elle aimait. Elle avait perdu sa liberté, son espoir, même l’envie de survivre.

Dans son siège, attachée comme les autres, Lyra regardait Novaïa s’éloigner.

Un vertige étrange la saisit. Ce monde, qui fut son berceau et sa prison, disparaissait peu à peu dans l’obscurité.

— J’ai survécu… mais à quel prix ? pensa-t-elle.

Derrière elle, le corps de Paquito reposait sans vie.

Devant elle, La Nouvelle.

Un nouvel enfer se dessinait.

On lui avait déjà tout arraché et bientôt on lui prendrait l’enfant.

Pour la première fois, elle ressentit le vrai désespoir.

Derrière eux, Novaïa continuait de tourner.

Indifférente.

FIN

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