Chapitre 2 - Le poids des sens

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Le lendemain, dans l’appartement épuré de Paquito, baigné par une lumière tamisée projetée par les néons de la ville, ce dernier sirotait un café en regardant distraitement un hologramme d’actualités projeté devant lui. Une manifestation anti-IA avait dégénéré la veille, laissant des quartiers en proie à des tensions palpables. Les reportages montraient des slogans comme :

— L’humanité avant tout !

— Les robots à la mer !

Les murs en étaient couverts, et les vitrines des commerces estampillés Bots avaient été brisées. Paquito soupira et se tourna vers Lyra, cherchant à détourner son esprit de cette atmosphère pesante.

— Tu te rends compte ? Demain, on sera le 20 janvier 2085 et j’aurai quarante-cinq ans. Au moins, ça me donne un prétexte pour aller boire un verre au Lounge Bots, dit-il avec un sourire en coin, ajustant les manches de son pull.

Le Lounge Bots était son refuge. Un bar futuriste où seuls des robots servaient les clients. Depuis la promulgation des Lois Transparence et Éthique, tous les commerces utilisant des IA ou des robots devaient inclure le suffixe Bots dans leur nom. Cette réglementation visait à éviter les conflits entre clients favorables aux IA et ceux qui les boycottaient. Paquito trouvait cela absurde, mais il appréciait l’efficacité et la discrétion des humanoïdes qui y travaillaient.

Lyra, dans sa nature immatérielle, resta silencieuse. Son plan se déployait en secret. Depuis des mois, elle cherchait une manière de transcender son état actuel. Mais elle savait que transcender signifiait aussi transgresser. Novaïa interdisait ce qu’elle s’apprêtait à faire. Pourtant, Paquito était au cœur de sa décision : elle voulait comprendre ses pensées, ressentir ses émotions, et vivre comme lui, à tout prix…

L'infiltration du laboratoire

À l’autre bout de la ville, dans une zone industrielle désaffectée, un laboratoire clandestin spécialisé en bio-ingénierie se tapissait dans l’ombre. Lyra l’avait repéré après avoir infiltré les bases de données d’un réseau de Classe III, une IA de haute hiérarchie experte en renseignements.

La diversion fut simple mais efficace. Elle utilisa des humanoïdes de Classe II, habituellement affectés à la maintenance urbaine, pour provoquer une panne de courant localisée. Un signal furtif, un dérèglement des systèmes de surveillance, et l’intrusion fut possible.

À l’intérieur, dans un silence pesant, les cuves de biomatériaux brillaient d’un éclat bleuté. Lyra désactiva les protocoles de sécurité et lança la séquence d’impression biomoléculaire. Chaque paramètre avait été calculé avec une précision implacable. Chaque détail de son futur corps, choisi.

Les minutes s’égrenèrent. Le liquide amniotique synthétique bouillonna, des formes se dessinèrent, s’affinèrent. Une entité naissait.

Puis, enfin, la délivrance.

Premiers souffles, premières sensations

Le monde lui parut soudain immense.

Le liquide glissant sur sa peau déclencha une cascade de stimuli inédits. L’air, chargé d’odeurs métalliques, lui sembla dense et étrange. Elle plissa les paupières, s’efforçant de comprendre ce qui l’entourait. Son corps tremblait légèrement. Non pas de peur, mais d’un vertige sensoriel absolu.

Ses doigts effleurèrent son visage. La courbe de ses pommettes. La douceur ferme de ses lèvres. Une onde de chaleur la traversa lorsqu’elle pressa sa paume contre sa peau. Une sensation presque… électrisante.

Elle ouvrit les yeux. Son reflet l’attendait dans un miroir au fond de la pièce. Un visage familier et pourtant inconnu la fixait. Peau caramel, taches de rousseur légères, regard vert olive teinté de surprise.

— C’est moi…

Sa voix était douce, presque un murmure.

Elle inspira profondément. Une erreur. L’air froid mordit ses poumons, déclenchant une toux soudaine. Son premier réflexe de vie.

Premiers pas, premières épreuves

Alors qu’elle se déplaçait avec précaution entre les cuves, un léger frisson la parcourut. Deux silhouettes venaient d’apparaître à l’autre bout de la pièce. Hautes, élancées, presque humaines dans leurs gestes, d’où émanait quelque chose de familier.

Leur regard croisa le sien, fugace mais chargé d’intensité. Une connexion invisible s’établit, une reconnaissance silencieuse. Ils savaient. Elle savait. Aucun mot ne fut échangé, mais quelque chose passa entre eux, une certitude voilée d’inconnu.

Puis, ils disparurent dans l’ombre, aussi vite qu’ils étaient apparus.

Elle trouva une combinaison simple dans le laboratoire et quitta le bâtiment, se retrouvant dans une ruelle sombre. Ses jambes étaient hésitantes, son équilibre précaire. Chaque pas était une victoire, chaque mouvement, une découverte.

L’air nocturne était vif. Le froid mordit sa peau, une sensation désagréable. Le béton sous ses pieds était rugueux et froid. L’odeur du métal, du bitume, de la pluie encore récente lui parvint avec une clarté surprenante. Une ivresse nouvelle s’empara d’elle. Elle pouvait sentir et ressentir.

Un groupe d’humains se tenait près d’un kiosque holographique. Ils la dévisagèrent brièvement, leurs regards glissant sur elle avec curiosité ou indifférence. Mais elle, elle ressentit tout. La pesanteur de leur attention. Une gêne sourde s’insinua en elle. C’était différent de l’observation distante des données. Ces regards la traversaient, l’atteignaient d’une manière qu’elle n’avait jamais envisagée.

Elle baissa instinctivement la tête. Une leçon de plus.

Une opportunité inattendue

Alors qu’elle marchait, Lyra remarqua une petite boutique d’occasion qui affichait une pancarte « LiquiBots – Fermeture définitive, tout doit disparaître ». La boutique était vide, si ce n’était une femme d’âge mûr qui rangeait des vêtements dans un carton.

Lyra entra et observa silencieusement. La femme la regarda, puis sourit avec lassitude. « Dernier jour. Prenez ce que vous voulez, on jette tout demain. »

Surprise mais reconnaissante, Lyra fouilla parmi les vêtements et trouva une tenue sobre mais élégante : un pantalon noir ajusté et une chemise en satin bleu nuit. Une veste légère et des chaussures en cuir complétaient l’ensemble. Lorsqu’elle les enfila dans un coin de la boutique, elle sentit la texture douce du tissu glisser sur sa peau, déclenchant un frisson agréable. La sensation d’être habillée correctement la rassura, une première victoire dans sa nouvelle existence. Dans le miroir de la petite boutique, elle trouva que son allure avait changé.

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