Cent millions

3 minutes de lecture

J’étais en avance pour mon rendez-vous, une fille prometteuse d’après son profil Meetic. Je suis donc allé boire un café. J’étais accoudé au bar quand une pocharde est entrée, me contraignant à lui laisser de la place, rapport à son odeur. Aussi sec, elle me lance :

— Eh, mignon, tu me paies mon verre ?

Je fais signe au patron, ne voulant pas entrer dans une vindicte d’ivrogne.

— Buvez à ma santé, Princesse !

— Eh, mignon, tu ne crois pas si bien dire ! Je suis une vraie princesse !

Et moi de lui répondre, amusé :

— Une princesse ? La fille d’un roi ?

— T’es trop con, mon mignon ! Une princesse, comme la femme d’un prince ! Tiens, je vais te raconter. Paie-moi un autre verre et viens t’asseoir.

— J’étais jeune quand ma mère s’est cassée. Puis mon père. Alors je me suis réfugiée chez la mère Michèle !

— Celle qui a perdu…

— Très trop con ! Écoute au lieu de dire des conneries. Bon, la mère Michèle, elle tenait un rade et elle avait plein de filles. Donc, une de plus, ça tombait bien, même très jeune.

— Vous aviez quel âge ?

— T’occupes ! Sinon ton texte va être censuré ! J’étais majeure sexuellement, on dira. On dira aussi que j’étais la plus jolie, avec mes cheveux blonds, mes yeux bleus, ma petite poitrine, mes fesses, mon…

— Je crois que j’ai compris !

— J’aimais bien ce taf. Maline, j’ai vite repéré les richards, c’était un peu ma spécialité de les éponger ! Je veux dire de les nettoyer.

— Les éponger ? Les nettoyer ?

— T’es puceau ou quoi, mon mignon ? En plus, entre deux passes, je dévorais la presse people pour les reconnaitre. Je n’avais pas envie de rester là toute ma vie ! J’en rêvais tellement que mes copines m’ont surnommée « Cent millions » ! N’empêche que c’est arrivé !

— Quoi ?

— Arrête de m’interrompre ! Ça me dessèche de causer… Le rade, il avait comme client le Prince. Tu sais, la principauté de la passoire fiscale et les histoires de cul ! Même mon surnom, il n’a pas été foutu de l’écrire correctement. Bref, il m’avait à la bonne et il a voulu m’avoir sous la main. Comme il était marié, il a eu l’idée de me faire épouser son fils.

— Mais…

— Attends ! Le fiston, il était plutôt branché fofolles et mignons, comme toi.

— Mais je ne suis pas…

— T’es nul. Je ne parlais pas de toi ! Bref, il a organisé tout ça, avec les photographes interdits qu’il fallait. La mère Michèle était ravie de m’avoir vendue…

— Vendue ?

— Je veux dire casée. Elle m’a payé la robe de bal et la limousine. La radine, elle avait payé que jusqu’à minuit, estimant que j’aurais assez le temps de me montrer avec la tarlouze. Ah, oui, le Prince, le père, était un fétichiste des escarpins. À la fin, il arrivait chaque fois avec une nouvelle paire. Il m’avait fait faire sur mesure une paire de Louboutin en fourrure d' écureuil de Russie, blanche. La classe !

— Mouais…

— Tiens, à ce propos, y a un journaliste, Perrault, tu connais ?, qui a voulu raconter mon histoire dans son journal. Comme tous les journalistes, tu leur racontes et ils écrivent n’importe quoi ! J’ai rien reconnu. La preuve, ce con, il a écrit que mes chaussons étaient en verre ! Et tous les connards de parents qui ne savent pas ce qu’est le vair ont continué à débiter ces bêtises à leurs gniards. Bref ! Donc, en partant trop vite, je me suis foulé le pied avec ces chaussures à la con. J’abrège : après, j’ai fait la une avec le mariage. T’es trop jeune pour avoir vu ça !

— Et vous avez été heureuse, avec plein d’enfants ?

— Comme si les gosses rendaient heureux ! De toute façon, ça ne risquait pas !

— Mais avec le père ?

— Oui, c’était son idée de départ, pour que son fils ait un héritier.

— Et alors ?

— Ben, il y a eu le scandale. Ils ont tous fini en tôle ou suicidé…

— Et vous ?

— Ah, mon bon ! J’étais trop jeune et je n’y connaissais rien. Le contrat de mariage ne me donnait rien ! Je suis retournée chez la mère Michèle....

Elle s’effondra sur la table et mit à ronfler.

Je réglais les consommations. En sortant, je vis arriver mon rancart, avec la rose rouge de reconnaissance. Bof !

Moi, je rêvais d’une princesse…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0