Le silence est devenu coutumier. Il ne me rend plus dingue comme c'était le cas au début - il y a très très longtemps. Si longtemps que je ne me rappelle même plus quand tout a commencé. L'éternité, ça dilue tant les souvenirs qu'ils deviennent insaisissables, comme du brouillard.

  Je ne m'attendais pas à rester aussi sain d'esprit à vrai dire. Bon, il m'arrive certes de parler tout seul - mais qui ne le fait pas ? C'est un signe de génie paraît-il. Du moins, c'est ce qu'on disait avant que je ne me retrouve enfermé ici, entre ces quatre murs, avec pour seule compagnie eh bien, moi-même.

  J'ai essayé de sortir bien sûr, je ne suis pas idiot. Mais après 527 repousses de membres en tout genre, j'ai lâché l'affaire. Les doigts, c'étaient les pires. On m'avait prévenu en même temps. Peut-être bien que je suis idiot finalement. Mais bref, c'est de l'histoire ancienne. Je reste bien sage dans ma cage dorée maintenant, je passe le temps - ou le temps se passe de moi, pour la différence que ça fait. J'ai accepté mon sort. Après tout, j'ai tout ce qu'il me faut : la baraque est grande, la bouffe correcte, il y a des bouquins, des fenêtres (on évite de passer les bras, conseil d'amis), il y a même un écran. Le rêve, non ? Vous pouvez rire, dans ma situation on apprend à relativiser croyez-moi.

  Mais aujourd'hui, je crois bien que je vais devenir dingue. Quelque chose me tape sur le système, me met les nerfs en pelote. Je n'arrive pas à me poser, je tourne en rond, parcours chaque pièce. Impossible de trouver ce qui cloche. Une légère angoisse me noue le ventre ; après tout ce temps, un changement dans mon quotidien me perturbe. Je me force à m'assoir, à réfléchir, à me concentrer. Je parviens enfin à identifier ce qui m'énerve : un bruit, répétitif et sec. Je fouille dans ma mémoire pour trouver une analogie à ce tictac agaçant.

  Minute.

  Je me précipite dans la cuisine. Sur le mur, à côté du frigo, une vieille horloge en plastique rouge est suspendue à un clou. La trotteuse avance, fait le tour, passe le douze et permet ainsi à l'aiguille des minutes d'avancer à son tour. Je suis bouche-bée. Cette horloge, décorative pour moi, immobile depuis des siècles, vient de revenir à la vie. Il est 09h09.