Chapitre 5

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Je pense.

Je pense que je pense. C'est inutile mais ça me permet de savoir que je suis vivant.

La forte douleur que je ressens en est une autre preuve.

Je suis allongé sur quelque chose de mou, un lit sûrement. Tout est silencieux.

J'ouvre les yeux et, malgré la douleur, arrive à me relever suffisamment pour regarder autour de moi.

Je suis en effet dans une salle qui pourrait être appelée chambre, mais je ne peux être sûr de rien car le lit est le seul meuble de la salle.

Je regarde autour de moi : il y a juste une fenêtre sale, à travers laquelle la lumière a des difficultés à passer.

Je réalise que je n'ai aucune idée de là où je suis...

Soudain, j'entends des bruits de pas. Aussitôt, je fais mine de dormir. Avec un petit cliquetis suivi d'un grincement, la porte s'ouvre.

- Louis ? interroge le nouveau venu.

J'ouvre les yeux immédiatement avec un sourire. Seule Jane peut m'appeler comme ça, elle seule connait ce prénom qui d'ailleurs n'est pas le mien, enfi d'aussi loin que je m'en souvienne.

- Oui, je réponds.

Elle avance vers moi, je remarque qu'elle a ses cheveux attachés en chignon et, elle aussi, des taches de sang sur son tee-shirt blanc (il n'y a aucun doute, sauf si elle a coupé de la betterave).

Elle n'a quand même pas, enfin pas... Tué ?

Elle comprend ce que je regarde et semble saisir mon malaise.

- Rallonge-toi, dit-elle, il y a plusieurs choses que j'aimerai te dire.

Jane prend un grande respiration, elle ne sait visiblement pas comment me l'annoncer.

- Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. Je commence par quoi ?

- La bonne.

- La bonne, alors, c'est que tu as tué le gars qui a essayé de te tuer.

Mes yeux s'écarquillent. J'ai tué quelqu'un ? Cette personne est morte ? Enfin, vraiment morte ? Plongée dans les abysses, les ténèbres, le vide, le néant, la... Mort ?

- Faut pas t'en vouloir, continue la jeune fille, si tu l'avais pas tué, il se serait pas gêné. Bref, au niveau de la plaie tu as de la chance, elle n'est pas trop profonde, c'est plutôt superficiel, tu vas vite te remettre. Par contre, je ne comprends pas pourquoi tu t'es évanoui. C'était par peur, par douleur ou pour une autre raison ?

Je fais oui de la tête, dans mes pensées.

Jane comprend que je n'ai rien écouté de la fin de sa phrase.

- Et la mauvaise nouvelle ? demandé-je.

- La mauvaise nouvelle, c'est que tu as dormi pendant un jour et qu'il ne nous reste que cinq jours à vivre. Aussi, ton organisme est très faible - même s'il l'était déjà avant -, tu dois faire plus attention.

- Et c'est quoi ça ? je demande à nouveau en désignant son tee-shirt.

- Réfléchis, comme es-tu arrivé là ? C'est parce que je t'ai porté, me répond t-elle. Et j'ai enterré l'autre, aussi.

- Est-ce que je peux voir sa tombe ? j'interroge soudainement.

La jeune fille semble d'abord ne pas comprendre, puis me regarde avec un regard entre tristesse et pitié.

- Non, Louis, dit-elle finalement, c'est mieux pour toi de ne pas le voir et d'essayer de passer à autre chose.

- Où est sa tombe ? je questionne.

- Louis...

- Où est sa tombe ?

- Tu ne devrais pas...

- DIS-MOI OU EST SA TOMBE, MERDE !

Jane serre les dents, elle ne veut visiblement pas. Elle me regarde droit dans les yeux, je soutiens son regard.

Un mélange de colère, de tristesse, de rage et d'une très grande peur s'est emparé de moi.

Elle cède finalement :

- Viens, je t'y emmène.

Je ressens le besoin urgent de voir cette tombe, de vérifier que je ne l'ai pas tué, c'est impossible, je ne peux pas, je ne veux pas...

Nous descendons des escaliers rapidement. Les murs de l'immeuble semblent tenir miraculeusement, je doute qu'ils tiennent debout encore longtemps.

Nous arrivons dans un cour intérieure, au milieu de laquelle il y a un potager, au milieu duquel il y a une croix plantée dans le sol.

Au dessus de nos tête, le soleil brille et le ciel est bleu, sans nuage. J'estime qu'il doit être aux alentours de dix heures du matin.

- C'est là ? je demande d'une voix blanche.

Jane confirme d'un hochement de tête.

Je m'avance vers cette petite parcelle de terre retournée, le corps tremblant. Arrivé, je m'assois dans l'herbe, juste devant la tombe, les genoux dans la terre, mon jean taché.

Mais moi ce n'est pas du sang, oh non, je ne peux pas avoir tué.

Je ne sais pas ce que ça fait de mourir, mais je sais ce que ça fait de perdre quelqu'un à qui on tient vraiment.

Peut-être qu'aujourd'hui quelqu'un pleure pour cet homme.

Tremblant toujours, je commence à paniquer.

- Non, non, non, non, c'est impossible ! je murmure, les yeux écarquillés.

Je commence à prendre la terre de la tombe et à la jeter derrière moi.

- NON ! je crie. JE NE SUIS PAS UN MEURTRIER !

Je creuse, malgré la douleur de ma blessure, continue d'arracher cette terre avec hargne.

Les larmes se mettent à couler sur mes joues, et je les laisse faire. Mes doigts s'enfoncent dans la terre et la retirent, et j'étais prêt à continuer jusqu'à voir le cadavre, mais deux bras puissants vienent me tirer en arrière, loin de la tombe.

- LÂCHE-MOI ! j'ordonne en me débattant. Lâche-moi...

Je cesse de me débattre, tombant à genoux, tremblant, en larmes. Jane s'écarte de moi, me laissant pleurer seul.

Je revois mes parents, leurs corps froids, sans vie, presque souriants, apaisés.

Je me disais qu'ils étaient heureux, là où ils étaient, mais c'était bien ça qui me faisait mal. Ils étaient partis tous les deux, dans un monde meilleur, me laissant seul.

Ils étaient heureux sans moi.

Ils n'avaient pas besoin de moi.

Je sens que le flot de larmes s'intensifie.

Une main se pose sur mon épaule.

- Allez, souffle Jane, on rentre. Tu vas prendre une douche pour enlever toute cette terre, puis je vais changer ton bandage.

J'hoche la tête en signe de résignation.

La jeune fille me prend par la main.

Elle semble se ficher que la mienne soit pleine de terre et couvertes d'égratinures, faute au petits cailloux.

Je ne pense plus à rien.

La seule chose que je sens, c'est cette main chaude qui tient la mienne.

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