KARZAÏ

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Roman sourit en se rappelant s'être posé les mêmes questions que Rayan.

— ... Ou alors il y a plusieurs réalités ?

— Je ne sais pas.

— Et tu es déjà venu de nuit ?

— Oui.

— Et c'était pareil que maintenant ?

— Oui, pareil, sauf qu'il faisait nuit.

— Et tu t'es perdu aussi ?

— Oui, c'est très facile. Et tu poses toujours autant de questions ?

— Oui, et même quand je dors !

Rayan remit son capuchon et serra les pans de la cape que lui avait donné Adesha, en allongeant le pas pour prendre un peu de distance, vexé. Mais c'était plus fort que lui. Quand il voulait savoir, il ne pouvait s'empêcher de poser des questions, par dizaines, par centaines et plus s'il le fallait. Et cela depuis son plus jeune âge. Donc, si ce lourdaud ne voulait pas lui répondre, il demanderait à quelqu'un d'autre. Il entendit alors Roman l'appeler d'une voix retenue :

— Rayan, ne t'éloigne pas trop. On n'est pas chez nous, ici. Et on n'est pas seuls.

— Tu as vu quelque chose ?

— Mieux vaut rester ensemble.

— Pourquoi ? Il y a quoi ?

— Des prédateurs. Et ils attaquent généralement le plus faible, ou celui qui est à l'écart !

Roman espérait calmer le jeune homme et le faire taire. Mais celui-ci reprit :

— Quels prédateurs ?

— C'est d'accord, je t'expliquerai tout ça, mais plus tard. Maintenant, évitons de faire du bruit.

— Oui, je me tais.

— Respire. Écoute. Caresse la forêt, tout va bien se passer.

Ils avaient continué en silence, de nouveau empêtrés dans le brouillard de plus en plus dense et opaque, perdant le sens de l'orientation et la notion du temps.
Après avoir eu froid à en grelotter, faim et envie de s'allonger sur l'humus, Rayan se sentait léger, apaisé. Délesté de sa peur et de ses questions, il marchait comme un fantôme derrière le travoi. Iléa gémit au passage d'un cahot. La sorcière. Il examinait ce mot sous tous les angles. Sorcière... Mais elle ne correspondait pas à ce qu'il savait de ces êtres légendaires...

Il entendit comme un rire grave et discret et se tourna en tous sens pour voir qui les accompagnait. A quelques pas, il distingua un homme entre les arbres, vêtu de fourrures brunes, le visage caché par une sombre chevelure embroussaillée. D'un coup sa peur lui revint, étouffante, assourdissante. Il voulait avertir Roman, mais sa mâchoire lui semblait soudée et sa gorge ne produisit aucun son. Une voix résonna alors, claire et puissante, directement dans son esprit, ajoutant à sa confusion :

— N'aie crainte. Mon nom est Karzaï. Je suis là pour vous escorter jusque chez Serena.

Rayan fouillait en vain l'obscurité. L'homme était caché par la végétation. Il ne l'entendait même pas se déplacer. Roman avait accéléré le pas. Il sentait qu'ils étaient presque arrivés. Il avait perçu Karzaï dès qu'ils avaient pénétré dans Les Grands Bois. Plus tard, il avait entendu sa voix joyeuse dans son esprit, lui souhaiter la bienvenue. Il lui avait rendu son salut et s'était barricadé dans sa tête, mal à l'aise. Cette façon de communiquer lui semblait comme une intrusion. Mais surtout, il n'avait pas vraiment confiance dans son escorte.

Karzaï servait Séréna au nom d'une vieille dette, mais il avait des amis dans tous les camps. Et finalement, il servait surtout sa propre cause qui se résumait à : « Personne dans Les Grands Bois ! » Et sa loi était admise, des montagnes du Sud, jusqu'aux plaines centrales, du levant au couchant, tant que durait la forêt profonde, inextricable et sauvage. Car tout cela était le domaine de Karzaï, depuis les premiers temps d'Après.
Rayan repéra d'autres silhouettes qui se déplaçaient autour d'eux dans un silence quasi complet. Nerveux, il se rapprocha de Roman qui lui dit :

— On y est. Tu vois ces arbres énormes ? Ils marquent l'entrée du territoire de Séréna. À partir de là, nous serons en sécurité. Et on n'aura plus besoin d'escorte.

Karzaï sourit. Il connaissait les réticences et les peurs de Roman. Il ne s'en vexait pas. Pour lui, c'étaient autant de leviers et d'armes. Roman le savait. Il savait aussi, se protéger de ses « indiscrétions ». Arrivés aux quatre chênes géants, Roman marqua une nouvelle halte. Il vérifia le harnachement du travoi et l'état d'Iléa. À sa grande surprise, elle respirait un peu mieux et son pouls, bien que toujours très lent était plus perceptible. D'un geste léger, il replaça la couverture. Du regard Rayan examinait l'endroit. Il finit par distinguer Karzaï, qui s'avança en silence entre les troncs.

— Mais oui, Rayan, je suis un Karzaï et je ne suis pas vêtu de fourrures. C'est ma fourrure ! Et Karzaï est aussi mon nom.

Le jeune homme rougit, gêné que l'homme ait entendu ce qu'il pensait.

— C'est la première fois que je vois quelqu'un comme... vous. Dîtes, comment vous faites pour parler dans ma tête ?

— Je ne sais pas. Et toi, comment fais-tu pour parler avec ta bouche ? Karzaï rit doucement. Il ne se moquait pas. Juste il trouvait étrange cet échange. S'il rencontrait de nouveau ce jeune homme au regard et à l'âme si clairs, il l'inviterait à discuter.

— Maintenant vous êtes chez Serena. Transmettez lui mon tendre souvenir. Je suis attendu et vous pouvez finir la route sans moi. Ici, vous n'avez plus besoin de mes services.

— Merci, Karzaï.

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