ARKAN ET ILÉA, RENCONTRE AU LAC, et ARKAN CHANTE SA SORCIÈRE

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Debout, au bord de la falaise, droit, tendu vers le soleil couchant, le visage rayonnant de bien-être, Arkan se préparait à plonger. La lumière était de miel et d'or dans l'incendie de l'astre à son déclin. Il savoura le calme du lieu, prit une longue inspiration et s'élança dans le vide et le silence.

Oubli...

Son corps décrivit trois boucles successives parfaites avant de pénétrer l'eau fraîche. Quand elle le vit s'élancer, Iléa tressaillit. La hauteur était impressionnante. Peu nombreux étaient ceux qui tentaient le plongeon depuis là-haut. Elle fit quelques pas en avant, pour voir s'il remontait à la surface avec un pincement au cœur et poussa un soupir de soulagement quand il jaillit de l'eau en s'ébrouant. Il s'était mis à nager vigoureusement vers l'autre bord et en était revenu à la même allure puissante et rapide. D'un mouvement souple, il sortit du lac, se redressa et fit quelques pas vers ses vêtements tendus aux buissons. Mais, entre eux et lui, ses yeux ravis rencontrèrent la Sorcière. Elle, le voyait à contre-jour, solide esquisse dans la lumière décroissante.

— Le bon soir, belle sorcière. Je suis content de te retrouver.

— Moi aussi , répondit-elle à mi-voix, surprise d'être si émue.

Il se sentit rougir, se rappelant être dans le plus simple appareil et reprit :

— Si tu permets, j'aimerais récupérer mes vêtements, derrière toi...

Réalisant qu'il était entièrement nu, elle eut un sourire à la fois gêné et amusé et se détourna un instant en s'excusant de l'avoir surpris. Il enfila caleçon et pantalons et demanda :

— Alors, maintenant que je suis dans une tenue presque décente, me diras-tu ce que tu fais seule ici, dans la nuit, ou je suis indiscret ?

— Je partais aux cascades me baigner et...

La gorge nouée, elle laissa sa phrase en suspens. Maintenant qu'il n'était plus à contre-jour, elle se sentit défaillir à la vue de son torse et de ses bras couverts de cicatrices. Des images se superposaient à la réalité, où elle le voyait aux mains de Saphira, et quelque part dans la région des Sylves, puis jouant de cet instrument qu'elle aimait tant, et aussi dans la forêt. La réalité reprit ses droits et les images disparurent.
Il se retourna pour récupérer sa chemise, les dents serrées. Son dos portait les mêmes souvenirs de la violence et de la folie... Iléa frissonna. Le soleil était passé de l'autre côté de la montagne. Enfin vêtu, Arkan se tourna vers la jeune femme :

— Je suis désolé, j'avais presque oublié... C'est pour ça que je me baigne souvent la nuit, quand il n'y a personne.

— Moi aussi, répondit-elle d'une voix blanche.

Arkan revit ces instants surréels, où elle l'avait fait danser dans ce flamboiement d'énergie, le mettant hors de portée de Saphira...
Elle avait baissé la tête, le cœur battant et, quand les mains de l'homme s'étaient posées sur ses épaules, elle avait sursauté. Des mains fines, fortes et douces. Des mains ayant donné l'amour et la mort, elle le percevait clairement. Mais elle sentait aussi son énergie rayonner comme le soleil et envahir son propre corps, lui insuffler la chaleur de la vie qu'elle avait presque oubliée avec la mort de Roman. Arkan, cet homme qu'elle avait senti agoniser de longues heures... et qui, délicieux bourgeon d'espoir, souriait dans la pénombre.

Il avait fait glisser les minces bretelles de sa robe, dévoilant son buste, avec un profond respect, bouleversé, lui aussi. Il avait caressé légèrement la peau douce et lisse de ses cicatrices et avait déposé un baiser délicat au creux de son cou et sur sa joue marquée avant de l'aider à se revêtir et de l'enlacer, mêlant les couleurs de leurs âmes en un bouquet de tendresse.

Dans son geste protecteur, il y avait la reconnaissance de l'autre et, en filigrane, l'acceptation de soi-même. Ils étaient restés longtemps serrés, corps à corps, sans parler ni bouger, chacun bercé par le cœur et le souffle de son alter ego. Pacifiés. Épurés.

Tendresse de la mousse. Parfum, chant des corps. Les étoiles avaient changé. Les brumes sortaient du lac... Iléa frissonna, ses pieds nus dans l'herbe étaient glacés.

— Allons chez moi, j'ai froid.

Il avait récupéré ses bagages et passé son bras autour de ses épaules, lui offrant sa chaleur dans l'abri de sa cape. Ils avaient marché paisiblement jusque chez elle et elle ouvrit la porte, l'invitant d'un geste, à entrer.

— Tu sais, Iléa, tu n'es pas obligée de m'héberger, je peux retrouver l'endroit que j'avais prévu pour dormir...

— La décision est tienne. Moi, je suis contente de t'accueillir.

— Alors, je suis heureux d'accepter ton invitation. Comment résister ?

Ils avaient ri ensemble de la raideur de cet échange, et Arkan l'avait serrée contre lui, plongeant ses mains dans ses cheveux embroussaillés avec volupté, caressant des lèvres la naissance de sa gorge, goûtant la saveur de sa peau. Les yeux mi-clos, la tête légèrement penchée en arrière, Iléa savoura l'instant avant de s'écarter sans hâte en disant :

— Je vais allumer le feu et faire un peu de tisane. Pose tes affaires là-bas, près de la cheminée.

— Je peux t'aider ?

— Non, regarde...

Elle avait élaboré un bûcher de brindilles dans l'âtre et, d'un geste sec, y avait projeté une flamme jaillie de ses mains. Joyeuse, elle s'était tournée vers son invité stupéfait en s'exclamant :

— Ça a marché du premier coup !

— Ce n'est pas toujours le cas ? (Ainsi elle était vraiment sorcière !)

— Non, certains jours, ça ne marche pas.

— Étrange. Tu sais pourquoi ? (C'était la première fois qu'il voyait ça de ses propres yeux ! )

— Non, et c'est bien dommage !

Une ombre était passée dans son regard. Souvenir de Roman dont elle avait éxécuté les assassins, ça avait marché du premier coup cette fois-là aussi. Elle faisait des progrès...

Sentant qu'elle ne voulait pas s'attarder sur le sujet, il avait déposé ses affaires, s'était défait de ses lourds vêtements avec un plaisir intense. Tout en parlant, elle avait nourri le feu jusqu'à obtenir de belles flammes et placé une casserole d'eau à chauffer sur un trépied ferronné.

Arkan examinait l'endroit. Le minimum, comme partout dans ces montagnes. Mais, dans une petite niche, près de la cheminée, un autel où étaient disposés des pierres d'une grande beauté. Il y avait aussi un crâne dont les crocs étaient ceux d'un carnivore, une plume d'aigle et un bracelet d'argent d'une finesse incomparable provenant probablement de Sirius. Son attention revint à Iléa. Elle sortait des pommes et des noix d'un coffre de bois ventru et les posa sur la table basse en disant :

— Voilà qui nous fera du bien !

D'un geste vif, elle avait déroulé un matelas odorant fait de fougères et de plantes aromatiques, devant la cheminée. Elle y avait déposé deux couvertures de laine épaisse et quelques coussins avant de convier Arkan à s'y installer.

— Je sers la tisane et je m'assieds avec toi.

Elle s'était enroulée dans l'une d'elles et avait tendu ses orteils vers la chaleur, en soupirant d'aise. Arkan avait souri avant de demander :

— Tu ne portes jamais de souliers ?

— Quelques fois oui, mais je préfère sentir la terre sous mes pas.

Il avait paru tendre l'oreille et s'était mis à fredonner tout bas, un demi-sourire aux lèvres :

— Qu'elle est belle et charnue,

Ma sorcière aux pieds nus.

Je vais par routes et chemins,

Mais toujours lui reviens.

Vers elle mon arc est tendu,

Comme mon cœur tant ému,

Qui douce flèche lâchera,

Tendre cible en fleurira...

Il avait extrait son luth de son abri et s'était installé tout près de la sorcière, flattant son instrument d'une main câline, saluant les cordes. Iléa s'était étirée longuement, prenant plaisir à le regarder égrener les notes. Et lui s'était mis à peindre de musique le corps de la sorcière, avec une connaissance et une intuition quasi surnaturelles, un amour torrent de montagne, ciel embrasé. Iléa se tendait à la caresse des notes, allongée devant le feu. Arkan ferma les yeux quelques instants, son luth soupira. Il se remis à jouer, élaborant des trésors d'harmonies et de silences, les couleurs des mouvements ondulants de la femme.

Sauvage.

Beauté de sa jambe longue et musclée. Rudes chemins de montagnes. Son ventre et ses hanches, qu'il devinait sous la robe. De nouveau, il avait fermé les yeux, savourant la douceur de ce moment. Chuchotement du tissus. Corde pincée, saumon chatoyant. Pétille. Bulle. Souffle.

Il rouvrit les yeux et remercia l'univers pour ce pur bonheur, régal offert à son cœur, à son regard : Elle était nue, comme une statue de Maël *, mais tellement plus douce, et tellement plus belle. Il avait caressé la vallée de ses reins et revint aux courbes de son instrument, avec un égal plaisir.

Plus tard, ils n'avaient fait plus qu'un, renaissant dans l'amour, oiseaux de plein vol ivres de lumière, comme des loups dans la soie de l'herbe, tels des vers entortillés au sein de la terre, tourbillon voluptueux, chant du feu, éclosion de montagnes.

Que dit La Rumeur ? Les statues sont de pierre !

Mais l'homme est de chair, son essence divine, l'amour velours au milieu des épines... Leur union fut sublime. Ils dérivaient aux confins de l'être et soufflaient des arcs-en-ciel. Cœurs ébahis, submergés de bonheur, âmes réunies, confondues...

Arkan s'était endormi, la tête posée sur le ventre de la sorcière, bercé par son souffle. Iléa souriait dans la pénombre. Elle caressait ses cheveux touffus et rebelles, si noirs, mêlés de gris et contemplait son visage paisible. Elle y vit les embûches et les épreuves qu'il avait traversées, un optimisme opiniâtre, une intense vitalité. Et cette petite ride, au coin de sa bouche, qui disait ce que sa volonté pouvait avoir d'implacable. Ses lèvres étaient douces, sa respiration lente et profonde.

Roman aussi respirait ainsi, après...

Du bout des doigts, elle explora ses épaules, larges et solides, suivit la courbe de la chaîne d'or retenant une colombe, son torse bien dessiné et ses bras musclés de danseur...

Un guerrier malgré lui.

Elle aimait sa chaleur, le parfum de son corps, fragrance des grands chemins, des nuits à la belle étoile, de l'eau fraîche des torrents, des feux de camps et des paillers douillets. Sa peau était comme une carte où il y aurait eut beaucoup de routes et de cours d'eau. Elle y voyait aussi la peur, qu'il cachait si bien, sentit l'énergie brutale de Saphira et frissonna. Cette femme était un prédateur qui ne lâcherait jamais prise. Et Arkan le savait. Il était condamné à la confrontation ou à une vie de fuyard. Comment avait-t-il pu survivre à une telle cruauté ? Quand elle l'avait fait danser, à la Source de Vie, il n'était ni mort, ni vif. Un fantôme. Et, à présent, il dormait paisiblement à ses côtés...

La vie est belle, chantonna La Rumeur.

Mais on ne l'appelait pas sorcière pour rien ! Puisqu'il le fallait, elle userait de magies pour protéger cet homme. Elle inventa une incantation, et d'une main d'amour et de fleur, elle lui effleura le front, lui insufflant sa propre énergie, en murmurant :

— Tu vaincras Saphira...

Et, en disant cela, elle rêva de la femme cruelle s'éloignant lentement vers l'horizon et rompit le charme en tremblant. Elle sentait des énergies puissantes circulant, se distribuant, suivant leur propre chemin, au milieu des existences si fragiles et éphémères des hommes qu'elles bouleversaient au passage. Lentement, elle s'était installée, collée, blottie le long du corps chaud de l'homme-gibier et avait tiré la couverture sur eux.

Secret. Silence.

Juste écouter son cœur, son souffle, se griser de son parfum dans la douceur du feu.

Oubli.

* Maël est un sculpteur qui vit dans un désert où il plante ses oeuvres pour le peupler.

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