JOURNAL D'ALBA : RENCONTRE « ACCIDENTELLE » DE LLORDAT, PERPIGNAN, ADIEU

4 minutes de lecture

— Vous n'avez pas peur ?

— Non, je devrais ? Parce que je suis une femme ?

— Heu...

— Perdu !


Il a ri en grimaçant, une main posée sur les côtes. Il avait probablement quelques fractures...


— Je n'ai pas peur de vous, mais de ceux qui vous ont agressé, si. On est d'accord sur le terme ?


Simple hochement de tête.


— Donc, vous êtes plutôt une victime, et je n'ai rien à craindre de vous, comme vous n'avez rien à craindre de moi, tant que votre comportement ne me montre pas le contraire.


Il sourit et, dans ses yeux, j'ai vu qu'il était droit et juste. On a roulé en silence.

De temps à autre, il étouffait un gémissement. La route était en mauvais état, on était secoués... La nuit était tombée quand mon passager refit surface pour me dire :

— Si vous voyez un gros Cherokee 4/4 noir, ne vous arrêtez surtout pas, c'est leur véhicule...

— Ah, merci pour l'info. Il nous reste à peine vingt minutes de route, mais on ne sait jamais...
Il s'était de nouveau assoupi, jusqu'à ce que je m'engage sur la piste en disant:

— Heureusement que j'ai trouvé ce petit tout-terrain, ma voiture ne passerait plus ici !

Il avait acquiescé en serrant les dents, s'accrochant à la poignée de la portière. J'avais contourné la maison, garé le Lada dans les buissons qui le cachaient entièrement, coupé le contact et éteint les feux. On avait attendu un moment, aux aguets, puis je l'avais aidé à descendre et soutenu jusqu'à l'intérieur.
Il devait mesurer un mètre quatre vingt et semblait solide. Il guérirait vite. Je l'ai fait s'allonger sur le lit et l'avais en partie dévêtu. Il avait dû passer des heures terribles, son corps en témoignait. Par chance, j'étais médecin et j'avais mon matériel.


PERPIGNAN, ADIEU

J'exerçais à Perpignan. L'hiver passé, mon cabinet avait été cambriolé deux fois. J'avais quinze minutes de trajet en voiture pour m'y rendre, ce qui m'avait valu de me faire agresser, un matin, par une bande d'hommes avinés. Je n'ai dû mon salut qu'à l'arrivée inopinée d'un groupe de citoyens constitué en milice. La bagarre n'a pas duré, mes agresseurs ayant préféré fuir et par sécurité les citoyens m'ont raccompagnée.

Je me suis laissée tomber sur le canapé, assise, pétrifiée et je suis restée « en panne », une bonne heure.

Avec tous ces décès, et l'épidémie dont on ne savait quasi rien, je ne m'étais pas rendu compte que la ville voguait vers la barbarie. J'ai fait du thé et allumé la TV, rien. Frisson. Pas de téléphone, pas de connexion. Grelottant dans le canapé, je me suis dit que je devais quitter Perpignan et m'est revenu le souvenir de cette maison de famille que nous avions dans l'Aude, entre Cubières-sur-Cinoble et Bugarach. Mes arrière-grands-parents avaient acheté un morceau de terre et retapé la bâtisse délabrée avec le bois et les pierres trouvés sur le terrain. On y accédait par une piste de trois kilomètres. Personne n'y avait jamais habité régulièrement, mais on y avait souvent passé des vacances formidables. Pas d'électricité, l'eau à la source...

C'était là que je devais m'installer !

Le lendemain à 6 heures du matin j'avais chargé la voiture de tout ce dont j'aurais besoin, y compris tous les bouquins que je n'avais pas encore eu le temps de lire et de quoi écrire. J'avais ajouté la bombe paralysante offerte par mes citoyens-sauveurs et la dague de chasse accrochée dans le salon, mon héritage... Elle appartient à la lignée des femmes de ma famille.

J'ai été surprise de circuler sans encombre. Les routes étaient quasi désertes. J'avais un sentiment d'irréalité absolument délicieux. Le paysage était superbe. La dernière fois que j'étais venue remontait à ce qui me semble une éternité...
Je suis passée devant la piste sans la voir tellement la végétation avait poussé. Il m'a fallu faire demi- tour et rouler au pas pour la retrouver. Je me suis engagée sur le chemin de terre puis la nature, bousculée par mon passage, s'est refermée derrière moi. Et c'était bien comme ça. Je serais à l'abri des regards.

Le chemin était plein de trous et ma petite voiture de citadine protestait. Elle ne pourrait pas faire ça très souvent... Quand j'ai coupé le contact, une fois garée derrière la maison, une sorte de jubilation m'a envahie. J'étais chez moi.

La clé était toujours à sa place dans l'arbre creux. La lourde porte de bois s'est ouverte en grinçant. Je retrouvai l'odeur des lieux, bois, pierre, humidité, senteurs de la terre... Rien n'avait bougé. La pièce, meublée d'une table, quatre chaises, un lit dans un angle, et des étagères rudimentaires, était telle que dans mon souvenir. Le faisceau de ma lampe dévoilait une cité de toiles d'araignées, dense et poussiéreuse. Il y avait un bon coup de ménage à faire ! J'ai allumé une petite flambée dans le foyer puis je me suis préparé un casse-croute au fromage que j'ai dévoré accompagné de jus de pomme. Je me suis couchée au chaud dans mon sac de couchage. Le reste pouvait attendre.

Le vent s'était levé et secouait la forêt énergiquement. Son souffle régulier me berçait...

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