JOURNAL DE NORBERT, NÉO-MYSTIQUE ?

5 minutes de lecture

Mais reprenons les choses au début. En 2010, quelques bonnes gens, préoccupées par la possible extinction de l'espèce humaine, ont pris les choses en main. Et, c'est ainsi qu'il s'est, paraît-il, vendu aux USA et au Canada, des concessions sur le pic de Bugarach. Qu'est-ce que l'on ne ferait pas pour sauver sa couenne ? Notre existence prend de la valeur sous la menace... Alors, vous imaginez... Encore que 8000 euros pour venir jusqu'à la Montagne Sacrée et grimper à bord d'une arche galactique, finalement, ce n'est pas si cher... Ne me dites pas que vous ne voudriez pas vous soustraire à l'hécatombe ! Soyez honnête, avec vous-même et peu m'importe. Ah, j'avais oublié la condition sine qua non : il ne suffirait pas de payer pour être sauvé, il faudrait également faire partie des élus ! Cette partie de l'histoire est bien connue. Une belle arnaque...


Le Voyageur a posé son bâton contre le bar, ôté son long manteau et s'est assis, en soupirant. Pour une carrure, c'est une carrure ! On a commencé à parler du monde et ce qu'il m'a dit a confirmé ce que je soupçonnais : il ne doit pas rester plus d'un tiers de la population, et ça, dans le meilleur des cas ! Ceux qui ont survécu tentent de se regrouper pour reconstruire quelque chose ou s'entre-tuent. Comme je suis curieux, j'ai posé la question qui me brûlait les lèvres :

— Mais qu'est-ce que vous venez faire ici ? Vous espérez encore être sauvé ?

— Je suis arrivé ici par hasard, ou juste parce que je ne savais pas où aller, ou parce que j'ai été appelé. Quant à être sauvé, c'est bien le dernier de mes soucis. Et de toute façon, il est trop tard.

— En êtes-vous certain ?

Il n'a pas entièrement tort, mais pas raison non plus. C'est trop tard, oui, mais parce qu'on a été sauvés, déjà. Tous les autres ne sont plus de ce monde. Voilà ce que je pense, moi ! J'ai repris :

— Vous êtes un néo-mystique , peut-être ?

— On pourra en reparler.

— Vous comptez vous installer par ici ?

— Pour quelque temps. L'hiver n'est pas loin.

— Il me reste une chambre à louer. Ou prenez une maison au village, il n'y a que l'embarras du choix !

Je me frottais les mains, en me félicitant d'avoir décidé de m'installer dans l'Oustal et de rouvrir l'auberge ! Les affaires reprenaient ! Deux clients en un an ! Un au printemps, et un en automne.

— Il y a eu les épidémies, les tempêtes, les inondations, les tremblements de terre. Mais je crois qu'il s'est passé quelque chose de bien pire. À un moment, je ne sais plus quand, l'humanité a commencé à perdre la boule. Et, à côté de ça, les calamités naturelles, c'est du gâteau !

Quand j'ai dit ça, mon étrange client m'a foudroyé du regard. Encore un qui s'accroche à des lambeaux de belles idées ! Du coup, j'ai sorti une bouteille de vin, et deux verres, que j'ai remplis généreusement. On a trinqué au bon vieux temps. Ce type m'intriguait. Peut-être que l'alcool lui délierait la langue. Parce que, moi, j'avais envie de discuter !

Une éternité sans entendre un mot ! Et le premier client, il n'était pas entièrement présent. Il parlait à des fantômes qui ne me plaisaient pas. Alors, je l'ai poussé dans la grande faille. C'est les vautours qui l'ont digéré. Avec eux, la campagne est toujours propre !
Je n'en suis pas certain, mais j'ai dû penser tout haut. Du coup, le gars a vidé son verre d'un trait. Ça, c'était une belle soif ! J'ai basculé le mien et nous ai resservis. Cette fois, il a pris le temps de le déguster, avant de se souvenir de ma présence pour dire :

— Une auberge dans un village fantôme, c'est quoi ton idée ?

— Hé bien, on n'est pas dans un désert, tout de même !

— Non, tu as raison, c'est bien pire !

— Qu'est-ce qui est pire que quoi ? (J'avais du mal à suivre. J'avais commencé la bouteille avant son arrivée... et j'allais devoir en ouvrir une autre...)

— C'est pas un désert, c'est un cimetière ! Il y a des ossements partout !

— Ah oui, les restes... Ce sont les chiens et les vautours qui les ont éparpillés.

— Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?

Il m'avait dévisagé d'un d'un air soupçonneux. Ma réponse resta coincée dans ma gorge. C'était à mon tour de vider mon verre, cul sec. C'était bien La Question : qu'est-ce qu'il avait bien pu se passer ici ? Il me semblait que je pourrais m'en rappeler, en faisant un petit effort, sauf que je n'en avais pas trop envie. Je n'étais pas encore assez saoul. Une chose était sûre, si je m'en souvenais, j'allais vomir tout ce bon vin que j'avais bu ! Je n'ai rien trouvé de mieux à dire que :

— Je suis le dernier survivant. Je n'ai pas eu la force de les enterrer tous...

Il m'a regardé comme s'il n'en croyait pas ses oreilles, avant de me demander pourquoi j'étais resté. Ça, c'était aussi une bonne question ! Du coup, j'ai ouvert une boite de conserve qu'on a mangée froide. Et je ne lui ai répondu que quand on a eu fini.

— Au début, je suis resté enfermé, et j'ai passé un mois à me saouler, pour oublier l'odeur immonde de la mort. Après, je suis resté parce que je n'osais pas m'aventurer hors du village. J'avais peur des chiens. J'arrivais encore à capter quelques bribes d'émissions radios, et ça foutait grave les jetons. Toutes les villes étaient en état de guerre. Ça pétait de tous les côtés, ça flambait, les gens fuyaient !

— J'ai vu tout ça.

— Où ?

— Qu'importe où, partout et nous sommes maudits.

Comme je ne voyais pas trop quoi répondre, j'ai ouvert la seconde bouteille. C'était surtout pour lui, parce que moi, j'avais mon compte. Mais après un dernier verre, il s'est préparé à sortir, avec son sac et son bâton, en disant :

— Je vais aller me trouver un endroit pour dormir. Probablement à Campo. On se verra un autre jour.

J'avais posé ma tête sur mes bras, sur la table, comme un ivrogne et j'avais grogné un vague « au revoir », mais quand je m'étais réveillé, quatre heures plus tard, la première chose qui m'était venue à l'esprit, c'est qu'il avait parlé de Campo.

Il connaissait la région ! Finalement, j'ai tout de même appris quelque chose.

Et, si je n'avais pas eu aussi peur des chiens, je l'aurais suivi, pour continuer à parler. Ça fait tellement longtemps que je suis seul que j'oublie les mots. C'est pour ça que je me suis mis à écrire. Pour ne pas oublier les mots et tout ce qu'il s'est passé. Parce que je ne veux pas devenir un animal. Cette pensée me fait froid dans le dos. Je me remplis un verre que je bois lentement. Tout bien considéré, j'ai eu beaucoup de chance. Quand je reverrai ce type, faudra qu'il me dise son nom.

Pour le moment, je l'appellerai: « Le Voyageur ».

Annotations

Vous aimez lire MAZARIA ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0