LA TRIBU, LA FEMME SAUVAGE

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Salomon, fut réveillé en sursaut, par un cri dont il n'aurait su dire s'il provenait d'un rêve ou de la réalité, et s'était levé sans bruit dans la pénombre. Il avait remis du bois dans le feu, restant un long moment à regarder les flammes danser puis n'entendant rien de plus, s'était recouché, sans parvenir à retrouver le sommeil, aux aguets.

Il avait écouté les respirations paisibles de Serena et des enfants. Tout était tranquille, mais ce cri qui l'avait tiré du sommeil lui laissait un sentiment d'angoisse diffus. Aussi, dès que le jour fut levé, il se couvrit chaudement pour sortir. Le froid était piquant et le soleil radieux, il inspira profondément pour chasser les fantômes nocturnes qui le poursuivaient. Une bonne marche lui ferait du bien.

Il avançait lentement, de la neige jusqu'aux genoux. Perdu dans ses pensées, il n'avait d'abord pas remarqué les traces de pas qui croisaient son chemin. Puis, son instinct, frappant avec insistance aux portes de son esprit, l'avait poussé à s'arrêter. Il était resté de longues secondes dans l'expectative, jusqu'à ce que les empreintes dans la neige s'imposent à sa conscience. Il fit alors demi-tour, revenant en arrière, tous les sens en alerte, jusqu'à les retrouver, et les examina attentivement.

Les pas étaient légers et petits, évocant une femme ou un enfant. Or, personne n'était sorti durant la nuit, il l'aurait entendu... Intrigué, il suivit prudemment la piste qui finissait par une glissade, un peu plus loin, au ras du chemin. Il jeta un coup d’œil circulaire, méfiant puis se pencha au dessus du ravin, profond d'une dizaine de mètres, et aperçut, au fond, une forme humaine recroquevillée dans la neige.

Il appela, par acquit de conscience, se disant que cette personne était probablement morte de froid pendant la nuit. Pas de réponse. Il hésitait à aller voir de plus près quand, stupéfait, il avait vu la main crispée s'ouvrir et se refermer. Descendu rapidement, il s'était agenouillé, vérifiant le pouls, qu'il estima faible et lent, mais régulier. Ce corps se défendait...

Il avait écarté les cheveux hirsutes et gelés pour découvrir un visage de femme très maigre, comme le reste de sa personne. Sa jambe droite, pliée en un angle bizarre était visiblement brisée. Du bout des doigts, au bord des larmes, il lui effleura le fron, puis, avec précaution, il la prit dans ses bras et commença à remonter.

Elle était légère, presque immatérielle, et Salomon était un gaillard de 1.95m aux 110 kilos faits de muscles forgés par l'effort. Il allait doucement, pour ne pas la secouer et, ils étaient presque en haut quand il avait dérapé, redescendant à mi-pente, tombant à genoux. La chute avait brutalement fait bouger la jambe brisée de la femme, la ramenant à la conscience dans un gémissement de douleur. Ses grands yeux gris écarquillés pleins de peur. Comme elle s'agitait, il avait murmuré à son oreille qu'il ne lui ferait pas de mal, mais elle avait commencé à se débattre, tentant de mordre et de griffer. Il l'avait serrée un peu plus contre lui, finissant la montée à la hâte. Quand ils arrivèrent devant la maison, elle se débattait encore faiblement en grondant. Sur le pas de la porte, Serena, alertée par le bruit, les attendait :

— Entre, vite !

— Non, on va l'installer dans la grange. Elle est sauvage, elle griffe et elle mord !

— D'accord, je vais chercher des couvertures.

Au retour, elle trouva Salomon debout, immobile, les sourcils froncés et la femme recroquevillée dans un coin de la pièce.

— Ça n'a pas l'air d'aller comme tu veux...

— Elle m'a griffé...

— On va lui donner les couvertures, à manger, et on reviendra plus tard.

— Sa jambe est cassée...

— Ça peut attendre un peu, qu'elle se calme.

— Je pourrais la maîtriser.

— Mais tu ne le veux pas... Et moi, je ne veux pas la soigner de force, alors, on va la laisser se calmer un peu. Je vais lui chercher de l'eau et à manger. Je suis sûre qu'elle nous comprend.

Ceci fait, Serena s'était retirée. Salomon resta et, accroupi, il parla à la femme sauvage. Elle avait dû être jolie... Elle, ne l'avait pas quitté des yeux une seconde, grognant quand il s'était approché pour déposer la nourriture et les couvertures et elle avait saisi une galette qu'elle dévora à pleines dents, dès qu'il avait reculé. Salomon sentait son cœur cogner fort dans son torse. Il lui avait dit qu'il reviendrait plus tard, et il était sorti, refermant doucement la porte. L' Ancienne avait préparé de la tisane et fait griller des châtaignes. Les enfants étaient partis faire une balade.

— Alors ?

— Elle est effrayée. Je ne sais pas par quoi. On dirait un animal pris au piège.

— Rassure-toi, tous les animaux s'apprivoisent.

— Je retournerai la voir ce soir.

— Je pense qu'elle sera déjà plus calme.

Et il en fut ainsi. Quand soleil fut passé derrière les collines, ils retournèrent la voir. Elle était assise, emmitouflée, dans les couvertures. Ils s'étaient approchés sans qu'elle gronde et ils s'accroupirent à son chevet. Ses yeux ne brillaient plus de panique.

— Ta jambe est cassée. Si tu nous laisses faire, je peux la remettre en place. Tu as très mal, n'est-ce pas ?

Deux larmes roulèrent sur ses joues creuses, preuve qu'elle comprenait les mots. Salomon ajouta :

— Ne nous mords pas...

Elle avait émis un son rauque, avec une lueur d'espoir dans le regard.

— Salomon, va chercher deux branches bien droites, et des bandes, les plus larges que nous ayons.

Pendant qu'il s’acquittait de sa tâche, Serena fit s'étendre la patiente, avec des gestes très doux et attendit qu'il revienne pour dire :

— Je vais réduire ta fracture, Dame Sauvage. Tiens bien fort la main de ce brave homme. C'est douloureux, mais ça ne va pas durer longtemps.


La Sauvage avait hésité de longues secondes avant de poser sa main décharnée dans la pogne robuste qui lui était tendue.
S'étant concentrée un moment, Serena fit ce qu'elle devait avant de poser l'atèle. La femme tremblait encore, mais sa peur avait fait place à une immense fatigue. Elle avait accepté de boire très lentement quelques gorgées de tisane, puis elle avait fermé les yeux et s'était endormie, tenant toujours cette main brune, quasi deux fois grande comme la sienne.

Salomon passa la nuit à veiller sur son repos, le cœur chaviré, bouleversé, attentif au moindre de ses mouvements, à chacune de ses respirations.

La Sauvage...

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