JOURNAL DE NORBERT JUILLET 2012

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En dépit de ce qu'avaient avancé les mystiques, les voyants, les médias et autres agitateurs, il ne semblait pas devoir se passer grand chose. Le mois de juillet s'étirait lentement et le village vivait son existence sans grande agitation.

J'avais été interpellé par un incendie qui avait ravagé des milliers d'hectares en Catalogne du nord et fait aussi quelques victimes humaines. Les autres êtres brûlés ne valaient sans doute pas qu'on en parle !

On sentait l'odeur du feu amenée par le vent marin, et pourtant, deux cents kilomètres nous séparaient du sinistre... L'été qui avait eu du mal à s'installer était, à présent, caniculaire, et pas une averse n'était venue rafraîchir la région depuis des semaines. Je me pris à redouter que le feu, poussé par le vent, ne remonte vers nous.

Et, comme toujours quand je crains un événement funeste, j'avais rassemblé dans un sac le strict nécessaire de survie contenant entre autre une bonne arme avec ses munitions, une bouteille de rhum et de l'aspirine. Je suis d'un naturel prévoyant. Si vous pouviez parler à mes voisins, ils vous diraient que je suis un brin paranoïaque. Évidemment, je suis le seul à avoir aménagé des caches dans les environs où sont précieusement stockées des provisions, de quoi allumer du feu et des bougies. Mais vous ne parlerez jamais à mes voisins, ils ne sont plus de ce monde. Je ne vais pas m'en plaindre car, si nous étions plutôt unis face aux journalistes, un village de deux cents âmes regorge de rancunes, de conflits latents, de détestations mesurées et retenues, jalousies diverses et autres indélicatesses inavouables.

Donc, même si l'on me faisait bonne figure au bar ou au croisement d'une rue, je savais pertinemment que mes concitoyens ne m'appréciaient guère, à en juger par les crottes de chiens déposées nuitamment devant ma porte ou dans ma boîte aux lettres et autres douceurs...

Mais, le meilleur finalement, je leur inspirais une peur irraisonnée, instinctive. J'avais acheté ma maison, sans en discuter le prix, d'ailleurs excessif pour une bâtisse très abîmée, coincée entre deux autres. Dédaignant le solide maçon local, j'avais engagé une entreprise extérieure pour faire les réparations. Ma voiture noire aux vitres teintées, ne plaisait pas non plus. On lui avait crevé deux pneus, peu après mon installation. J'avais déposé une plainte, pour la forme... Une seconde, contre ma voisine d'en face, pour tapage nocturne. Et une troisième contre X, pour harcèlement téléphonique et tentative d'intimidation.

  • Faut se faire respecter, disait mon père, pilier de bar à Toulouse depuis sa première cuite à l'âge treize ans. J'avais également installé une alarme et deux caméras.

C'était en mai 2011. J'étais là depuis un an et demi. Il m'arrivait encore parfois de trouver une crotte de chien devant ma porte, mais je me fis une raison : les chiens se fichaient complètement des caméras !

Je partageais mon temps entre de longues randonnées, l'observation des signes et les informations. Chaque vendredi soir, à 19 heures, j'allais prendre un verre au bar, sans pour autant me mêler vraiment à la clientèle festive, n'échangeant que le strict minimum. On finissait par s'habituer à ma présence, me considérant un peu comme un meuble. Mais, en tendant l'oreille, je me tenais au courant de tout ce qu'il se passait dans le coin. Cela m'incita à me faire quasi transparent...

Et que dire de cette étrange découverte, pas très loin, d'un cadavre aux os éparpillés, en compagnie de dix-sept mille euros et de documents sur Bugarach ? « Les Défenseurs du Pic » avaient probablement décidé de passer à la vitesse supérieure... J'avais sagement fermé ma bouche... Et puis, ils n'avaient pas vraiment tort. On ne pourrait pas accueillir le monde entier, le jour J.

(Il y a un autre cadavre dans les collines, qui pourrit lentement, le crâne fracassé. Personne ne l'a trouvé, celui là ! Je pourrais même vous dire qui l'a tué, si cela avait encore de l'importance.)

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